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Paradis artificiels

Aix-en-Provence
Théâtre de l’Archevêché
07/01/2016 -  et 4, 6, 9, 12, 14 juillet 2016
Georg Friedrich Haendel : Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, HWV 46a
Sabine Devieilhe (Bellezza), Franco Fagioli (Piacere), Sara Mingardo (Disinganno), Michael Spyres (Tempo)
Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction musicale)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décors et costumes), Felice Ross (lumières), Claude Bardouil (chorégraphie), Denis Guéguin (vidéo), Christian Longchamp (dramaturgie)


(© Pascal Victor/Artcomart)


Créé à Rome en 1707 puis remanié à Londres des années plus tard, Le Triomphe du Temps et de la Désillusion est le premier oratorio de Haendel. Avec ses quatre personnages allégoriques (Beauté, Plaisir, Désillusion et Temps), il narre comment la Beauté, insouciante et ne recherchant que le Plaisir, comprend peu à peu que la Désillusion va la gagner et que le Temps finira par avoir raison d’elle. Le Festival d’Aix-en-Provence propose cette année une version scénique de l’ouvrage, dont la réalisation a été confiée au sulfureux Krzysztof Warlikowski. Pour le metteur en scène polonais, la Beauté est une jeune femme qui se détruit à petit feu, à force de trop aimer la vie et ses plaisirs. La vision est particulièrement sombre et pessimiste, mais d’une grande force d’évocation. Dans un univers froid et glauque, Warlikowski raconte sans aucune illusion ni concession comment la drogue et le sexe, paradis artificiels de la jeunesse d’aujourd’hui, viennent à bout de la Beauté. Durant l’Ouverture, une vidéo montre une jeune fille se déhanchant dans une boîte de nuit et avalant de la drogue. Son ami en fait de même et finit sur un lit d’hôpital puis dans une morgue, victime d’une overdose. Le ton est donné dès le départ. Et le temps n’aura même pas besoin de finir sa besogne puisque la Beauté se suicidera en se taillant les veines. L’histoire se déroule dans un décor qu’affectionne Krzysztof Warlikowski : un lit d’hôpital, une cage vitrée dans laquelle les personnages et des figurants se trémoussent, un grand écran montrant les protagonistes en gros plan et les sièges d’une salle de cinéma qui se peuple petit à petit de créatures de la nuit. L’espace scénique est par ailleurs très habilement divisé en deux parties distinctes, avec à jardin la jeunesse et ses excès, et à cour, la maturité et la sagesse, moins scintillantes, représentées ici par la Désillusion et le Temps qui sont vus comme les parents de la Beauté. La réussite est éclatante, mis à part l’extrait – interminable – du film Danse fantomatique de Ken McMullen venant clore la première partie du spectacle, et dans lequel on voit Jacques Derrida parler de fantômes à Pascale Ogier, comme pour faire écho aux démons qui hantent la Beauté.


Cette vision triste et désespérée est superbement relayée dans la fosse, avec une Emmanuelle Haïm qui, à la tête de son Concert d’Astrée, privilégie les couleurs sombres, les nuances mélancoliques et les tempi alanguis. Quelques légers décalages et une ou deux fausses notes ne gâchent en rien la prestation de l’ensemble, confondante de cohérence, de mesure et d’équilibre. Les quatre solistes vocaux sont tous très investis dans leur personnage. S’il lui faut du temps pour chauffer sa voix, Sabine Devieilhe n’en incarne pas moins une Beauté fragile et bouleversante, dont le timbre éthéré qui accompagne sa lente descente aux enfers fait frissonner le spectateur. Plaisir transformé ici en oiseau de nuit impénitent, Franco Fagioli éblouit par sa virtuosité, mais émeut également dans le célèbre «Lascia la spina», l’air le plus connu de l’ouvrage. Avec ses graves veloutés et sa diction exemplaire, Sara Mingardo offre expressivité et caractère à la Désillusion. Timbre sonore et bien projeté, Michael Spyres fait, lui aussi, forte impression en Temps autoritaire et sans compromis, qui avance inexorablement.



Claudio Poloni

 

 

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