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La musique comme preuve des limites de la globalisation

Vienna
Konzerthaus
06/03/2016 -  
Antonín Dvorák : Svatební kosile, opus 69
Simona Saturová (La jeune fille), Pavol Breslik (Le spectre), Adam Plachetka (Le narrateur)
Wiener Singakademie, Radio-Symphonieorchester Wien, Cornelius Meister (direction)


A. Plachetka (© Ilona Sochorova)


«Je pense (et vous verrez que je ne me trompe pas) que cette œuvre surpasse toutes mes autres compositions à tous les égards, y compris le Stabat Mater.» C’est Antonín Dvorák lui-même qui l’écrit – étant donné l’accueil enthousiaste du public et des critiques, il n’avait certainement pas entièrement tort. Il y a du drame, de la narration, du fantastique; l’orchestration est scintillante, parfois grandiose et aide à passer la barrière de compréhension de la langue – même avec le livret sous les yeux, il est permis de se perdre dans la phonétique tchèque. Il est donc recommandé d’y jeter un œil avant de se rendre au concert! Pour l’auditeur, la seule difficulté à appréhender l’œuvre réside dans sa structure, qui délivre un flux ininterrompu de musique: il y a (à mon décompte) deux seuls moments de silence, le premier étant une simple suspension dramatique alors que le spectre se débarrasse du crucifix de la mariée; la seconde annonçant la conclusion avec chœurs, intervenant après 90 minutes de musique. Cela peut certainement devenir asphyxiant si les interprètes n’y prennent garde. Aucune de ces réserves ne peut cependant suffire à justifier l’oubli dans lequel est tombée cette œuvre, tant au concert qu’au disque, et dont le titre n’a d’ailleurs même pas de traduction formelle en français: Les Chemises de noces qui reprend le titre original, ou bien Le Spectre de la mariée, privilégié par les Anglo-Saxons?


Cornelius Meister est à la manœuvre, son Orchestre symphonique de la Radio de Vienne complété par une pléiade de choristes et trois solistes, remplissant à peu près complètement la vaste scène du Konzerthaus. Face à ce formidable effectif, le jeune chef déploie une palette sombre qui penche vers le registre des graves. Il met ainsi en évidence les filiations germaniques de Dvorák plus que les accents folkloriques qui parsèment sa musique: on entend des références évidentes à Brahms, à Wagner – parfois à Beethoven lorsque le drame pointe. Si la mise en place est sans défaut, on se prend de temps à autre à rêver d’une approche plus ciselée et coloriste des phrasés, la vision d’ensemble prenant le pas sur les détails – était-ce seulement possible avec tout ce monde?


Les chanteurs sont eux aussi impeccables. Le ténor Pavol Breslik délivre une prestation de toute beauté, son timbre chaleureux étant particulièrement impressionnant dans le registre aigu de la partition. Il semble capable de faire exprimer à son personnage une panoplie infinie d’expressions: d’où notre demi-regret de le voir incarner un Spectre insuffisamment maléfique. En duo avec la jeune femme, on le prendrait aisément pour un amoureux ordinaire – quiproquo qui fournit le fond de l’intrigue, mais une tension supplémentaire n’aurait pas fait de mal. La soprano Simona Saturová , elle aussi originaire de Bratislava, se sert à merveille du texte pour guider les inflexions de sa voix; sa conclusion lumineuse et évanescente, délivrée du bout des lèvres, est particulièrement touchante. De l’autre côté du podium, le baryton-basse Adam Plachetka incarne le Narrateur. A l’écouter, on comprend subitement la cause de nos réserves. Il est finalement le seul sur scène à incarner aussi naturellement l’âme tchèque du compositeur: avec une rare économie de moyens, il module son timbre et transmet au public le frisson de la course à la fois merveilleuse et inquiétante à travers les forêts de Bohème.


Ne boudons pas notre plaisir: tous les interprètes nous offrent une excellente performance. Mais, simple hasard de la distribution ou influence véritable de l’éducation musicale, il semble qu’il fallait être tchèque pour faire renaitre Dvorák ce soir-là.



Dimitri Finker

 

 

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