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Nous sommes comblés

Normandie
Deauville (Salle Elie de Brignac)
04/30/2016 -  
Johann Sebastian Bach : Concerto brandebourgeois n° 5, BWV 1050 – Cantate «Ich habe genug», BWV 82
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano n° 17, K. 453
Luigi Boccherini : Symphonie La Casa del diavolo, opus 12 n° 4, G. 506

Edwin Crossley-Mercer (baryton), Alexis Kossenko (flûte), Jean Rondeau (clavecin), Justin Taylor (pianoforte), Quatuor Cambini
L’Atelier de musique, Julien Chauvin (violon et direction)


(© Stéphane Guy)


Le Festival de Pâques de Deauville fête ses vingt ans. Malgré le public qui n’est malheureusement pas toujours au rendez-vous et la crise économique et financière, mais grâce au dynamisme d’une municipalité qui n’est jamais à court d’idées pour animer les week-ends, lors des invasions de Parisiens, et à l’engagement de la Fondation Singer-Polignac, de la région Normandie, du département (Calvados), de divers soutiens privés, dont le groupe Barrière, et enfin et surtout d’Yves Petit de Voize, le directeur artistique du festival, un ancien de Diapason. Et dans le même cadre sauf exceptions (peu convaincantes): la salle Elie de Brignac, salle de vente de chevaux située dans un écrin de verdure non loin du centre mais tout à fait adaptée aux concerts de musique de chambre, lorsque les intempéries ne se déchaînent pas sur la toiture, les goélands ne participent pas au concert, le réseau de ventilation se tait et les cloches de l’église voisine restent sages.


ConcertoNet suit les éditions pascales du festival pas à pas depuis dix ans et est rarement déçu. Tant la programmation que les artistes, malgré leur jeunesse, sont exceptionnels et Yves Petit de Voize veille chaque année à la qualité de l’ensemble avec autorité, ouverture d’esprit et bienveillance depuis les débuts du festival. Il est encore à la manœuvre cette année. Pour 2016, il a réussi à faire revenir non seulement les grands fondateurs mais aussi les plus brillants des générations suivantes, cooptées selon le principe de base du festival, alors que beaucoup ont pu développer de belles carrières nationales voire internationales. Il est vrai que tous savent ce qu’ils doivent à ce festival original et à son directeur. On ne s’étonne pas de la plupart de leurs parcours et on se remémore certains premiers pas en se disant: «j’y étais».


Neuf concerts sont prévus en 2016. Les premiers ont été d’un niveau exceptionnel (voir ici et ici). Le cinquième affichait encore des valeurs sûres, tant s’agissant des œuvres que des interprètes.


De Johann Sebastian Bach (1685-1750), on entendit en effet tout d’abord le Cinquième Concerto brandebourgeois (1721). On retrouvait Julien Chauvin, dont on n’a pas toujours apprécié ou su apprécier les prestations, cette fois à la tête d’un Atelier de musique, celui-ci succédant la Philharmonie de chambre et au Cercle de l’harmonie comme orchestre du festival. L’ensemble des huit interprètes déploie un jeu délicat de bout en bout. On repère dans l’Allegro initial un remarquable hautboïste et dans l’Affetuoso un clavecin entre les mains d’un Jean Rondeau exceptionnel, l’interprète veillant à s’éloigner de toute mécanique tout en restant dans la retenue. La délicatesse du trio du deuxième mouvement est à la hauteur de son équilibre.


Suit une des nombreuses cantates du Cantor, dont le titre pourrait être traduit par «Je suis comblé». La voix d’Edwin Crossley-Mercer est ferme et précise tout en étant homogène sur toute la tessiture quoique un peu triste et distante pour chanter la joie («Freude»). Les douze autres artistes manifestent de leur côté une rare cohérence, l’Allegretto final étant parfaitement enlevé, sous la houlette de Julien Chauvin au premier violon, doué d’un sens musical aiguë et qui finirait sans peine par faire douter de l’utilité d’un chef dans ce type de partition. Le soin méticuleux qu’il apporte à l’exécution de l’œuvre ne va pas à l’encontre de son esprit italien. Le résultat est à l’évidence le fruit d’un intense travail comme d’une expérience bien consolidée et celle-ci a en partie été acquise – on se plaît à le penser – à Deauville.


En seconde partie, après une longue pause largement consacrée à l’accord du pianoforte, était proposé le Dix-septième Concerto pour piano (1784) de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Le toucher de Justin Taylor, qui joue tout de mémoire, est indéniablement d’une infinie délicatesse mais son instrument est tellement étriqué qu’on ne l’entend quasiment pas lors des tutti. On ne l’apprécie vraiment que pendant les dialogues bien alternés de l’admirable Andante central. Bien dommage. Une nouvelle fois, nonobstant l’opinion bloquée des «baroqueux», on est convaincu que seul le piano rend pleinement justice aux concertos de Mozart. La direction partagée entre le pianiste et le premier violon est en tout cas exemplaire et le final, faisant clairement penser à l’opéra bouffe, est tellement réussi qu’il est bissé. C’est encore l’homogénéité des cordes, supérieure à leurs qualités individuelles, et la précision des vents, notamment des cors, chose trop peu fréquente pour être omise, qui frappent dans la célèbre Symphonie «La Maison du diable» (1771) de Luigi Boccherini (1743-1805), hommage presque parodique au Don Juan ou Le Festin de pierre de Gluck. C’est un plaisir que d’entendre des vents qui claquent, fouettent, sans dérailler. Tout cela a du nerf et l’on se prend à penser que l’on a été comblé. Il est heureux qu’un large public ait pu partager de tels moments.



Stéphane Guy

 

 

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