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Le vieux magicien

Strasbourg
Palais de la Musique
02/25/2016 -  et 26 février 2016
Aulis Sallinen : Sunrise Serenade, opus 63
François Devienne : Concerto pour flûte n° 7 en mi mineur
Jean Sibelius : Tapiola, opus 112
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour flûte n° 1 en sol majeur, K. 285c [313]
Paul Dukas : L’Apprenti sorcier

Emmanuel Pahud (flûte)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Leif Segerstam (direction)


L. Segerstam


Leif Segerstam, c’est avant tout un physique exceptionnel: longs cheveux et barbe de neige, visage et corps tout en rondeurs... Des allures de magicien débonnaire échappé d’une saga runique ou encore de réincarnation saisissante de Brahms. De profil, Segerstam évoque vraiment, le chapeau en moins, la célèbre silhouette dessinée par Otto Böhler, devenue emblématique du compositeur allemand.


Malheureusement l’embonpoint du chef finlandais a de plus en plus raison de son autonomie. Sa démarche est devenue douloureuse et limite beaucoup les traditionnelles allées et venues lors des rappels, voire nécessite désormais de diriger assis sur une chaise. Mais malgré ces difficultés, l’aura du personnage reste immense. Dès qu’il est enfin parvenu à s’asseoir et lève les bras, son autorité redevient totale, et la sécurisation des musiciens aussi. Alors que l’on attendait pour ce concert Okko Kamu, qui a déclaré forfait quelques jours auparavant, la relève est assurée avec panache.


Le programme initialement prévu n’a pas été modifié, itinéraire intéressant en dépit des ses aspects décousus : on combine ici terroir finlandais, résidence strasbourgeoise d’un flûtiste français célèbre, sensibilisation prudente aux musiques de notre temps et même morceau de parade pour orchestre symphonique... De tout un peu, mais les enchaînements sont riches d’enseignements et toutes ces facettes se combinent en un tableau passionnant.


Du côté du grand répertoire symphonique, on ne présente évidemment plus L’Apprenti sorcier de Dukas, que Segerstam dirige avec un beau sens de la narration. Les épisodes se succèdent en un scénario quasi visuel et les climax orchestraux explosent sans prendre de précaution excessive. On pourrait rêver d’un peu plus de contrôle des détails et d’une dynamique mieux maîtrisée, mais l’immédiateté et la franchise de cette lecture donnent une impression très favorable des facultés d’adaptation actuelles de l’orchestre.


En fin de première partie, Tapiola de Sibelius bénéficie aussi de ce potentiel, alors que là il s’agit vraiment d’une partition peu familière pour l’Orchestre philharmonique de Strasbourg (quand a-t-elle été jouée ici pour la dernière fois ? il y a fort longtemps ou peut-être jamais...). Pourtant, des œuvres d’une telle force ne sont pas légion dans le répertoire du XXe siècle : chocs abrupts de masses sonores, tutti aux contours rugueux, récurrences d’accords pivots dont les couleurs se modifient en subtiles vibrations. Comme la fascination d’une aurore boréale, avec quelque chose d’hédoniste dans la beauté du son qui renvoie à la fois à la somptuosité décadente d’un Schreker et aux futures visions de la musique spectrale. Ce moment d’orchestre d’un seul bloc ne dure que vingt minutes mais possède une telle densité qu’il accède à des dimensions d’éternité. Et même visuellement, la concentration des musiciens, conduits à une expressivité maximale grâce aux relances provenant de l’impressionnante silhouette pyramidale assise sur le podium, force l’attention.


La Sunrise Serenade (1989) d’Aulis Sallinen pâtirait d’un tel voisinage, si elle n’était prudemment programmée en entrée de concert, position où elle peut fonctionner au moins comme une mise en condition intéressante. Dispositif particulier, tapis de cordes et deux trompettes, l’une au premier plan et l’autre à l’arrière comme une réplique atténuée voire un écho. Langage sans aspérités, avec quelque chose de décoratif, de paysagiste aussi (la solitude glacée d’une étendue neigeuse peut-être, avec des effets de lumière variables). Cette modération d’effets peut passer pour de l’économie subtile de moyens, ou tout au contraire de l’insignifiance, selon les points de vue. Belle performance en tout cas pour les trompettistes Vincent Gillig et Daniel Stoll, relativement exposés dans des parties qui requièrent une robuste constance de souffle.


Soliste en résidence pour la saison 2015-2016 (voir par ailleurs ici, Emmanuel Palud arrive cette fois avec deux concertos. Celui de Devienne, contemporain assez exact de Mozart, est une rareté, que Pahud a travaillée pour un disque sorti l’an dernier. Musique d’une élégance expressive que certains qualifieront de française faute de meilleur terme à disposition, mais qui garde grâce à une tonalité mineure des ambitions supérieures à celles de simple faire-valoir de virtuosité. L’exécution, cela dit, paraît techniquement redoutable, et trouve évidemment avec Emmanuel Pahud un flûtiste à sa mesure. On passe de beaux moments, même si clairement tout ne se maintient pas au même niveau d’inspiration.


On retrouve après l’entracte Emmanuel Pahud dans Mozart, un Concerto K. 313 qu’il joue par cœur (le fait mérite d’être souligné pour un flûtiste) et dont il donne l’impression de connaître le moindre recoin. Segerstam l’accompagne efficacement, sans subtilité ni précautions excessives mais c’est amplement suffisant pour que le miracle mozartien se produise assez souvent. L’enfant prodige salzbourgeois n’aimait pas la flûte, de notoriété publique, et pourtant lui a confié là des musiques qui n’ont rien d’utilitaire. Heureusement pour les flûtistes, qui n’ont pas tant que cela de joyaux de ce calibre à leur répertoire. Et quand de surcroît c’est Emmanuel Pahud qui est aux commandes, on part là dans un étonnant voyage, presque intemporel, sur les ailes d’un son comparable à nul autre aujourd’hui.



Laurent Barthel

 

 

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