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Ariodante sauvé du zoo

Paris
Palais Garnier
04/17/2001 -  20*, 23, 26, 29 avril, 2, 5, 7, 10, 15 mai 2001
Georg Friedrich Haendel : Ariodante
Anne Sofie von Otter (Ariodante), Laura Claycomb (Ginevra), Patricia Petibon (Dalinda), Silvia Tro Santafé (Polinesso), Kresimir Spicer (Lurcanio), Kristinn Sigmundsson (le Roi d'Ecosse), Kevin Greenlaw (Odoardo)
Orchestre et Chœurs Les Musiciens du Louvre - Grenoble, Marc Minkowski (direction)
Jorge Lavelli (mise en scène), Alain Lagarde (décors), Francesco Zito (costumes), Dominique Bruguière (lumières), Laurence Fanon (chorégraphie)

Tous ceux qui gardaient un souvenir émerveillé des concerts de janvier 1997 et avaient salué en Ariodante (Archiv) l'absolu sommet dans la discographie des opéras de Haendel, attendaient avec un mélange d'impatience et de crainte la création de l'ouvrage au Palais Garnier. Impatience d'y retrouver le chef, l'orchestre et la principale protagoniste, crainte devant le reste d'une affiche qui semblait peu à même de relever le défi de la distribution originale. Adieu, larmes déchirantes de Lynne Dawson, abysses ogresques d'Ewa Podles, fruit délicat de Veronica Cangemi et infernale vélocité de Richard Croft ! Les chanteurs réunis par l'Opéra de Paris ne les inquiéteront certes pas devant l'Eternel, mais le résultat ne manque pas de panache. Laura Claycomb et Patricia Petibon n'ont ni l'une ni l'autre un timbre particulièrement riche et varié (catégorie citron pour la première, sucre d'orge pour la seconde), elles n'en délivrent pas moins des incarnations convaincues et musicalement intègres. On aime la fragilité préraphaélite de Claycomb, l'intériorité de sa déploration et de son dernier acte ; Petibon, limitée par la minceur de la matière sur le strict terrain technique de l'articulation des vocalises (descentes un rien glissantes de "Neghittosi or voi"), investit ce même air d'une remarquable puissance dramatique, et trouve avec Dalinda l'un de ses meilleurs rôles à ce jour. Silvia Tro Santafé impressionne par un timbre percutant, bien que quelque peu forcé dans le médium, mais peine ce soir à maîtriser les grands écarts de sa ligne ; Kresimir Spicer connaît pour sa part des problèmes de rythme et semble manquer d'assurance, mais l'évidence d'un chanteur d'envergure s'impose, avec une émission d'une homogénéité et d'une souplesse rares dans ce répertoire. Sigmundsson accomplit sur sa grande voix un appréciable effort de mimétisme et campe un Roi d'Ecosse digne et émouvant.
L'autre point d'interrogation de la soirée ne trouve malheureusement pas une réponse aussi satisfaisante. Après une Veuve Joyeuse dépourvue d'humour, Lavelli revient sur le lieu du crime avec un opéra seria à tendances bouffonnes. Essoufflement sénile d'un homme de théâtre abîmé dans son propre système ? Ce serait oublier les grosses peluches dont le metteur en scène peuplait déjà voilà vingt ans à Aix le plateau d'Alcina - oublier aussi, nous signale-t-on cette fois à sa décharge, le Siroe du même Haendel il y a peu à Venise, où il retrouvait paraît-il une vigueur inattendue. Concluons alors que Lavelli n'est pas parvenu à s'intéresser au drame subtil et aux émotions d'Ariodante plus de temps qu'il n'en faut pour écrire l'avant-texte du programme, ou a consacré à le rédiger tout le temps des répétitions. Ses procédés d'ironie tristounette fonctionnaient dans Faust, pas dans une œuvre qui réclame flamboiement et sincérité. Au premier acte, seul le cheval de toile de la pauvre von Otter et le gros paquet cadeau dans lequel les danseurs ficellent chœurs et solistes irritent vraiment, les éclairages crépusculaires du duo Ginevra - Ariodante s'avérant même d'une grande beauté. Le second commence mal (même Zucker et Abrahams ont compris que le coup de la paroi horizontale en contre-plongée ne marchait plus) et s'achève dans le grotesque avec ce ballet d'insectes façon J.O. d'Albertville qui laisse la salle effondrée de rire là où elle devrait, rappelons-le, suffoquer d'effroi et de compassion. Peut-on croire que le ridicule grimpe encore d'un cran avec ce ring chromé auprès duquel ne manquent que les bandits manchots et surtout le retour du canasson sur lequel l'héroïne elle-même, contrainte de chanter la reprise de "Doppo notte", peine à garder son sérieux ?
Essayant d'ignorer ce flingage permanent, le spectateur de bonne volonté se concentre avec toute la constance dont il est capable sur ceux qui avaient motivé sa venue. Et là, le miracle est au rendez-vous. Marc Minkowski retrouve cette partition qu'il choie depuis dix ans bientôt avec un enthousiasme intact et des intentions sagement mûries. Conscient des exigences de la scène, et surtout d'une salle surdimensionnée (faudra-t-il mourir sans entendre chanter un Haendel décent à Favart ?), il choisit des tempos un peu moins extrêmes qu'au disque, détaille avec soin les phrasés et l'articulation, pour chercher dans la chair vive de l'orchestre, dans sa dynamique et ses alliages de timbre, les contrastes musicaux qui nourrissent une vision dramatique d'une parfaite pertinence et d'un absolu naturel. Quelques hésitations dans les pupitres de cuivres et de hautbois mises à part, on admire la malléabilité de cet orchestre capable de déchaîner la tempête ("Il tuo sangue", "Neghittosi or voi", le ballet des songes, ainsi sauvé) comme d'épouser les plus ténues nuances des voix. L'alchimie entre Minkowski et Anne Sofie von Otter éblouit dans les airs de virtuosité, chantés, même le terrifiant "Con l'ali di costanza" avec une fluidité du souffle, une aérienne facilité des lignes, un sentiment de décontraction jubilatoire proprement déconcertants. Lorsqu'une Bartoli met sa vie en jeu dans chaque vocalise au delà de leur signification dramatique immédiate, von Otter construit son incarnation de manière à nous prendre à la gorge lorsque l'exige la musique. Faut-il vraiment reparler de "Scherza infida" sur lequel tout semble avoir été écrit ? Disons alors que cette vertigineuse plongée vers les confins de l'audible, qui magnétise de façon à peine croyable le public, ne ressort nullement de l'artifice, mais de l'expérience musicale et théâtrale qui abolit toute les conventions de la représentation pour nous faire vivre, dans l'extrême dénuement de la voix, dans le nerf tendu du mot et le point de rupture toujours frôlé mais jamais franchi entre les colorations lunaires et voilées et la raucité mourante, un des plus fabuleux moments de toute l'histoire du chant humain.



Vincent Agrech

 

 

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