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Chostakovitch au grand souffle

Lyon
Opéra
01/23/2016 -  et 25, 27, 29, 31 janvier, 2, 4, 6 février 2016
Dimitri Chostakovitch : Lady Macbeth de Mzensk, opus 29
Ausrinė Stundytė (Katerina), Vladimir Ognovenko (Boris, Le fantôme de Boris), Peter Hoare (Zinovyï), John Daszak (Sergueï), Clare Presland (Aksinia, Une détenue), Jeff Martin (Le balourd miteux), Gennady Bezzubenkov (Le pope), Almas Svilpa (Le chef de la police), Michaela Selinger (Sonietka), Kwang Soun Kim (Un boutiquier), Paolo Stupenengo (Le portier, L’employé du moulin, Une sentinelle), Yannick Berne, Brian Bruce, Philippe Maury (Commis), Paul-Henry Vila (Un policier, Un sergent), Didier Roussel (Le maître d’école), Hidefumi Narita (Un invité ivre)
Chœurs de l’Opéra de Lyon, Philip White (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Kazushi Ono (direction musicale)
Dmitri Tcherniakov (mise en scène, décors), Elena Zaytseva (costumes), Gleb Filshtinsky (lumières)


(© Jean-Pierre Maurin)


Fidèle à ses conceptions scénographiques, Dmitri Tcherniakov resitue la Lady Macbeth de Chostakovitch dans une actualisation contemporaine où la propriété marchande des Ismaïlov prend l’allure aseptisée d’une société de transport ou d’import, avec fluorescences de sécurités et plexiglas obligés. Dans ce monde de l’entreprise qui se confond avec la sphère familiale, au diapason du livret, seule la chambre de Katerina, tapissée de persan et d’orientalisme, forme comme une bulle où l’héroïne s’ennuie, étrangère, sinon isolée dans sa quête d’amour qui se fourvoiera dans l’animalité d’un Sergueï. Pour adopter une translation spatio-temporelle, la présente lecture ne trahit aucunement l’énergie dramaturgique de l’ouvrage, qu’elle n’hésite pas à mettre en avant dans sa crudité – au demeurant, la production est déconseillée aux plus jeunes, la limite ayant été arbitrairement fixée à 14 ans. Si l’on peut discuter le viol de la secrétaire, avatar de l’originelle cuisinière, où la victime semble, autant que le point de vue adopté, un peu trop complice de la violence masculine et de la fascination qu’elle est supposée exercer, la punition de Sergueï ne recule devant aucun des stigmates du fouet sur un corps entièrement dénudé que soigne son amante. Cette noirceur se retrouve dans l’exil sibérien, confiné en un huis clos sale et jaunasse, qui relègue dans l’obscurité alentour le chœur des autres prisonniers. On y perd la symbolique de l’eau noire et glacée du lac, autant que la poétique particulière de ce finale, au profit d’une cohérence qui souligne sordidement le meurtre par la bousculade de l’ampoule suspendue au plafond.


L’excellence du plateau vocal soutient remarquablement le propos du metteur en scène russe. Dans le rôle-titre, Ausrinė Stundytė livre une composition d’une intensité exemplaire. Entre le calcul des remords et la tyrannie pulsionnelle, elle fait vibrer une Katerina écorchée qu’elle élève au tragique, et témoigne d’une endurance admirable. En Boris – et son apparition fantasmatique – Vladimir Ognovenko se révèle d’une excellence égale. Avec une émission ferme et des graves solides, il condense le paternalisme pervers du personnage, qui se manifeste avec évidence dans son monologue aux portes de la chambre de sa belle-fille, dont il userait bien s’il avait quelques années de moins. Matériau et efficace expressive coïncident ici avec une justesse que l’on aimerait rencontrer plus souvent. Peter Hoare résume la faiblesse de Zinivyï, sans sacrifier l’intégrité musicale. On sera plus réservé sur le Sergueï de John Daszak, dont la brutalité idiomatique ne masque pas assez un résultat technique parfois inégal, en particulier dans les aigus. Clare Presland n’omet pas la légèreté d’Askinia. Gennady Bezzubenkov affirme un pope impayable, à l’irrésistible maîtrise comique, quand Almas Svilpa avance sans faiblir la solide carrure du chef de la police. N’oublions pas la dense Sonietka de Michaela Selinger, qui n’en résonne que plus cruellement, ni le balourd miteux dévolu à Jeff Martin.


Complétant le paysage humain de la pièce, le Chœur de l’Opéra de Lyon participe pleinement de la puissance du spectacle: sous la houlette de Philip White, il confirme sa juste réputation au premier rang des formations lyriques de France. Quant à la direction de Kazushi Ono, elle module avec intelligence l’intensification dramatique au fil de la soirée, et fait respirer les fragrances inimitables de la partition – en particulier l’écriture pour basson et contrebasson – sans céder à quelque monolithisme. L’orchestre de la maison résonne d’ailleurs plus d’une fois de textures que l’on pourrait qualifier de françaises, et qui témoignent de la maîtrise orchestrale du compositeur à laquelle le directeur musical n’omet pas de rendre justice. Après Le Nez, Chostakovitch s’avère résolument à Lyon synonyme de réussite dans la fosse comme sur la scène.



Gilles Charlassier

 

 

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