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In memoriam

Paris
Philharmonie 1
11/09/2015 -  et 6 (Ferrara), 10* (Paris) novembre 2015
Serge Prokofiev : Concerto pour piano et orchestre n° 3 en ut majeur, opus 26
Gustav Mahler : Symphonie n° 5 en ut dièse mineur

Martha Argerich (piano)
Orchestre du Festival de Lucerne, Andris Nelsons (direction)


A. Nelsons (© Marco Borggreve)


Le 20 janvier 2014, Claudio Abbado nous quittait (voir ici), laissant le monde de la musique classique en deuil. Parmi les premiers orphelins figuraient évidemment les musiciens de l’Orchestre du Festival de Lucerne qu’Abbado avait relancé avec une extraordinaire réussite au mois d’août 2003, donnant avec lui des concerts mémorables entendus tant à Lucerne même qu’à travers le monde. Dès le mois d’avril 2014), les musiciens de l’orchestre, dirigés pour l’occasion par le jeune chef letton Andris Nelsons, avaient tenu à donner un concert à sa mémoire, innervé par l’émotion de la première à la dernière note.


Rien de tel ce soir, même si l’on retrouvait les mêmes protagonistes et si le fil conducteur du concert se voulait de nouveau être un «hommage à Claudio Abbado». Au contraire, cette représentation mémorable (donnée pour la seconde fois dans le cadre d’une tournée européenne ayant conduit les artistes de Ferrare à Vienne en passant par Dortmund, Madrid et Luxembourg) fut dominée par le plaisir visible des musiciens d’œuvrer ensemble et par la joie d’interpréter un répertoire auquel le nom du chef italien est indissolublement lié.


En 1967, un jeune chef et une jeune pianiste enregistrent Ravel et Prokofiev pour les micros de Deutsche Grammophon: les photographies en couleur de ces séances témoignent de la collaboration fructueuse qui débutait alors entre Claudio Abbado et Martha Argerich et qui, après un ultime concerto pour piano de Beethoven donné en avril 2013 salle Pleyel, ne s’est achevée qu’avec la disparition du premier. Le Troisième Concerto de Prokofiev n’était pas un choix anodin pour débuter ce concert puisque ce fut l’œuvre donnée par Abbado et Argerich pour le premier concert du chef en France: c’était le 12 novembre 1969, au Théâtre des Champs-Elysées, Abbado dirigeant alors l’Orchestre national de l’ORTF (voir ici). Ovationnée dès son entrée sur scène, Martha Argerich empoigne, il n’y a pas d’autre terme, ce concerto avec un véritable esprit de conquête. L’entrée en lice des deux clarinettes dans l’Andante laisse immédiatement place aux doigts endiablés d’Argerich qui tantôt s’engage pleinement, tantôt semble seulement s’amuser, les contrepoints de l’orchestre rivalisant de technicité avec la soliste. Le deuxième mouvement (Tema con variazioni) fut exceptionnel de finesse, la partition néoclassique langoureuse ou délicieusement provocante de Prokofiev offrant tant à l’orchestre qu’à la soliste un moment de douce rêverie dans lequel chaque spectateur pu se plonger à loisir. Quant au troisième mouvement, un cyclone s’abattit sur la scène de la Philharmonie! Martha Argerich, n’hésitant pas à tranquillement jeter un regard perçant vers le public pendant les interventions de l’orchestre seul, fut peu à peu possédée par cette partition dont elle connaît les moindres tréfonds, la fin du mouvement s’apparentant à une transe qui gagna tout un chacun. Applaudie à tout rompre par le public, Martha Argerich livra avec toute sa modestie deux bis (la Sonate en ré mineur K. 141 de Domenico Scarlatti, endiablée, et une Mazurka de Frédéric Chopin: le rêve se poursuivait...


En seconde partie, Andris Nelsons avait choisi de diriger un autre parmi les compositeurs de prédilection de Claudio Abbado, Gustav Mahler (1860-1911), qui plus est dans ce qui est peut-être sa symphonie la plus connue, la Cinquième (1901-1904). On avait déjà eu l’occasion d’entendre Nelsons diriger cette œuvre il y a quelques mois à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin; aussi était-il difficile de croire que le résultat puisse être surpassé et pourtant, l’impression du concert de ce soir aura été encore plus forte. Dès les fameux appels de la trompette solo (tenue par l’inamovible Reinhold Friedrich) au début du premier mouvement, l’atmosphère à la fois solennelle et empreinte de noirceur s’impose à tous. Adoptant une gestique assez peu précise pour le profane, Nelsons plonge l’orchestre dans l’œuvre avec un esprit conquérant qui en impose à chacun, musicien comme spectateur. Même si le chef letton cède parfois à une légère tentation du spectaculaire (là où Abbado faisait preuve d’une plus grande réserve dans certains accents ou certains tutti), il aura livré ici deux premiers mouvements où toute la complexité de la partition est apparue sous nos yeux ébahis grâce à un orchestre au meilleur de sa forme. Les cordes (sous la houlette du toujours aussi gesticulant Sebastian Breuniger, dont on se demande d’ailleurs comment il a pu rester sur sa chaise tout au long de la symphonie) offrent une cohésion incroyable tandis que la petite harmonie et les cuivres se couvrent de gloire à chacune de leurs interventions. A ce petit jeu, le troisième mouvement (Scherzo: Kräftig nicht zu schnell) offrit à l’auditeur une prestation idéale: sans insister davantage sur l’irréprochable Alessio Allegrini au poste de cor solo – quel aplomb dans les attaques! Quelle puissance souveraine de la part de l’ensemble du pupitre! –, c’est surtout Nelsons qui impressionne tant il a réussi à donner toute sa cohérence au mouvement en sachant par ailleurs varier les atmosphères, passant d’un climat typiquement viennois – la valse inaugurale! – à la finesse du quatuor à cordes, faisant succéder au grincement sarcastique (comme Mahler avait déjà su le susciter dans le deuxième mouvement de la Quatrième) l’orgie sonore de l’orchestre. Rarement on aura entendu ce mouvement avec autant de luxe dans les détails et de formalisme dans l’ensemble. Après une brève pause, le célébrissime Adagietto fut lui aussi un moment totalement surnaturel, le public ayant à cette occasion observé un silence absolu. Sans en rajouter, Nelsons entraîna les cordes et la harpe dans un mouvement irrésistible où l’apaisement endolori a heureusement éclipsé toute mièvrerie: du grand art. Le dernier mouvement fut tout aussi réussi et se conclut logiquement par l’ovation d’un public conquis qui fit une ovationdebout à l’adresse du chef et de l’orchestre.


Même si certaines options auront pu ne pas toujours convaincre pleinement, nul doute que Claudio Abbado n’aurait pas renié cet hommage qui, musicalement et sentimentalement, restera sans nul doute dans la mémoire de tous ceux qui purent y assister.


Le site d’Andris Nelsons
Le site du Festival de Lucerne et de l’orchestre du Festival



Sébastien Gauthier

 

 

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