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Demi-teintes et inversions

Montpellier
Opéra Comédie
10/09/2015 -  et 11, 13, 16, 18 octobre 2015
Jules Massenet : Chérubin
Marie-Adeline Henry (Chérubin), Cigdem Soyarslan (L’Ensoleillad), Norma Nahoun (Nina), Michèle Lagrange (La comtesse), Hélène Delalande (La baronne), Ignor Gnidii (Le philosophe), Philippe Estèphe (Le comte), François Piolono (Le duc), Julien Véronèse (Le baron), Denzil Delaere (Capitaine Ricardo), Jean-Vincent Blot (L’aubergiste), Hervé Martin (Un officier), Emma Mouton, Volodia Hernandez, Jérémy Papalardo, Loïc Quenou (danseurs)
Chœur de l’Opéra national Montpellier Languedoc-Roussillon, Noëlle Gény (chef de chœur), Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon, Jean-Marie Zeitouni (direction musicale)
Juliette Deschamps (mise en scène), Macha Makeïeff (décors), Vanessa Sannino (costumes), François Menou (lumières)


(© Marc Ginot)


Pour l’ouverture de sa première saison à l’Opéra national de Montpellier, Valérie Chevalier a choisi de mettre à l’honneur un ouvrage oublié de Massenet, Chérubin, et l’on ne peut que saluer cette initiative aussi courageuse que symbolique de mettre en valeur un pan négligé du répertoire français, sans s’appuyer nécessairement sur les acteurs obligés d’une pareille démarche de réhabilitation. En confiant la mise en scène à Juliette Deschamps, en résidence dans la maison languedocienne depuis un an, où elle avait créé une scénographie sur les Variations Goldberg et la Semaine sainte andalouse la saison passée, l’intention n’allait pas, à l’évidence, se limiter à sa dimension patrimoniale.


Créé en 1905 à Monte-Carlo, l’ouvrage propose un éclairage sensiblement différent sur le héros éponyme que les modèles de Mozart et Beaumarchais, un peu plus âgé et plus proche de Don Juan que de l’adolescent naïf. Dans le livret qu’il a tiré de sa pièce homonyme, Francis de Croisset ne limite les jeux du genre et de l’androgynie au rôle-titre, et la mise en scène s’est montrée attentive à ces ambiguïtés. Si Chérubin ne s’affranchit pas d’une longue chevelure féminine, le Philosophe conjugue une veste de frac avec un tutu, tandis que tout un camaïeu du travestissement se fait jour chez les maris trompés, de la componction du Baron au vestiaire et lunettes de marâtre chez le Duc. Cette manière de donner le tournis aux codes établis se retrouve dans les numéros chorégraphiques, où le soliste prend l’absolu contrepoint du cliché véhiculé par le ballet classique – une danseuse à la peau blanche comme son tulle – sans jamais sacrifier la virtuosité des pas. Le concept pourra paraître çà et là plus explicite que nécessaire, mais il n’en oublie pas pour autant la discrète mélancolie douce-amère qui affleure au fil de la soirée et éclot dans le finale. Le modeste écran inscrit dans le dispositif scénographique aux couleurs franches d’oisiveté balnéaire, dessiné par Macha Makeïeff, projette, par intermittence, l’érotisation fantasmatique de stars de cinéma des années cinquante, avatar de celle suscitée par l’Ensoleillad, avant de ponctuer, par le contrepoint d’une modeste «Fin» pelliculaire, le dénouement de l’intrigue dans les bras d’une Nina future Elvire, victime d’un Chérubin Don Juan qui ne se déleste pas de ses colifichets amoureux.


Le plateau vocal fait la part belle au chant français, à la maîtrise linguistique audible et naturelle. Appréciée récemment dans Armide à Nancy, Marie-Adeline Henry livre un vibrant Chérubin, où l’impulsivité juvénile ne se relâche jamais. Norma Nahoun fait palpiter une Nina aussi touchante que subtile, qui contraste avec la flamboyante Ensoleillad de Cigdem Soyarslan, à l’exotisme calibré. Michèle Lagrange démontre une distinction émérite en Comtesse, tandis que l’on appréciera la piquante Baronne d’Hélène Delalande. Côté messieurs, Ignor Gnidii domine avec son Philosophe d’une assurance qui n’a nul besoin d’accentuer la bienveillance paternelle et laisse lézarder le caractère pensif du personnage. Le trio de nobles trompés passe de la fébrililé du Duc de François Piolino à la puissance du Baron de Julien Véronèse, en passant par l’inconstance du Comte confié à Philippe Estèphe. Le Ricardo de Denzil Delaere complète crânement le tableau, aux côtés de l’aubergiste de Jean-François Blot et des apparitions de l’officier dévolues à Hervé Martin.


On ne manquera pas les ensembles et les choeurs, préparés par Noëlle Gény, ni l’énergie impulsée par la baguette de Jean-Marie Zeitouni, qui n’en oublie pas les délicates demi-teintes de la partition, et qui gagnera sans doute, au fil des représentations, en fluidité dans les contrastes entre des atmosphères qui se succèdent parfois à un rythme soutenu. Chérubin concentre toute l’essence d’une comédie élégante à laquelle la postérité immédiate ne s’est pas montrée insensible, et l’on saura gré au chef canadien d’encourager les solistes sur la voie de la déclamation chantée particulière qu’exigeait Massenet et dont se souviendra Poulenc.



Gilles Charlassier

 

 

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