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Le piano de Liszt dans l’orchestre de Berlioz

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Saint-Bris-des-Bois (Abbaye de Fontdouce)
07/28/2015 -  
Robert Schumann : Waldszenen, opus 82
Richard Wagner : Isoldens Liebestod (transcription Liszt)
Hector Berlioz : Symphonie fantastique, opus 14 (transcription Liszt)

Roger Muraro (piano)


R. Muraro (© Alix Laveau)


Sans le secours d’un entracte ni d’une partition, Roger Muraro – qui, habitué à jouer Messiaen par cœur, en a certes vu d’autres – se lance dans un voyage périlleux en plein romantisme. Le début de l’aventure est sylvestre, mais nullement pittoresque: rarement les Scènes de la forêt (1849) de Schumann auront paru aussi rugueuses, presque raides et bousculées, entre sécheresse et affectation, se refusant à tout attendrissement, pas même dans l’«Adieu» conclusif. Ce n’est pas de petites scènes de genre qu’il est question dans ces neuf pièces, moins que jamais, tant le pianiste français donne bien davantage à voir ici des tableaux fantastiques et inquiétants.


Liszt a arrangé plusieurs œuvres de Schumann, essentiellement des lieder, mais Muraro poursuit avec l’une de ses plus célèbres transcriptions wagnériennes, celle qu’il a réalisée dès 1867 de la Mort d’Isolde (1859). D’emblée, avec les deux mesures introductives, cataclysmiques, le récital entre dans une autre dimension: le piano prend du corps, de la couleur, du liant, pour un résultat à la fois somptueux, grandiose, vivant, d’une évidente dimension symphonique sans pour autant chercher à imiter l’orchestre.


Dès 1833, avant même de se lancer dans la transcription des Symphonies de Beethoven, Liszt s’attaque à encore plus rude partie, la Symphonie fantastique (1830): démesurée, titanesque, l’entreprise appelle évidemment les superlatifs. Mais peut-être avant tout, elle est paradoxale s’agissant de Berlioz, compositeur avant-gardiste quant à la palette orchestrale en même temps que particulièrement rétif au piano, qu’il ne pratiqua jamais. La transcription de Liszt fait en tout cas ressortir la monstrueuse modernité de l’original, plus encore qu’à l’orchestre. Muraro l’a enregistrée il y a quelques années (Decca), mais peu osent, comme lui, la jouer en public, c’est le moins que l’on puisse dire. L’exécution, sans les reprises, n’est pas impeccable – mais qui pourrait y prétendre dans les conditions du concert, face à une partition aux exigences inhumaines, et quel en serait l’intérêt, si la prudence venait brider l’élan? Et ici, l’interprète, déployant une puissance et une tension saisissantes, ne triche pas, ne recule pas devant l’obstacle et offre ainsi l’urgence, la poésie, le flux torrentiel qui manquent à bon nombre de chefs et d’orchestres.


Fracassant et spectaculaire – les applaudissements fusent après «Un bal» –, le défi n’est pourtant pas seulement technique, virtuose ou présomptueux, mais révèle Liszt, bien avant les grandes pages des années 1840, comme un maître du clavier, révolutionnant – pour son propre et seul usage – l’écriture pianistique comme Berlioz l’avait fait de l’écriture orchestrale. Bref, plus que l’orchestre de Berlioz dans le piano de Liszt, ce qui ne serait qu’une réduction, c’est le piano de Liszt dans l’orchestre de Berlioz, c’est-à-dire une appropriation.


Debout, les spectateurs attendaient-ils vraiment un bis ou bien exprimaient-ils simplement leur admiration? Toujours est-il que comme à Champs-sur-Marne trois semaines plus tôt, le pianiste réagit avec humour, annonçant qu’il va jouer «la même, deux fois plus vite» avant, par dérision, de tapoter à la main droite les premières notes de la Lettre à Elise: ceux qui en auraient souhaité davantage auront sans doute été convaincus que cela n’était vraiment pas nécessaire.


Le site de Roger Muraro



Simon Corley

 

 

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