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La Grave

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François-Bernard Mâche au pays de Messiaen

La Grave
Le Monêtier-les Bains (Salle du Dôme)
07/17/2015 -  
17 heures François Couperin : L’Art de toucher le clavecin: Préludes n° 1 à n° 8
Johann Sebastian Bach : Die Kunst der Fuge, BWV 1080: Contrapunctus 14
François-Bernard Mâche : Toccata – Thémis (création) – Guntur Madu – Solstice – Korwar

Mathieu Dupouy (clavecin)


21 heures
François-Bernard Mâche : Temes Nevinbür
Tristan Murail : Travel Notes
Béla Bartók : Sonate pour deux pianos et percussion, sz. 110
Dimitri Vassilakis, Géraldine Dutroncy (pianos), Gilles Durot, Samuel Favre (percussion)


G. Puaud, F.-B. Mâche (© Colin Samuels)


La Grave : un village de pierres grises, suspendu à 1500 m sur une paroi rocheuse. En face le massif de la Meije culmine si haut et si près qu’on attrape un torticolis d’en bas, à force d’en observer les beautés. L’endroit paraît au bout du monde, tellement encaissé que certains jours d’hiver les rayons du soleil ne l’éclairent même pas. On n’y arrive d’ailleurs que par une seule route, et sinon par des cols tortueux souvent fermés. Pas d'autre possibilité, si ce n’est à pied, ou en hélicoptère !


Développer là autre chose que des activités touristiques de haute montagne paraît difficile. Et pourtant, depuis 1998, c’est dans cette vallée qu’ont lieu les concerts d’un festival que l’on doit surtout à l’énergie tranquille de son fondateur, Gaëtan Puaud, ancien professeur de sciences économiques, passionné de musique contemporaine mais aussi de paysages alpins. Le compositeur Olivier Messiaen ayant séjourné presque chaque été à La Grave depuis 1950, cherchant au pied des glaciers une sérénité propice à la composition, la thématique pour un festival était facile à trouver. Restait à fédérer les énergies de toute une région, voire au-delà, des nombreux compositeurs, musiciens, élèves, ayant connu personnellement Olivier Messiaen, pour construire cette manifestation singulière.


Aujourd’hui, grâce aussi à une large équipe de jeunes bénévoles, le festival Messiaen au pays de la Meije a acquis son régime de croisière, avec chaque mois de juillet une riche programmation de concerts (surtout de musique de chambre, vu la taille des lieux disponibles dans la vallée) voire une thématique particulière par été, développée aussi au cours de colloques (Musique et couleurs, La classe de Messiaen au Conservatoire de Paris, Le Jardin anglais de Messiaen, Messiaen/Xenakis : La géométrie des sons...). Pour l’édition 2015, sous le titre «Orient-Occident» ont été convoqués, outre évidemment Messiaen et sa passion pour les musiques extra-européennes, Debussy un peu, Boulez un peu (Le Marteau sans maître et ses percussions exotiques) et surtout François-Bernard Mâche, fasciné de longue date par de nombreuses cultures musicales lointaines, pour un hommage particulièrement varié.


Oui, mais ! Depuis avril 2015 un glissement de terrain menace la seule route reliant la vallée à la région de Grenoble. En attendant que la montagne veuille bien tomber, le trafic est interdit pour une durée indéterminée, ce qui transforme de facto La Grave en cul de sac, accessible exclusivement de l’autre côté, après plusieurs heures de détour supplémentaires. Le Festival 2015 a pris le risque de se maintenir malgré ce handicap, arguant du fait que son public est devenu assez fidèle pour ne pas se laisser intimider par ces difficultés d’accès supplémentaires. Prévision juste, puisque s’y sont retrouvés comme d’habitude de vrais passionnés, dans une agréable ambiance conviviale. Cela dit, si l’impact de cette catastrophe reste supportable pour le festival, il est déjà effroyablement lourd pour cette vallée peu peuplée, aujourd’hui coupée du monde (plus personne n’y passe, à moins de vouloir vraiment y aller) et qui s’interroge avec anxiété sur son avenir.



M. Dupouy, F.-B. Mâche (© Colin Samuels)


Impossible pour nous de parler du début du premier concert auquel on avait prévu d’assister, précisément du fait de ces difficultés d’accès. Après avoir pris trois trains différents, passé deux fois la frontière franco-italienne et franchi un dernier col en bus, on arrive finalement à destination, mais vingt minutes trop tard. Frustration limitée, car l’interprète n’est pas encore vraiment entré dans le vif du sujet : un florilège d’œuvres pour clavecin de François-Bernard Mâche. Devant la scène le compositeur présente lui-même chaque pièce au public, avec un mélange bien dosé de précision et d’humour. « J’écris pour le clavecin moderne. A sa façon c’est un instrument d’époque : la mienne! » Une des difficultés pour le festival ayant été d’ailleurs de trouver ce type d’instrument, nullement facile à louer, finalement acheminé depuis Lyon. L’objet est imposant, un lointain descendant de ce monstre dont les 78 tours de Wanda Landoswka nous font encore entendre les sonorités bizarres. Mais son potentiel expressif est large, voire utilisé par Mâche, selon ses propres dires, avec « une certaine violence », favorisée ici par une amplification au demeurant discrète.


Après quelques minutes d’acclimatation le voyage devient passionnant, jeux variés sur les attaques de l’instrument et les phénomènes de battements voire de bruits parasites qui se produisent à mesure que les crépitements s’accélèrent voire se transforment en nuages de sons aux contours flous. L’utilisation de la bande magnétique ouvre aussi d’autres horizons, soit sous forme de répliques conflictuelles (Thémis) soit par commodité pour remplacer un second instrument (l’orgue positif, pour Solstice), soit comme élargissement considérable du champ dans Korwar, monde hétéroclite où l’on croise des bruits de pluie, des chants de grenouilles ou de baleines, des cris porcins... tout un zoo avec lequel le clavecin cohabite, avant de prendre son essor en un tourbillon vertigineux qui laisse l’interprète épuisé et le public dans un état second, difficilement descriptible. Assurément une aventure à vivre. Nouveau venu dans ce répertoire longtemps monopolisé par Elisabeth Chojnacka, Mathieu Dupouy, issu d’une autre discipline, celle du clavecin baroque, aborde cet instrument particulier et cette musique avec aplomb, face à des superpositions rythmiques complexes.



(© Colin Samuels)


Après deux heures de pause, le temps de se restaurer dans les quelques auberges du village, le second concert retrouve François-Bernard Mâche et la même bande magnétique déjà utilisée pour Korwar, mais cette fois il s’agit de Temes Nevinbür, pour deux pianos et deux percussionnistes. La bande déroule à nouveau, comme une sorte de cantus firmus, les mêmes éléments sonores naturels, pour une œuvre cependant plus massive du fait des instruments utilisés, la ponctuation instrumentale devenant plus intrusive. Les rapports sont changés mais l’effet de saturation final est à nouveau très fort.


Tristan Murail présente ensuite une nouvelle pièce écrite pour le même effectif (deux pianos et deux percussionnistes), Travel Notes, donnée en création européenne, trois jours après une première audition à New York. Emploi de la percussion relativement sobre, accords complexes établissant des rapports de symétrie ambigus entre les deux claviers : la pièce se nourrit d’effluves fugitivement lisztiens et debussystes mais se laisse surtout parcourir comme un paysage imaginaire, avec ses reliefs, ses lumières et ses textures changeants. On y manque parfois d’un peu de prise de distance par rapport à ces échanges agréablement ludiques, mais on ne s’y ennuie pas.


Après l’entracte, place à l’« œuvre-mère », la Sonate pour deux pianos et percussions de Bartók, jouée par Dimitri Vassilakis et Géraldine Dutroncy avec une énergie et une précision typiques de collaborateurs réguliers de l’Ensemble intercontemporain. L’opposition entre la poésie nocturne du volet central et l’énergie des mouvement extrêmes pourrait être plus marquée, de même que l’on peut trouver l’éventail dynamique trop resserré, sans les décharges d’énergie plus variées dont se nourrit la rythmique bartokienne sous les doigts de concertistes issus d’univers moins spécialisés. Mais pour conclure ce programme intelligemment conçu, c’était de toute façon un choix qui s’imposait.


Encore quelques conciliabules tardifs d’après-concert, aux abords de la salle du Dôme du Monêtier : un sympathique public d’enthousiastes, dont les cheveux ont souvent blanchi au cours de longues années de fidélité, côtoie musiciens et compositeurs jeunes et moins jeunes, musicologues invités, étudiants passionnés... Et puis on regagne La Grave, en franchissant le sinueux col du Lautaret, au besoin grâce à un système de covoiturage efficace... Une journée habituelle s’achève au festival Messiaen.



Laurent Barthel

 

 

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