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Cauchemard en vert

Strasbourg
Opéra national du Rhin
06/16/2015 -  et 18, 21, 23*, 25 juin (Strasbourg), 5, 7 juillet (Mulhouse) 2015
Piotr Illitch Tchaïkovsky : La Dame de pique, opus 68
Misha Didyk (Hermann), Tatiana Monogarova (Lisa), Roman Ialcic (Tomski), Tassis Christoyannis (Eletski), Malgorzata Walewska (La Comtesse), Eve-Maud Hubeaux (Pauline), Gaëlle Alix (Macha), Violeta Poleksic (La Gouvernante), Jérémy Duffau (Tchekalinski), Andrey Zemskov (Sourine), Peter Kirk (Tchaplitski), Nathanaël Tavernier (Naroumov), Sunggoo Lee (Le Maître de cérémonies)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène), Michael Levine (décor), Brigitte Reiffenstuel (costumes),Robert Carsen et Franck Evin (lumières), Philippe Giraudeau (chorégraphie)


(© Klara Beck)


On ne va pas reprocher à un homme de théâtre de la stature de Robert Carsen d’en arriver à se répéter. Cela dit certains ingrédients glanés dans cette Dame de pique, en coproduction avec Zurich, ont un air de déjà vu : un lit suspendu de couleur verte (Le Songe d’une nuit d’été), une averse tourbillonnante de billets verts (La Traviata), un cercle de chaises en guise de seul mobilier pour évoquer un salon (Eugène Onéguine), un goût prononcé pour les lieux uniques et les éclairages rasants à fort potentiel dramatique... autant d’éléments d’un univers homogène voire d’un système. Cette tentation d’unicité rassure, voire tisse un réseau de références séduisant, mais fait qu’immanquablement aussi on trouvera dans un travail de Carsen des éléments qui nous rappelleront quelque chose d’antérieur, pour peu que l’on ait suivi sa carrière de près ou de loin.


Pour cette Dame de Pique, la globalisation de l’approche devient drastique. Décor minimaliste d’une seule couleur (trois parois matelassées d’un vert très étudié, sauce à la menthe avec un soupçon de jaune dedans, filtre chromatique d’un effet indéfinissable, vaguement nauséeux), allées et venues qui paraissent gouvernées exclusivement par une passion dévorante pour le jeu (cartes et tables recouvertes de tapis verts ne sont jamais bien loin)... Tout tourne autour de la folie ambitieuse d’Hermann, personnage principal dont l’obsession de faire fortune au jeu le mènera à sa perte sans qu’il ait jamais quitté réellement ce lieu cauchemardesque. Scéniquement la manœuvre est habile, mais réductrice aussi. La Dame de pique est un opéra à grand spectacle dont il ne reste plus ici qu’une monomanie, certes fascinante mais dont l’échelle trop petite laisse sur sa faim. Qu’il ait fallu effectuer des coupes sombres dans la partition pour parvenir à faire entrer l’ouvrage dans cette boîte suscite quelques agacements légitimes. Mais au-delà, c’est surtout l’impression tenace d’assister à une épure trop ligneuse et sèche qui prévaut et dérange. Ce n’était pas du tout le cas pour Eugène Onéguine, travail tchaïkovskien antérieur de la même équipe. Entre-temps, les marottes du système Carsen se sont raidies, même si elles restent brillantes.


En fosse sévit un autre phénomène d’inadéquation frustrant, qui relève là encore de l’œuvre trop grande que l’on essaie de faire entrer dans un lieu trop exigu. Marko Letonja a beau se démener pour faire sonner un Orchestre philharmonique en bonne forme, les parties intimistes restent plus réussies que les grands climax orchestraux, auxquels fait toujours défaut un rien d’ampleur. Problème de formation (il manque beaucoup des titulaires habituels aux postes les plus exposés), problème d’acoustique et puis même tout simplement manque d’effectif en cordes graves. Saluons quand même la très bonne tenue instrumentale de cette Dame de Pique, y compris quand la mise en scène ne facilite pas les équilibres (faire rentrer l’orchestre piano après un chœur final rejeté en coulisses relève vraiment de l’exploit impossible). Et puis aussi la vigueur des Chœurs de l’Opéra national du Rhin, même dans des configurations difficiles (disséminés dans tous les coins, à des tables de jeu).


Distribution spécialisée dans l’ouvrage avec en première ligne le Hermann un rien insuffisant de Misha Didyk, qui s’attaque à forte partie avec des moyens conséquents mais pas toujours extensibles. Très bien accueillie en Lisa, rôle dont elle assume vaillamment les ambiguïtés, Tatiana Monogarova paraît un peu désordonnée techniquement, avec des aigus sourds et pas vraiment homogènes, qui gâchent la musicalité de quelques airs magnifiques. Belle galerie de seconds plans, dont le luxueux Eletski de Tassis Christoyannis et le Tomski trop court de projection de Roman Ialcic. Comtesse inquiétante et pas trop cacochyme de Malgorzata Walewska, davantage star vieillissante façon Gloria Swanson dans Sunset Boulevard, que douairière aux antécédents sulfureux.



Laurent Barthel

 

 

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