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Mémoire et émotion

Caen
Théâtre
05/19/2015 -  et 20*, 21 mai 2015
Hans Krása : Brundibár – Overture for small orchestra
Pavel Haas : Quatuor n° 2, opus 7 «Z opicích hor»: «Paysage (Krajina)»
Ilse Weber : Ich wandre durch Theresienstadt – Wiegala (adaptations Opdebeeck)
Bertolt Brecht : Das Lied von der Tünche (adaptation Benichou)

Simon Dubois (Brundibár), Victor Valognes (Pepícek), Octave Plessis (Aninka), Mateo Kasrashvili (Le moineau), Quentin Dumont (Le chat), Pierre-Louis Braley (Le chien), Luna Raji (La jeune fille), Mïa Richard-Roussel (La danseuse), Paulette Lhonneur (La vieille dame), Ela Stein-Weissberger
Maîtrise de Caen, Orchestre régional de Basse-Normandie, Olivier Opdebeeck (direction musicale)
Collectif 1B2P/TragédieMonstre: Benoît Bénichou (conception, mise en scène, réalisation vidéo), Amélie Kiritze-Topor (conception et scénographie), Thomas Costberg (lumières), Bruno Fatalot (costumes)


(© Amélie Kiritze-Topor)


La célébration du soixante-dixième anniversaire de la libération des camps offre une occasion pour redécouvrir la création musicale dans l’univers concentrationnaire. Dijon a présenté en début d’année L’Empereur d’Atlantis et Brundibár. Si le second ouvrage n’a pas été écrit en détention, il est le seul des deux à avoir été joué à Terezín. Composé pour des enfants, le conte constitue par ailleurs un matériel pédagogique de choix à destination des élèves et des collégiens, ce que le Théâtre de Caen n’a pas manqué de comprendre, en s’associant avec plusieurs classes de l’agglomération normande, avec des ateliers littéraires et artistiques dont le résultat s’affiche dans le foyer. Mais pour estimable que soit cette démarche, elle ne recouvre pas l’intégralité de celle de Benoît Bénichou, à qui a été confiée une nouvelle production de l’ouvrage de Hans Krása (1899-1944).


En invitant Ela Stein-Weissberger, survivante qui avait chanté le rôle du chat à cinquante-cinq reprises en 1944, le spectacle ne cède nullement à un alibi didactique. Le rideau s’ouvre sur une façade illuminée qui rappelle celles de la Tchéquie natale au-delà de laquelle on est invité à entrer: tandis qu’au milieu d’enfants se préparant pour la scène, une vieille dame jouée par Paulette Lhonneur, sorte de double de l’octogénaire, semble se montrer rétive aux souvenirs douloureux, les années défilent depuis le milieu des années trente, au rythme d’images en noir et blanc créées à la façon d’archives – l’enfance, la montée du nazisme, le confinement, le départ pour Terezín – et sur les notes du premier mouvement du Deuxième Quatuor de Pavel Haas, aux accents mélancoliques qui rappellent Janácek ou la mère patrie.


Le temps s’immobilise alors: 1944, celui des représentations de Brundibár et des aventures de Pepícek et Aninka face au cruel tyran à l’orgue de barbarie – en français, dans une adaptation de Chantal Galiana. Avec une économie de moyens fidèle à la précarité originelle, la scénographie fait vivre cette fable où la satire politique, pour être tenue à distance, ne manque pas d’avoir le dernier mot dans la libération finale – et l’on pourra voir, comme un contrepoint, en la danseuse incarnée par Mïa Richard-Roussel, une complicité version Collaboration. Seul adulte sur les planches, Simon Dubois assume le méchant de l’histoire, sans écraser les gosiers juvéniles qui l’entourent. Victor Valognes instille à Pepícek une malicieuse fraîcheur, à laquelle répond l’Aninka d’Octave Plessis. Le pépiement du Moineau de Mateo Kasrashvili, comme celui de Quentin Dumont en Chat ou du Chien de Pierre-Louis Braley confirment l’enthousiasme de ces solistes en herbe, puisés dans une Maîtrise de Caen parfaitement à son affaire, aux côtés de l’Orchestre régional de Basse-Normandie, sous la baguette d’Olivier Opdebeeck.


Mais pour sensible que soit la pièce, elle ne délivre son authenticité que dans le commentaire subséquent. Quand s’éloignent ceux qui y ont laissé leur vie en même temps que les paroles d’Ilse Weber, Ich wandre durch Theresienstadt, l’un des enfants vient crever les ballons tenus par ses partenaires, rassemblés sur le devant de la scène comme pour saluer, le conte une fois terminé. L’un après l’autre sont percés au fil des noms qui s’égrènent, ceux qui ne sont jamais revenus, jusqu’à celui d’Ela Stein-Weissberger, à qui une fille remet, dans le public, le dernier ballon. La gorge se noue. Après un témoignage filmé devant lequel les jeunes se réunissent, l’anglais aux accents d’Europe centrale passe de l’écran au plateau. Ce n’est pas une leçon que l’on entend, mais un pan de vie, rémanent à travers les ans. Les couplets de Wiegala retentissent, puis la façade vespérale du début revient progressivement refermer cette bouleversante parenthèse qui nous regarde depuis son passé révolu. L’image cinématographique et la mémoire s’unissent sur une scène de théâtre: Benoît Bénichou a ici réussi une sobre et émouvante synthèse.



Gilles Charlassier

 

 

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