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Quand les esprits se rencontrent

Normandie
Deauville (Salle Elie de Brignac)
04/25/2015 -  
Gustav Mahler : Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano (*)
Mauricio Kagel : Trio pour violon, violoncelle et piano n° 1
Franz Schubert : Trio pour violon, violoncelle et piano n° 1, opus 99, D. 898

Alexandra Soumm (*) (violon), Adrien La Marca (*) (alto), Trio Les Esprits : Mi-Sa Yang (violon), Victor Julien-Laferrière (*) (violoncelle), Adam Laloum (*) (piano)


Le Trio Les Esprits (© S. Guy)


C’est un programme fort éclectique qui est proposé pour le cinquième concert du festival de Pâques de Deauville : deux compositeurs viennois entourant un trublion argentin, d’ordinaire provoquant mais ne cachant jamais sa dette aux grands anciens ; trois esprits en tout cas assez différents.

On débute par une curiosité, l’ébauche d’un Quatuor d’extrême jeunesse (1878) de Gustav Mahler (1860-1911) alors encore au conservatoire de Vienne. Il y a quelque insistance dans le paradoxe à programmer une aussi petite forme, de surcroît inachevée – ne sont disponibles qu’un premier mouvement et quelques lignes d’un scherzo –, après avoir proposé, lors du premier concert du festival, une réduction de la Première Symphonie, pour afficher un compositeur réputé pour ses grandes fresques panthéistes ayant l’ambition d’y contenir le monde entier. On retrouve pour l’occasion deux des membres du Trio Les Esprits, créé en 2012 et admiré l’an dernier, ainsi qu’Alexandra Soumm au violon et Adrien La Marca, remplaçant, à l’alto, Adrien Boisseau programmé mais fâcheusement accidenté dans une piscine. Les interprètes fournissent une lecture impeccable d’une œuvre finalement assez brahmsienne, ne laissant rien présager des monuments symphoniques de son auteur si ce n’est un traitement presque orchestral des cordes, mais surtout structurellement béquillarde. Pour ceux qui ont lu, voire relu, l’intégralité de la biographie monumentale de Gustav Mahler par Henry-Louis de La Grange (3788 pages chez Fayard).


Le concert se poursuit heureusement par le Premier Trio (1985) de Mauricio Kagel (1931-2008), une œuvre de maturité cette fois, si l’on ose dire compte tenu de la personnalité fantasque de son auteur. L’an dernier, le Trio 2 avait été initialement prévu et on avait regretté sa déprogrammation. Cette année, il n’en est pas de même, on a tenu bon. Le programme va jusqu’à parler d’une présence «logique». Ah, bon ? Aussi logique en vérité que d’accoler le nom du compositeur de la Passion selon saint Bach à tous les «classiques» auxquels il se référait quasiment en permanence avec plus ou moins d’ironie. Pleine d’esprit et multipliant les événements musicaux, la pièce surprend en tout cas sans cesse, sans tomber pour autant dans le happening théâtral, fréquent chez Kagel. C’est un «trio» et pas seulement parce qu’il y a trois instruments ; Kagel respecte le vocable classique parce qu’il respecte les classiques. Et les réminiscences ne manquent pas ; Stravinsky, Piazzolla, le jazz ou la valse ne sont parfois pas loin. Mais c’est du Kagel ; on ne sait pas vraiment où on est et où on va. Le pianiste – qui a quelques différends avec sa tourneuse de pages – doit ainsi dans chacune des trois pièces baisser un temps son pupitre et pincer les cordes ou poser la main à plat sur celles-ci ; les violonistes et violoncellistes sollicitent le bois de leur instrument ; les déraillements sont fréquents; le nirvana (troisième pièce) peut succéder à l’excitation rythmique (deuxième pièce). Le Trio Les Esprits, cette fois au complet, est exemplaire et d’une parfaite probité sans passer à côté de ces pages exigeantes, à la poésie prenante et aux couleurs changeantes, constamment passionnantes. Il est bon de ne pas oublier Mauricio Kagel.


Le programme s’achève par le Premier Trio (1827) de Franz Schubert (1797-1828). Dès le premier mouvement, on est frappé par l’engagement des artistes, lequel n’exclut ni l’équilibre et ni la musicalité. Le deuxième mouvement est de toute beauté: quel chant, quel phrasé ! Notamment sur la fin où l’on entend comme une berceuse. Le scherzo de troisième mouvement est réalisé avec plein... d’esprit, tandis que le rondo du quatrième mouvement est mené rondement avant un Allegro vivace final d’une gaîté toute simple. Du beau travail confirmant, s’il en était besoin, le niveau d’excellence atteint par le Trio Les Esprits. Qu’il nous soit cependant permis de confesser le faible que l’on a pour le pianiste, Adam Laloum : un jeu toujours clair, un toucher d’une délicatesse infinie et une attention aux autres qui est la marque des grands.

Le public, beaucoup plus nombreux que lors des concerts précédents, peut alors légitimement applaudir les artistes très chaleureusement. Un concert de haut niveau. Sur les cimes.



Stéphane Guy

 

 

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