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En apesanteur

Baden-Baden
Festspielhaus
03/28/2015 -  
Ludwig van Beethoven : Concerto pour violon en ré majeur opus 61 – Symphonie n° 6 en fa majeur opus 68 « Pastorale »
Isabelle Faust (violon)
Berliner Philharmoniker, Bernard Haitink (direction)


(© Monika Rittershaus)


Difficile de parler d’Isabelle Faust en s’en tenant à des images habituelles au monde du violon. S’il s’agissait d’une chanteuse on parlerait sans doute de son legato ineffable, de son vertigineux cantabile sur le souffle, miraculeusement filé. Si elle était danseuse on parlerait peut-être d’un défi permanent à la pesanteur, d’une technique sur les pointes dépourvue de toute nécessité d’appui musculaire. Et si elle était romancière, on s’étonnerait de sa capacité proustienne à tenir en haleine par une perpétuel enchaînement de mots tendu jusqu’à l’infini, au mépris de tout chapitrage voire de toute ponctuation. Ecouter Isabelle Faust, c’est appréhender musicalement un monde indescriptible et assurément phénoménal, découvrir une manière singulière d’envisager la ligne d’une partition de violon, comme une longue succession d’émois intériorisés et d’impalpables frémissements. Un univers hors du temps, où la notion même de technique instrumentale semble, sinon abolie, du moins sans réalité tangible.


Inutile, cela dit, de souligner la fragilité du phénomène. Et si Isabelle Faust nous paraît à chacune de ses apparitions en concert du même calme sans histoire, de la même sérénité souriante et simple, elle a besoin davantage que d’autres de partenaires à son altitude, capables de vibrer avec elle, de l’écouter sans l’écraser. Elle fut pour le regretté Claudio Abbado un rêve de violon, une soliste « en creux » dont le timbre pouvait devenir suffisamment transparent pour accueillir dans sa substance même les intentions d’un orchestre entier. En revanche on peine à l’imaginer entre deux avions, dans une salle de concert anonyme face à un orchestre de fonctionnaires, ou même tout simplement embarquée dans un concerto de virtuosité zébré d’interminables exhibitions de traits. Son univers est ailleurs, chez Bach, Beethoven, voire chez certains contemporains atomisant timbres et matière du son jusqu’à l’impalpable. Donc inutile dès lors de préciser que ce soir, devant des Berliner Philharmoniker aux petits soins, cordes soyeuses, vents d’un grain délicat, cuivres automnaux, coordonnés de mains de grand maître par un Bernard Haitink qui n’a plus qu’à ajuster souffles et respirations à leur dénominateur commun le plus évident, Isabelle Faust peut donner toute sa mesure, dans un Concerto pour violon de Beethoven qu’elle mène très loin, d’un archet dont la longueur semble infinie. Une vision qui transcende toute notion de style ou d’époque : l’âme même de notre musique est là. Au fait, combien de temps le concerto a-t-il duré ? Difficile de l’établir précisément, dans une partition où pourtant les longueurs de l’écriture beethovenienne sont parfois péniblement perceptibles, du moins dans d’autres interprétations. Même les cadences, reconstituées d’après celles écrites par Beethoven pour son adaptation de l’œuvre au piano, s’intègrent sans aucun chahut virtuose dans cette interprétation d’un seul tenant, tout juste interrompue entre chaque mouvement par les toux d’un auditoire qui prend momentanément sa revanche, après avoir observé de longues plages d’un silence religieux.


Après l’entracte, avec la Sixième Symphonie de Beethoven, on redescend sur terre. Non que Bernard Haitink, toujours aussi efficace et impeccablement précis, voire physiquement très ingambe pour un désormais grand vétéran, nous paraisse moins concerné, mais peut-être parce que l’Orchestre philharmonique de Berlin reprend davantage ses marques de grande formation généreuse (gros effectif de violons, un peu lourds), avec çà et là une inertie difficile à bousculer, notamment dans un Allegro initial assez peu intéressant dans ses enchaînements. Ensuite, heureusement, le niveau de l’interprétation remonte en flèche au cours de la « Scène au bord du ruisseau », où les premiers pupitres berlinois nous régalent de leur habituel festival de timbres. Même les deux bassonistes (système allemand pourtant) étalent une prodigieuse science de coloristes, sur un fond de cordes devenues particulièrement discrètes du fait d’un usage très (trop ?) systématique de la sourdine. Troisième et quatrième mouvements conformes eux aussi à ce qu’on peut attendre d’une formation d’un tel niveau, encore que sans surprise ni même de lucidité particulière à propos de ce que cette musique peut comporter de si subtilement novateur dans la gestion des plans sonores d’un orchestre. Haitink résume ici la quintessence d’une école de direction toute de sobriété et de compétence, et c’est merveilleux ainsi. A quoi bon, dès lors lui reprocher de ne pas déployer la puissance d’analyse d’un Gielen ou d’un Scherchen, visionnaires particuliers mais indispensables ? Si ce n’est, quand même, pour souligner que ces derniers disposaient d’orchestres bien plus modestes, avec lesquels ils nous ont cependant fait vivre des aventures autrement plus passionnantes encore.



Laurent Barthel

 

 

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