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Géant !

Baden-Baden
Festspielhaus
03/29/2015 -  et 5 avril 2015
Hector Berlioz : La Damnation de Faust, opus 24
Joyce DiDonato (Marguerite), Charles Castronovo (Faust), Ludovic Tézier (Méphisto), Edwin Crossley-Mercer (Brander)
Staatsopernchor Stuttgart, Kinderchor der Staatsoper Stuttgart, Philharmonia Chor Wien, Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)


(© Monika Rittershaus)


Effectif exceptionnel pour cette Damnation de Faust, pléthore qui saute aux yeux rien qu’à voir les quatre harpes installées du côté gauche du plateau et surtout une énorme estrade arrière qui accueille non seulement le Chœur de l’Opéra de Stuttgart au grand complet mais aussi en renfort les ténors et basses du Chœur Philharmonia de Vienne. Les voix féminines se retrouvent en minorité dans cette masse où l’on remarque surtout, au centre, un imposant groupe de voix graves, impressionnants gaillards au thorax aussi larges que des armoires...


L’inflation de décibels que l’on pouvait redouter ne se fait pas attendre. Simon Rattle essaie tant bien que mal de limiter les ambitions de son orchestre, mais les éventuels signaux de modération qu’il envoie aux choristes restent sans effet. Voire quand les voix masculines sont invitées à en prendre à leur aise, elles passent le mur du son. La fugue chorale de la taverne d’Auerbach sonne si fort que l’on n’entend en fait plus rien de distinct, la saturation en décibels empêchant l’oreille de discerner le détail des parties chantées. Certes le Chœur de l’Opéra de Stuttgart se compose d’excellents éléments, qui de surcroît connaissent bien leur Damnation de Faust pour l’entretenir à leur répertoire courant sur scène (tous les choristes chantent cette version de concert sans partition), mais au lieu de laisser autant de générosité se déchaîner continuellement, il aurait mieux valu s’évertuer à brider ces valeureux enthousiasmes, ou même simplement limiter davantage l’effectif.


Un autre problème d’équilibre se pose entre l’orchestre, des Berliner Philharmoniker dont on connaît la prédilection pour le beau son rutilant, et une distribution vocale qui manque de puissance. Ludovic Tézier dispose d’une voix de baryton relativement claire qui peut lui permettre d’esquisser élégamment le rôle de Méphisto mais certainement pas de lui donner toute son ampleur maléfique. Et comme l’orchestre ne le ménage pas, on devine parfois son chant davantage qu’on ne l’entend. Problème encore plus crucial pour le Brander d’Edwin Crossley-Mercer, francophone pourtant, dont les mots et même la ligne de chant passent complètement inaperçus, et pour le Faust distingué mais inefficace de Charles Castronovo, qui n’aurait pas l’ampleur dramatique du rôle même devant un orchestre bien plus discret. Les aigus en fausset du duo y sont, mais absolument pas la largeur de timbre nécessaire pour soutenir correctement l’Invocation à la nature. Heureusement Joyce DiDonato (dans une très glamoureuse robe décolletée vert pâle) sauve l’honneur, favorisée il est vrai par une tessiture qui passe mieux l’orchestre et aussi par une instrumentation allégée pendant ses deux airs principaux, magnifiquement phrasés et articulés.


Problèmes de dosages davantage que d’acoustique (après avoir confronté les avis de collègues assis à d’autres endroits de la salle, ces mêmes perceptions se recoupent partout), problèmes d’adéquation de l’équipe soliste (moins que les formats requis, on a plutôt recherché des noms susceptibles de remplir le Festspielhaus), problèmes de répétitions vraisemblablement insuffisantes aussi (Le Chevalier à la rose à mettre au point en même temps pour ce Festival de Pâques a du mobiliser l’essentiel des séances de travail disponibles), et enfin problèmes d’identité sonore de l’orchestre, dont le culte naturel de la beauté instrumentale n’est finalement pas tant que cela en adéquation avec l’écriture berliozienne. Le résultat est certes somptueux mais on apprécierait davantage de verdeur dans la petite harmonie, des cuivres moins fondus, et surtout un écran de cordes moins opaque... Non que Berlioz ne manque ainsi de souffle et d’ampleur, mais lui fait un peu défaut ici cette exaltation romantique trépidante, et même un peu brouillonne, qui constitue sa marque de fabrique.


Beaucoup de handicaps, somme toute, pour ce concert d’ambitions ouvertement festivalières, heureusement relativisés par de multiples beautés plus disséminées. L’Orchestre philharmonique de Berlin est une phalange miraculeuse et les morceaux de La Damnation de Faust que ses musiciens connaissent le mieux, pour les maintenir en permanence à leur répertoire de concert courant (la Marche hongroise, le Ballet des sylphes, le Menuet des feux follets...), grouillent de friandises instrumentales à déguster à la volée, petits détails passant d’habitude inaperçus et que la baguette de Simon Rattle vient systématiquement réveiller. Prodigieux solo de cor anglais aussi pour l’air «D’amour l’ardente flamme», pris pourtant à un tempo particulièrement posé. Et enfin un Pandémonium monstrueux où l’afflux de décibels de la masse chorale fonctionne à plein régime mais cette fois à bon escient (avec l’amusant volapük infernal inventé par Berlioz bien lisible en surtitrage !), puis l’entrée sulpicienne des enfants du Kinderchor de l’Opéra de Stuttgart, extraordinaire moment de suavité entretenu jusqu’à la fin à grand renfort de cordes veloutées et de harpes. Berlioz n’aurait certainement pas froncé le nez devant une telle apothéose !



Laurent Barthel

 

 

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