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Un opéra au cœur du contemporain

Nancy
Opéra
03/13/2015 -  et 5, 6 (Caen), 14, 15, 17, 18 (Nancy), 25 (Nîmes) mars 2015
Sebastian Rivas : Aliados
Nora Petrocenko (Margaret Thatcher), Lionel Peintre (Augusto Pinochet), Mélanie Boisvert (L’infirmière), Thill Mantero (L’aide de camp), Richard Dubelski (Un conscrit argentin)
Ensemble Multilatérale: Benoît Savin (clarinette basse), Mathieu Adam (trombone), Antoine Maisonhaute (violon), Lisa Baudoin (piano), Gianny Pizzolato (percussion), Wim Hoogewerf (guitare), Léo Warynski (direction musicale)
Antoine Gindt (mise en scène), Philippe Béziat (réalisation live), Elodie Brémaud (collaboration à la mise en scène), Julien Ravoux (assistant réalisation film), Elise Capdenat (scénographie), Daniel Levy (lumières), Fanny Brouste (costumes), Stefany Ganachaud (chorégraphie), Corinne Blot (maquillage), Robin Meier (réalisation informatique musicale Ircam), Olivier Pasquet (régie informatique musicale Ircam), Ludovic Plourde, Thomas Gillot (cadreurs)


(© TSQY/Philippe Stirnweiss)


Si la scène lyrique aime céder à la tentation de la contemporanéité, la gageure n’en demeure pas moins redoutable. Avec Aliados, commande d’Etat créée au Théâtre de Gennevilliers en 2013, avant de tourner à Saint-Quentin-en-Yvelines, au festival Musica, ainsi qu’à Rome, Sebastian Rivas a fait la pari de faire un opéra à partir de la visite que Thatcher a rendue à Pinochet dans sa résidence surveillée londonienne, l’un et l’autre étant déjà sensiblement affectés d’amnésie sénile – le livret les montre assistés par une infirmière ou un aide de camp. La rencontre avait d’ailleurs relayée par les médias à l’époque. Et force est de reconnaître que le résultat se montre à la hauteur.


Avec un dispositif vidéo live, réalisé par Philippe Béziat – dont on se souvient, entre autres, de Traviata et nous, avec Natalie Dessay et Louis Langrée – la mise en scène d’Antoine Gindt donne à voir, en gros plan, les protagonistes, quitte à absorber quelque peu la réalité du plateau, laquelle fonctionne alors presque comme les coulisses d’un réel au fond essentiellement télévisuel – au sens large du terme. Cette projection sur l’écran met également en lumière le tapis de photos et d’archives sur lesquelles déambulent les personnages, spicilège iconographique qui rappelle le conflit des Malouines au cours duquel le Royaume-Uni et le Chili avaient fait alliance contre l’Argentine. Le contrepoint de la violence et de l’absurdité de la guerre est donné, en guise de prologue et d’épilogue, par un conscrit argentin maculé par la graisse des machines, aux confins du parlé et du chanté, incarné avec une puissante rage expressive par Richard Dubelski.


Ce travail sur l’actualité ne signifie pas pour autant une soumission à la restitution naturaliste, en particulier des deux chefs d’état. Le vert du tailleur de Margaret Thatcher voisine davantage avec le printemps sinon l’anglais que le céladon, et la fraîcheur des traits de Nora Petrocenko la ramène vers une jeunesse qui n’était plus qu’un souvenir pour la septuagénaire. On peut bien sûr déceler une parenté évocatrice entre les interprètes et leur modèle historique. Cependant, la question de la similitude s’incline devant l’authenticité du jeu d’acteurs, jusque dans les murmures du général maugréant contre son traitement médical, comme face à la vérité des archétypes, qui, le moment de leur rencontre, ressuscite l’élan de leur impitoyable sens politique.


Dans son hétérogénéité assumée, la musique de Sebastian Rivas constitue un partenaire idéal dans cette stratégie émotionnelle. Non seulement, elle se révèle à même de rendre la plasticité du temps, de l’ennui de Pinochet à l’alchimie des souvenirs, portée par un tango où semblent revivre les momies de l’Histoire, mais elle puise dans le répertoire d’une manière jamais gratuite. On reconnaît les hymnes nationaux ou L’Histoire du soldat de Stravinsky, mais aussi le lamento de Didon de Purcell, double opportun d’une Thatcher soucieuse de la trace qu’elle laissera, qui se multiplie en échos grâce au très habile dispositif de spatialisation de l’Ircam, d’une poésie remarquablement efficace.


On ne peut manquer de saluer le remarquable travail de Léo Warynski, avec les musiciens de l’Ensemble Multilatérale, ni bien évidemment les incarnations de Nora Petrocenko et Lionel Peintre, les deux personnalités politiques, rendant justice à une écriture vocale riche, couvrant un large spectre des potentialités de l’instrument vocal, d’un lyrisme traditionnel qui ne se refuse ni l’éther, ni le brillant, à l’expressivité théâtrale. Mélanie Boisvert réserve des accents sensibles à l’Infirmière de la baronne britannique, quand Thill Mantero témoigne d’une admirable présence en aide de camp chilien.


Solidaire de sa réalisation scénographique, la partition d’Aliados, aux justes dimensions, confirme que l’inventivité et le contenu dramatique savent trouver des synthèses aussi inédites que passionnantes, et l’Opéra national de Lorraine peut se féliciter d’avoir donné à l’ouvrage, conçu pour des jauges modestes – environ 400 à 500 spectateurs – une audience élargie, remplissant de manière exemplaire sa mission envers la création contemporaine.



Gilles Charlassier

 

 

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