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Troublante familiarité du lointain

Reims
Opéra
11/07/2014 -  et 3, 4 octobre 2014 (Paris)
Kazuko Narita : Yumé
Dominique Visse (contre-ténor et baryton), Kaori Ito (danse), Mitsuka Yoshida (marionnettiste otome-bunraku), Eriko Ogata (assistante marionnettiste)
Ensemble Polychronies: Bernard Boellinger, Florent Fabre (percussions), Jean-Marc Boissière (flûtes), Sylvain Cinquini (guitare), Jean-Philippe Martignoni (violoncelle), Masaki Nakata (direction musicale)
Yoshi Oïda (mise en scène), Kaori Ito (chorégraphie et danse), Tom Schenk (décors), Lutz Deppe (lumières), Richard Hudson (costumes)


L’histoire de Matsukaze et Murasame est l’une des plus fécondes de l’histoire littéraire nippone. Si Lille, dans les pas de Bruxelles et Berlin, a choisi, avec Toshio Hosokawa, un format qui emprunte assez nettement à la tradition lyrique occidentale, l’Opéra de Reims, en collaboration avec le festival d’Ile-de-France où l’ouvrage a été donné à guichets fermés à la Maison de la culture du Japon à Paris début octobre, a opté, avec Yumé de Kazuko Narita, pour une épure autant dans l’effectif instrumental – limité à cinq membres de l’Ensemble Polychronies, placés sous la direction attentive de Masaki Nakata – que dans l’écriture dramatique condensée en une seule voix, dédoublée dans sa fonction narrative et celle où elle incarne les personnages – la première, déclamatoire, l’autre chantée.


Inspirés par la pièce nô de Kan’ami, Matsukaze, le livret de Jacques Keriguy n’a pas cherché la littéralité, et lui a préféré l’esprit, pour traduire en langue française la troublante familiarité d’une sensibilité a priori éloignée de la nôtre. A la différence de l’opus de Toshio Hosokawa, le présent ouvrage met davantage l’accent sur la souffrance de Murasame, rivale malheureuse pleurant un amour refusé, et lui confie une palette expressive riche, au croisement des codes orientalisants et de la tradition européenne. La poésie élusive du texte, comme l’écriture musicale très économe de Kazuko Narita, plongent sans équivoque dans une atmosphère teintée de mystère, sans pour autant céder à un exotisme gratuit. Les sonorités raréfiées, entre flûtes, guitare et percussions, ponctuées par quelques épanchements lyriques du violoncelle, ne se limitent pas à une parenté avec la sécheresse voire l’ascétisme de certaines esthétiques avant-gardistes, et distillent une émotion et un pouvoir évocateur indéniables.


La tension originale que tisse l’alternance entre le récit et le théâtre confie à Dominique Visse les fils de l’histoire, doublé par les marionnettes des deux amantes, sinon de leurs fantômes. Ce n’est bien entendu pas à l’aune de quelque perfection belcantiste que l’on jugera de la voix du contre-ténor français. Au plus près des inflexions du texte parlé, jusqu’au murmure, il noue avec un naturel admirable une complicité entre la scène et l’auditoire, à la manière d’un conteur, tandis que les fêlures des envolées chantées témoignent d’un sens intact de la caractérisation, rendant palpable la fragilité évanescente des spectres des deux jeunes amoureuses, aux confins du délire et de la folie.


On ne pouvait trouver meilleur ambassadeur que Yoshi Oïda pour ce pont entre Orient et Occident. Sur le plateau, un simple tulle chamarré de lumières dissimule les instrumentistes – que l’on n’aperçoit qu’au début et à la fin de la pièce, comme les marges de l’illusion qui se dissipent – joue de bronzes et d’argents, aux couleurs respectives des tuniques de Matsukaze et Murasame, manipulées par deux marionnettistes otome-bunraku, Mitsuka Yoshida et Eriko Ogata. La danse de Kaori Ito forme un contrepoint parfois discret pour qui se trouve absorbé par le récit. Et comme un rituel qui s’achève, Dominique Visse restitue à la fin les voiles aux cadres métalliques vides d’où surgissent les deux protagonistes, à l’intérieur desquels leurs mânes reposent à nouveau en paix. A n’en pas douter, le centre de création musicale Césaré, partenaire de cette production, offre en Yumé un bel exemple de sa légitimité.



Gilles Charlassier

 

 

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