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12/29/2018
François Anselmini, Rémi Jacobs : Alfred Cortot
Fayard, 2018 – 464 pages – 36 euros


Must de ConcertoNet





La vérité. Toute la vérité. Rien que la vérité. On n’en attendait pas moins du nouveau quatre mains de François Anselmini et Rémi Jacobs. On est comblé. Après leur Trio Thibaud-Cortot-Casals, voici en effet Alfred Cortot. Une somme, cette fois, fruit de recherches patientes et savantes dans les archives les plus diverses: fonds Cortot de la Médiathèque Mahler, archives diplomatiques du ministère des affaires étrangères, fonds Fernand Halphen de l’Institut européen des musiques juives...


Remarquable travail, qui fait enfin le tour de la question en mettant à nu l’homme et l’artiste, sa grandeur et ses bassesses, de l’enfance où des parents imposent l’étude du piano à un rejeton sans appétence pour le clavier – lui-même le dira – à une fin de vie assombrie par les errements de l’Occupation et l’affaiblissement des doigts et de l’esprit.


On apprend ainsi ce que le disque ne nous dit pas toujours – Cortot a souvent été réduit à ses enregistrements. Savait-on toute la richesse de son répertoire, où Beethoven occupait une place de choix, où la musique ancienne faisait bonne figure, où les contemporains étaient loin d’être sous-représentés? Il joue Petrouchka, crée le Troisième Concerto de Rachmaninov à Londres, initie ses étudiants à Scriabine, leur impose l’étude des clavecinistes. Passionnant chapitre aussi sur le chef d’orchestre. Celui qu’on savait «champion français de Wagner» dirigeait volontiers les Brandebourgeois ou les Suites de Bach, révéla à Paris, au cours des concerts de l’Ecole normale, la Suite lyrique de Berg, le Concertino de Janácek ou la Kammermusik avec violoncelle de Hindemith...


Les écrits de Cortot sont heureusement réhabilités – ne nous arrêtons pas au style d’un autre âge, à la préciosité désuète: il y là une tentative de penser la musique, d’en maîtriser les difficultés par «une étude raisonnée» pour ensuite mieux en pénétrer l’esprit sans brider la liberté interprétative. C’est cela qui attira vers lui tant de futurs pianistes, souvent très différents – quoi de commun entre Yvonne Lefébure et Clara Haskil? C’est cela qui, aujourd’hui encore, en fascine beaucoup d’autres – bel hommage de Philippe Cassard.


Les années noires? Les voici enfin présentées sans fard, à la lumière des faits. Etonnant itinéraire: plutôt dandy de gauche, séducteur, un temps amant de Félia Litvinne, marié ensuite à une juive, ami de Léon Blum, il sombrera dans l’antisémitisme puis dans la collaboration, intime d’Arno Breker, bras droit d’Abel Bonnard. Moins, d’ailleurs, par sympathie pour l’idéologie nazie que par adhésion à la politique culturelle de Vichy, qui visait à encadrer autoritairement les professions artistiques, qu’il prétendait ainsi protéger – sur le modèle de la Chambre de la musique du Reich... Jusqu’à l’aveuglement, victime aussi de son amour de la culture allemande, serviteur zélé d’une administration qui pourtant déçut ses ambitions, s’accommodant fort bien de lois anti-juives qu’il appliquait sans vergogne.


De quoi ternir beaucoup un rayonnement dont le livre nous rappelle opportunément l’étendue. Cortot fut en effet l’un des pianistes les plus célèbres de son temps, incarnant la France en Europe, aux Etats-Unis (jusqu’en 1929) ou au Moyen-Orient, multipliant les tournées à un rythme d’enfer. Un pion sur l’échiquier de la diplomatie française, pas seulement sous les gouvernements de droite: hostile à tout nationalisme revanchard, il soutenait, dans les années 1920, le pacifisme d’Aristide Briand et sa politique de réconciliation franco-allemande – son attitude pendant l’Occupation ne sera peut-être qu’un prolongement perverti de ce rêve brisé.


Les chapitres sur l’histoire reviennent à François Anselmini, ceux sur la musique à Rémi Jacobs. Mais ils ne jouent qu’une seule partition, celle de l’histoire et de la vérité. On ne lit pas, on dévore.


Didier van Moere

 

 

 

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