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02/04/2018
Laurent Feneyrou : De lave et de fer. Une jeunesse allemande: Helmut Lachenmann
Editions MF, collection «Répercussions» – 281 pages – 22 euros


 Sélectionné par la rédaction





Sur Helmut Lachenmann (né en 1935) parut en 2004 le livre magistral de Martin Kaltenecker intitulé Avec Helmut Lachenmann (Van Dieren). Invité à s’expliquer sur son titre lors de l’émission de feu Jean-Michel Damian sur France Musique (à l’époque France Musiques), l’auteur répondit en substance que le choc consécutif à la révélation de la musique de Lachenmann était à ce point décisif qu’il modifiât sa façon d’écouter, de même que Maurice Fleuret a pu déclarer qu’il n’observait plus les phénomènes naturels de la même manière avec l’œuvre de Iannis Xenakis. Encore faut-il renoncer à nos habitudes (à nos craintes?) en nous ouvrant à un langage d’une originalité absolue, telle l’âme indécise face à la grotte de Zwei Gefühle, Musik mit Leonardo (1992, repris par la suite dans l’opéra Das Mädchen mit den Schwefelhölzern) qui éprouve à la fois le désir de découvrir les merveilles qu’elle recèle et la peur face à l’obscurité régnante. Accepter de pénétrer dans la grotte fera de Helmut Lachenmann un compositeur pour le reste de notre vie.


Ce créateur de sons, à qui l’on doit le concept de «musique concrète instrumentale», n’est cependant pas un intellectuel muré dans sa tour d’ivoire mais un artiste engagé dans la cité – ou plutôt dans «l’espace public», pour reprendre la notion plus actualisée de Jürgen Habermas. Le présent ouvrage vise à éclaircir les liens qu’entretient la musique de Helmut Lachenmann avec l’ultragauche allemande – et sa radicalisation dans les luttes menées par la Fraction armée rouge – entre le début des années 1960 et la fin des années 1990.


Chargé de recherches au CNRS et collaborateur régulier aux notes de programme de l’Ircam, le musicologue Laurent Feneyrou a écrit et dirigé plusieurs ouvrages portant sur les relations entre musique et politique: citons notamment son édition des Ecrits de Giacomo Manzoni (Basalte, 2011) ou son analyse du Canto sospeso de Luigi Nono (Michel de Maule, 2002). Il était tout désigné pour mener l’enquête, laquelle l’obligea à compulser livres d’histoire et archives (notamment celles de Nono à Venise) bien qu’il récuse le titre d’historien.


N’empêche: voici résumées, dans leurs grandes lignes, ces «années de plomb» et les répercussions des événements sur les œuvres de Lachenmann, au premier rang desquelles Air (1969), Salut für Caudwell (1977) et l’opéra Das Mädchen mit den Schwefelhölzern (1996). Sont évoquées les figures de proue de ces mouvements contestataires, à commencer par Gudrun Ensslin, l’une des membres fondatrices de la RAF et amie d’enfance de Lachenmann. Très documenté, nourri à la mamelle de plusieurs disciplines (histoire, musicologie, psychologie, philosophie...) et leur lexique souvent pointu, le travail de Laurent Feneyrou n’est pas d’une lecture aisée, loin s’en faut. Mais l’effort, pour autant que nous puissions en juger, est payé de retour, à proportion de la rigueur des recherches et de la hauteur de vue.


On en vient même à regretter (indépendamment de l’absence d’index) que certains thèmes n’aient pas donné lieu à davantage d’investigation et de discussion: ainsi de la brouille momentanée avec Luigi Nono et, surtout, de la querelle avec Hans Werner Henze, qui met en exergue une ligne de fracture entre deux conceptions irréconciliables de l’intégrité et de l’engagement artistiques: quel langage musical adopter lorsqu’on se réclame du marxisme? La posture d’Adorno est-elle toujours de mise? Comment articuler sans contradiction avant-garde, peuple, bourgeoisie et élites? De même on aurait aimé un chapitre (ou simplement ce que l’auteur appelle un «excursus») sur les rapports de Lachenmann avec les institutions et les musiciens quand on sait la résistance que rencontra (et continue à rencontrer) sa musique. Une musique écrite pour l’orchestre – bien que contre le son «philharmonique» – et les musiciens, à l’opposé de l’aventure électroacoustique que certains poursuivent derrières les portes capitonnées des studios.


Cela n’enlève rien aux mérites et aux qualités de cet ouvrage passionnant (merci aux éditions MF!) – et complémentaire de celui de Martin Kaltenecker cité plus haut – que tout mélomane curieux aura à cœur de lire ou de parcourir.


Jérémie Bigorie

 

 

 

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