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Baden-Baden: festivals en pantoufles
03/28/2021


17 février 2021
César Franck : Sonate pour violon et piano
Christian Tetzlaff (violon), Kiveli Dörken (piano)


18 février 2021
Robert Schumann : Dichterliebe, opus 48
Julian Prégardien (ténor), Eric Le Sage (piano)


(© Michael Gregonowits)


Au cours d’une conférence de presse donnée le 22 février, en visioconférence devant une quarantaine de journalistes, Benedikt Stampa, intendant du Festspielhaus de Baden-Baden, procède à reculons, en commençant par ce qui est probable, et en terminant parce qui le devient de moins en moins. Donc exposé d’abord de la programmation espérée pour juillet 2021, assez proche de ce qui était initialement prévu, mais avec des modifications, dont l’absence de l’Orchestre du Met de New York, Yannick Nézet-Séguin devant se rabattre sur le Chamber Orchestra of Europe. Ensuite on passe à la programmation du Festival de Pentecôte, plus hypothétique, avec en particulier la renonciation au projet pourtant alléchant d’importer de Hambourg la Turangalîla de Messiaen chorégraphiée par John Neumeier, où danseurs et effectif symphonique monstre cohabitent étroitement sur le plateau, démesure impensable en ce moment. En remplacement, Neumeier travaille déjà sur un projet Beethoven, en collaboration avec le chef Antonello Manacorda. Et puis il y a le Festival de Pâques de l’Orchestre philharmonique de Berlin, considéré comme de plus en plus incertain à mesure que les jours passent et que rien ne bouge quant à une possible réouverture des salles. Et quand bien même cette réouverture s’effectuerait à temps, ce serait avec une jauge de public éventuellement si réduite qu’elle s’avérerait incompatible avec une rentabilité économique minimale, pour une maison qui fonctionne grâce à des financements essentiellement privés.


L’annonce plus que redoutée tombe au cours d’une seconde visioconférence de presse, le 12 mars, en «présence» de Kirill Petrenko et de la direction de l’Orchestre philharmonique de Berlin: comme on pouvait le craindre, et exactement comme au printemps 2020, pas de Festival de Pâques possible à Baden-Baden. A la différence que l’année dernière le décor des représentations prévues de Fidelio était déjà tout monté sur le plateau du Festspielhaus lors de l’abandon du projet, alors que ce printemps, prudemment, le chantier du Mazeppa de Tchaïkovski prévu n’avait pas été vraiment commencé.


Contexte perturbé et déprimant, avec lequel doit composer le malheureux Benedikt Stampa, qui a pris ses fonctions à Baden-Baden à la rentrée 2019, et qui depuis lors n’a eu que très peu d’occasions de concrétiser sa politique artistique, pourtant novatrice et intéressante. En attendant, le vaste Festspielhaus est resté endormi tout l’hiver, comme le château de la Belle au bois dormant, et il était grand temps de le réveiller un peu. Ce qui est arrivé une première fois pour quatre soirées consécutives au courant du mois février: des concerts de musique de chambre courts, trois quart d’heure chacun, donnés évidemment sans public, mais avec de vrais efforts de «packaging» autour. Festspielhaus joliment illuminé de bleu dont les rangées vides servent d’arrière-plan, artistes sur le plateau tournant le dos à la salle vide, très professionnelle qualité technique pour la prise de son et les images, et puis aussi une longue partie d’entretiens plutôt bon enfant avec les artistes, menés par la jeune Jasmin Bachmann. De quoi donner un peu de chaleur humaine à ces petits événements, présentés sous le titre générique de «Hausfestspiele», donc littéralement, de «festival à la maison».


Une activité toute nouvelle pour Baden-Baden, qui jusqu’ici n’utilisait l’internet qu’avec parcimonie, et qui pèche encore par excès de prudence. En particulier ces concerts, sitôt diffusés en direct, ont disparu du site sans aucune possibilité d’accès différé ensuite. Une volonté délibérée, qui nous a été clairement réexposée au cours d’un échange avec le service de communication: «Nous voulons garder à ces concerts en direct un caractère aussi authentique que possible, en plein accord avec les artistes. Par analogie: un peu comme un feu de camp autour duquel on s’asseoit, moment chaleureux mais fugace, où le feu finit par s’éteindre! ». Intention louable, mais qui a beaucoup restreint l’auditoire de ces soirées, en fonction de la disponibilité de chacun à l’horaire fatidique, pas forcément pratique (20 heures 15), et aussi, tout simplement d’une concurrence parfois écrasante. Le samedi 20 février, le mini-récital d’Olga Peretyatko s’est ainsi retrouvé sur le même créneau horaire que la Salomé de la Scala de Milan dirigée par Riccardo Chailly et le concert en direct de l’Opéra de Munich dirigé par Kirill Petrenko. Situation inconfortable, qui a certainement nui à son audience, en l’absence de toute possibilité de rattrapage ensuite.


Quatre soirées d’accès gratuit en tout, dont il ne nous a été dès lors possible de voir que les deux premières. Le 17 février, Christian Tetzlaff se lance dans une Sonate de Franck appuyée d’un archet généreux qui fait presque crisser des micros trop rapprochés. En tout cas une approche spontanée et vivante, belle occasion aussi de découvrir une jeune accompagnatrice bourrée de talent, Kiveli Dörken, 25 ans, d’une énergie et d’un naturel qui crèvent l’écran. Le lendemain, dans les Amours du poète de Schumann, Julian Prégardien répète la même prestation, à fleur de sentiments et pas toujours très confortable de souffle, que dans son récent enregistrement chez Alpha, toujours avec Eric le Sage au piano. Les deux autres soirées étaient prometteuses: un tout jeune quatuor à cordes, le vision string quartet (nom coquettement revendiqué sans majuscules), dans une originale programmation de cross-over, et le récital Mozart/Tchaïkovski d’Olga Peretyatko, Mais voilà, quand le feu est éteint, il est définitivement trop tard! Une règle dont on peut penser qu’à l’heure de la consommation numérique, elle s’impose totalement à contre-courant.


Expérience en tout cas ressentie comme suffisamment concluante par l’équipe du Festspielhaus pour reproposer une série de Hausfestspiele pendant le week-end de Pâques 2021, du 1er au 5 avril. Formule analogue de concerts courts en direct, avec des affiches à nouveau représentatives de l’élitisme artistique de la maison: le jeune duo de pianistes blonds Arthur et Lucas Jussen, les Sept paroles du Christ de Haydn par le Quatuor Marzona pour un Vendredi saint de rigueur, un Liederabend par Diana Damrau et Helmut Deutsch, et un concert de musique de chambre par des membres des Berliner Philharmoniker. Et cette fois, excellente nouvelle, la flamme sera entretenue un peu plus longtemps: quatre semaines d’accès différé possible sur différents sites...


Quant à l’abondante programmation du Festival de Pâques 2021, un espoir ténu demeure de pouvoir en reporter quelques éléments début mai: quatre concerts dont deux exécutions concertantes de Mazeppa avec sensiblement la même distribution que ce qui était annoncé. Mais toujours pas d’ouverture des guichets pour ces soirées. Les Berliner Philharmoniker sont libres, les chanteurs ont tous accepté ces nouvelles dates, mais seule certitude à Baden-Baden: pas de jauge minimale de 500 personnes autorisées dans la salle, pas de concerts de grand format possibles. Donc attentisme de rigueur, dans cette crise interminable où la ligne d’horizon recule inexorablement à mesure que l’on avance.


Laurent Barthel

 

 

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