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Disparition de James Levine
03/18/2021


La Roche Tarpéienne est proche du Lincoln Center


Le chef d’orchestre américain James Levine vient de décéder à l’âge de 77 ans.


Pour ceux qui d’entre nous ont vécu ou se rendaient régulièrement aux Etats-Unis, pour ceux qui l’ont entendu à Salzbourg, Bayreuth ou Munich, le talent immense du musicien ne fait aucun doute.


Il a été durant une quarantaine d’années le directeur musical du Metropolitan Opera de New York. Omniprésent et infatigable, il avait fait de cette maison d’opéra l’égale de celles de Vienne ou de Munich. Il avait bâti une troupe de chanteurs unique autour de lui et fait de l’Orchestre du Met un ensemble de premier plan, capable de se passer avec brio d’une soirée à l’autre de Mozart, Wagner aux œuvres de la seconde Ecole de Vienne.


Ses collaborations avec de nombreux artistes qui lui étaient d’une grande fidélité sont nombreuses. C’était le cas de Jean-Pierre Ponnelle, avec qui il avait fait une série d’opéras de Mozart à Salzbourg et à New York et une Flûte enchantée d’exception. C’est le cas également de nombreux chanteurs, qu’il avait une capacité unique pour les accompagner au millimètre près.


J’ai à titre personnel le souvenir d’avoir entendu Karita Mattila démarrer le quintette des Maîtres chanteurs avec une harmonie unique avec l’orchestre. Le témoignage des répétitions d’Ariane à Naxos avec Jessye Norman et Kathleen Battle qui se trouve sur le site du Metropolitan Opera, montre l’acuité du chef et la capacité qu’il avait à ce que chanteurs soient juste à leur meilleur.


Son répertoire était centré sur les compositeurs classiques. Son Mozart, avant que les musiciens baroques ne nous fassent repenser les choix des styles, se déployait avec un naturel unique. Les compositeurs italiens étaient théâtraux sans aucune vulgarité. Ses lectures de Parsifal, l’œuvre qu’il a le plus dirigée à New York, étaient d’exception et ceux qui ont pu assister aux représentations très lentes qu’il avait données à Bayreuth se souviendront de la force et d’une certaine noirceur qu’il trouvait dans cette œuvre.


Il n’a pas non plus ignoré les compositeurs de son temps et on lui doit de nombreuses représentations de Lulu de Berg ou de Moïse et Aaron de Schoenberg. A Boston, il avait beaucoup joué Carter, Bolcom, Babbitt, Boulez... ainsi qu’un cycle mélangeant Beethoven et Schoenberg.


Mais sa vie a été marquée cependant par deux éléments graves qu’il faut évoquer et qui font prendre beaucoup de recul sur l’homme et abîment le souvenir de l’artiste.


Tout d’abord, James Levine dirigeait beaucoup «trop». Il lui arrivait à New York de diriger la matinée du samedi et la représentation du soir. Si le niveau était très élevé, sa santé n’a pas toujours suivi et il a terriblement fait attendre les institutions qu’il dirigeait pour reconnaître qu’il devait se retirer.


Bien pire hélas, les dernières années de James Levine sont liées à des accusations gravissimes d’abus sexuels sur de jeunes garçons durant l’ensemble de sa carrière. Le Metropolitan Opera avait fait une enquête et l’avait démis en 2018 de son poste de chef émérite. Levine avait nié toutes ces accusations et avait attaqué le Met, ce dernier ayant négocié un settlement de plusieurs millions de dollars mais sans lui rendre ses fonctions ni son titre.


#MeToo a fait s’écrouler certains des abus qui ont été trop souvent présents dans les mondes de la musique, de la politique, du sport, du cinéma... S’il n’est pas possible de disposer de tous les éléments sur certaines de ces affaires, si certaines situations peuvent donner lieu à un manque de clarté et s’il faut respecter la présomption d’innocence, les quelques éléments qui sont ressortis sont accablants. Dans de telles conditions, il est difficile de séparer l’homme de l’artiste et d’écouter ses contributions sans rejet.


Au moment où j’écris ces lignes, le site de l’Orchestre symphonique de Boston et celui du Festival de Salzbourg n’ont pas fait mention de sa disparition. Celui du Metropolitan Opera est très minimal.


Nous sommes dans une période de pandémie terrible. Les artistes sont parmi ceux qui ont été les plus terriblement affectés. Parmi ceux-là, certains orchestres ont pu garder une certaine stabilité de par leur statut public ou semi public. Ce n’est pas le cas du Met. Les musiciens ont été remerciés. Ils ne sont plus payés depuis un an. Plus de la moitié ont quitté New York et nombreux ont dû vendre leur instruments. Le Met n’est plus associé à quelques représentations en streaming de grands noms qui se produisent pour la majorité en Europe.


Il n’a pas été possible de trouver un mécène à New York pour sauver l’héritage de James Levine et ne pas laisser sombrer l’orchestre du Metropolitan Opera. Ce n’est pas une affaire de moyens, c’est probablement une affaire de gouvernance.


James Levine s’est éteint. Son orchestre a disparu.


Toute cette situation déprimante est juste désastreuse.


Antoine Lévy-Leboyer

 

 

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