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Strasbourg: l’orchestre joue toujours !
02/28/2021

Palais de la Musique, 5 novembre 2020
Johann Sebastian Bach : Concerto pour violon en la mineur, BWV 1041
Arvo Pärt : Fratres, pour violon, cordes et percussion
Franz Schubert/Luciano Berio : Rendering
Franz Schubert : Rosamunde, D. 797: X. Musique de ballet n° 2 (Andantino)

Arabella Steinbacher (violon), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


Palais de la Musique, 26 novembre 2020
Felix Mendelssohn-Bartholdy : Ouverture de Ruy Blas, opus 95 – Symphonie n° 4 en la majeur «Italienne», opus 90
Robert Schumann : Concerto pour violoncelle en la mineur, opus 129

Victor Julien-Laferrière (piano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Hossein Pishkar (direction)


Opéra national du Rhin, 17 et 18 décembre 2020
Engelbert Humperdinck : Hänsel und Gretel
Anaïk Morel (Hänsel), Elisabeth Boudreault (Gretel), Markus Marquardt (Le Père), Irmgard Vilsmaier (La Mère), Spencer Lang (La Sorcière), Hélène Carpentier (Le Marchand de sable, La Fée rosée)
Les Petits Chanteurs de Strasbourg, Maîtrise de l’Opéra national du Rhin, Luciano Bibiloni (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction musicale)
Pierre-Emmanuel Rousseau (mise en scène, décors et costumes), Gilles Gentner (lumières), Pierre-Emile Lemieux-Venne (chorégraphie)


Palais de la Musique, 15 janvier 2021
Igor Stravinsky : Pulcinella, Suite
Johannes Brahms : Concerto pour piano n° 2 en si bémol majeur, opus 83

Adam Laloum (piano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Ducan Ward (direction)





Septembre-octobre 2020: la saison 2020-2021 de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg commence, mais l’ambiance est singulière. Musiciens en effectif restreint, public masqué et disséminé dans la vaste salle du Palais de la musique, programmes d’ambitions plus modestes et enchaînés sans entracte: une rentrée morose, mais réelle, en dépit d’un étau qui chaque semaine se resserre davantage. Couvre-feu à 21 heures dès le 24 octobre, concerts avancés à 18 heures 30, puis annulés... On connaît la suite!


Et pourtant, comme le rappellent dès novembre quelques affiches sibyllines placardées dans Strasbourg, «L’orchestre joue toujours». Soit, mais comment, et pour qui?


Pendant cette période de culture bâillonnée, il devient indispensable pour la presse spécialisée de rendre compte aussi du contenu d’une possible «téléculture» alternative, puisqu’il est désormais patent que le provisoire va durer. «Le fil renoué», titrais-je dans mon article de rentrée sur la saison strasbourgeoise, avec un espoir déjà mesuré. Or ce lien se distend maintenant chaque mois davantage, et il devient périlleux d’attendre, comme dans une célèbre scène wagnérienne annonciatrice des pires catastrophes, que le fil casse.


Deux des concerts de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg ont pu être sauvés en novembre, filmés sans public, dans de bonnes conditions d’image et de son. Comme ils resteront visibles pour de longs mois encore sur ARTE Concert, le détour est recommandé. Surtout pour le premier, où la violoniste Arabella Steinbacher défend la version pour violon et cordes de Fratres d’Arvo Pärt avec une vigueur d’archet peu commune. Conçue pour s’adapter à des effectifs instrumentaux variables, et à vrai dire parfois fastidieuse à écouter quand ses interprètes manquent d’aura, cette musique entre ici en résonance particulière avec le vide ambiant. Les phrasés sans recherche d’originalité patente du Concerto pour violon de Bach d’ouverture sont moins passionnants, mais avec quand même une petite surprise: Marko Letonja au clavecin. Schubert en complément: un fragment de Rosamunde et Rendering, pièce hybride où les contrastes entre la musique réellement de Schubert et la ductilité des inserts façonnés par Berio ne ressortent pas assez, mais surtout du fait d’un effectif d’orchestre trop réduit.


Deux semaines plus tard, c’est au tour du jeune chef iranien Hossein Pishkar de se confronter à cette matière insuffisamment dense, dans une Symphonie «Italienne» de Mendelssohn où chaque imperfection de mise au point saute à l’oreille. Mais l’élan imprimé à l’ensemble et la technicité de la battue restent intéressants. Belle émotion dans le Concerto pour violoncelle de Schumann de Victor Julien-Laferrière, lecture fluide et mouvante, sans appuis marqués. Pour l’anecdote, soliste et chef ont à deux ans près le même âge, et deviendront peut-être, la maturité venue, des valeurs sûres du «monde d’après».


En décembre, il était prévu que l’Orchestre philharmonique de Strasbourg descende dans la fosse de l’Opéra du Rhin pour Hänsel und Gretel, conformément au projet original de la regrettée Eva Kleinitz: Parsifal en début d’année 2020 et à l’autre bout, pour les fêtes de Noël, cet ouvrage en quelque sorte symétrique, qualifié malicieusement par le compositeur Engelbert Humperdinck lui-même de «Parsifal pour chambre d’enfants». Une belle occasion pour Marko Letonja de diriger cet opéra qu’il n’avait jamais abordé, mais aussi, pour la première fois depuis ce Parsifal de janvier... de retourner dans une fosse d’orchestre. Cette fois l’endroit ne déborde plus: partition réduite par le britannique Tony Burke pour une trentaine de musiciens seulement, qui redistribue les lignes en faisant peser sur quelques rares cuivres rescapés une charge considérable. La partition garde une certaine magie, mais les interludes manquent sinon de volume du moins d’une véritable substance romantique. Jolie distribution vocale, mise en scène captivante de Pierre-Emmanuel Rousseau, dans une ambiance délétère de conte pour adultes, aux sous-entendus psychanalytiques malsains crûment exposés. Première reportée de quelques jours, afin de coïncider avec la réouverture espérée des salles, mais finalement ce spectacle n’a pu être que filmé, au cours de deux soirées sans public. La captation, retransmise en fin d’année sur plusieurs chaînes locales (Alsace 20, Via Moselle, Canal 32, viàVosges) reste encore accessible sur internet, en cherchant un peu, recommandable surtout pour l’originalité de la mise en scène et l’engagement des chanteurs, davantage que pour son soutien orchestral qui manque de pâte.


Janvier et février sont plus ternes, et surtout sans images. Le relais n’est plus que radiophonique, avec des temps de latence parfois considérables entre le «concert» (désormais plutôt un enregistrement, en plusieurs séances) et sa diffusion. Officiellement, cette renonciation à l’image filmée s’effectuerait afin «de diversifier davantage les sources de diffusion». Langue de bois? Seul pour l’instant le concert du 15 janvier a pu être écouté, sur une radio locale (Accent 4) et sur Radio Classique. On peut en récupérer le contenu sur les sites internet correspondants: compression mp3 de rigueur, image sonore schématique... Indulgence ou pas, on s’ennuie, sous la baguette d’un Duncan Ward peu inspiré par Brahms, qu’il fait languir gentiment, et pas du tout à l’aise dans Stravinsky: une suite de Pulcinella hirsute, qui surexpose une petite harmonie en méforme. Seule raison de s’attarder: le piano clairement articulé d’Adam Laloum, qui reste en phase avec l’ampleur du sujet, autant dans le Second Concerto de Brahms que dans l’Andante du Premier Concerto, accordé en «bis».


La suite? Principalement deux autres concerts déjà en boîte: un Chant de la terre chambriste dirigé par l’intéressant Stanislav Kochanovsky, et des voix prometteuses, Marianne Crebassa et Thomas Blondelle (annoncé début mars sur Accent 4 et Radio classique), et une Fantaisie pour piano et orchestre de Debussy par Jean-Efflam Bavouzet et Marko Letonja (programmé en avril sur France Musique). Les affiches sont belles, mais qu’en restera-t-il de présentable au vu des conditions de captation et de diffusion actuelles?


A quoi bon feindre de l’ignorer: de cette crise inédite ne sortiront pas trop fragilisées que les institutions qui auront su mettre à profit ces longs mois pour repenser durablement leurs modes de communication. A Strasbourg les efforts sont réels, mais les structures inadaptées. La navigation dans le site internet de l’orchestre, laborieuse, mal fléchée, en dit long: de bonnes idées («A la rencontre des instruments»), des initiatives intéressantes («Miroirs: le dialogue des arts»), mais il faut tant de temps et de clics de souris pour dénicher ces instants morcelés, que l’internaute pressé a déjà zappé vers d’autres horizons et n’a rien vu. Quant aux réseaux sociaux, est-il bien réaliste de tabler sur un tel outil pour garder le contact avec un public d’abonnement symphonique, quand on en connaît l’âge moyen? Mais ne désespérons pas: certaines suggestions de modifications faites la semaine dernière paraissent déjà avoir été écoutées...


Virage mieux négocié, celui de l’enregistrement discographique, en partenariat privilégié avec Warner. L’exceptionnel récital d’opéra «Baryténor», enregistré par Michael Spyres et Marko Letonja fin août 2020, sera incontournable pour un public averti lors de sa parution. Mais le plus intéressant n’est peut-être pas là. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg vient d’enregistrer en novembre une douzaine d’extraits du grand répertoire symphonique (absolument rien d’original: Suite de Carmen, Ouverture «1812», Danse macabre, Marche de Radetzky...) en utilisant la technique Dolby Atmos, procédé de spatialisation déjà largement utilisé dans les cinémas et qui vise à renforcer l’impression de réalisme de l’image sonore non seulement en largeur mais aussi en hauteur. Appliqué à la musique d’orchestre, ce procédé permet la restitution d’une scène d’une précision quasi holographique, comme si l’auditeur écoutait l’orchestre à la place du chef, avec la même sensation de dominer les musiciens d’un peu plus haut. Ce Dolby Atmos a déjà été utilisé l’an dernier par Warner dans les studios d’Abbey Road pour une longue playlist enregistrée par l’Orchestre philharmonique de Londres dirigé par le jeune espoir Ben Gernon, en partenariat exclusif avec la plateforme de streaming Amazon Music: résultat commercial impressionnant, avec déjà 50 millions de téléchargements! Dont le nôtre: même simplement lors d’une écoute au casque certains effets immersifs sont saisissants (sur ces trente-cinq morceaux londoniens, on vous recommande particulièrement les «Danses polovtsiennes» du Prince Igor ou le Boléro). Et les perspectives économiques sont probablement exponentielles, avec l’implémentation de cette technologie Dolby Atmos dans de nouveaux modèles d’enceintes connectées grand public, susceptibles de recréer tout un orchestre symphonique entre les quatre murs d’un salon, avec une précision spatiale semble-t-il bluffante, grâce à une technologie de reconnaissance en temps réel des spécificités acoustiques de la pièce. A l’heure ou le gâteau financier du streaming fait l’objet de toutes les convoitises, ces enjeux sont, l’air de rien, colossaux. Somme toute, plutôt que de se battre pour recruter chaque année quelques centaines d’abonnés supplémentaires, n’est-il pas plus lucratif d’être parmi les premiers en lice, lorsque n’importe quel quidam planétaire demandera à son enceinte connectée «Joue moi du classique en 3D»? Brutal renversement des perspectives, pas du tout rassurant d’ailleurs quant à l’évolution de nos modes de consommation culturels, mais vraisemblablement déjà incontournable. Et là, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg dispose d’une vraie longueur d’avance.


Laurent Barthel

 

 

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