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Entretien avec Johannes Fleischmann
01/29/2021



J. Fleischmann (© Tommaso Tuzj)


Le violoniste autrichien Johannes Fleischmann (né en 1983) s’est entretenu avec ConcertoNet à l’occasion de la sortie de son nouvel album «Exodus - Les hommes qui ont façonné Hollywood», consacré à la musique de deux compositeurs juifs autrichiens qui ont fui l’Europe avant la Seconde Guerre mondiale pour se réfugier en Californie: Erich Wolfgang Korngold et Eric Zeisl.


Pour ceux qui ne vivent pas à Vienne et qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous vous présenter ainsi que vos collègues et amis qui ont participé au projet «Exodus»?
Je suis né à Vienne dans une famille de musiciens. Ma mère était professeur de chant à l’université de musique (mdw) de Vienne et mon père contrebassiste à l’Orchestre symphonique de Vienne. À l’âge de 4 ans, mon père m’a présenté à un de ses amis en disant: «Ce sera ton nouveau professeur de violoncelle!». Ma réponse a été la suivante: «Mais je veux jouer du violon!» J’ai donc commencé à jouer du violon à l’âge de 5 ans.
J’ai toujours été très intéressé par la musique composée à Vienne et dans les environs. Pendant mes études, mon intérêt pour la musique de chambre et les projets en solo s’est renforcé. C’est aussi à cette époque que j’ai découvert les œuvres de Korngold.
Après avoir décidé d’enregistrer ce programme, j’ai demandé à Magda Amara si elle voulait bien me rejoindre. Elle est connue comme l’une des meilleures pianistes de musique de chambre, avec un immense répertoire et une sensibilité unique.
Enfin, j’ai entendu au Wiener Volksoper Günter Haumer, qui interprétait de la musique de chambre et des mélodies de Korngold. J’ai senti que sa voix avait la couleur parfaite pour ce genre de musique et je lui ai demandé de se joindre à nous.


D’où vous est venue l’idée du projet «Exodus»?
Le projet «Exodus» est né en 2014, lorsque j’ai interprété une œuvre de Korngold à la Villa Aurora à Los Angeles. Barbara Zeisl-Schoenberg [fille d’Eric Zeisl et belle-fille d’Arnold Schoenberg] était dans le public. Nous avons parlé après le concert et elle m’a invité chez elle. A cette occasion, elle m’a parlé de son père et de sa musique autour d’un café, de Vanille Kipferl et de Sachertorte. C’est alors que je me suis dit qu’inclure le travail d’Eric Zeisl dans un projet plus vaste aurait une grande valeur artistique et historique.
Il y a tellement de parallèles entre les biographies de Zeisl et de Korngold qu’il m’a semblé logique de les inclure toutes les deux. Ayant grandi à Vienne et étant moi-même profondément influencé par la musique viennoise, j’ai tout de suite ressenti un lien profond avec leurs compositions.
Ainsi, «Exodus - Les hommes qui ont façonné Hollywood» parle de deux compositeurs viennois d’origine juive, qui ont décidé de vivre aux Etats-Unis à un moment de leur carrière, pour échapper aux menaces de la Seconde Guerre mondiale.

Tout en étant tous deux très Viennois, Korngold et Zeisl ont eu des esthétiques différentes, l’un conscient du passé et l’autre tourné vers l’avenir. Est-ce bien le cas et comment ont-ils interagi lorsqu’ils vivaient aux Etats-Unis?
Zeisl et Korngold ne se connaissaient pas à Vienne. Korngold est arrivé assez tôt aux Etats-Unis; il a eu la chance de se faire un nom. Ils se sont seulement rencontrés en exil à Los Angeles et y sont devenus amis.
Il se peut qu’il y ait des différences dans leurs personnalités. Korngold avait l’habitude de communiquer au même niveau avec les plus grands artistes de son temps depuis sa petite enfance, ce qui l’a évidemment aidé à trouver sa place dans l’industrie hollywoodienne. Eric Zeisl, en revanche, a grandi dans un environnement totalement différent. Il était plus introverti et, du fait de son arrivée tardive en Californie, la plupart des postes étaient déjà occupés. Zeisl a dû se redéfinir en tant que compositeur et recréer son style pour réussir, tandis que Korngold a été invité à venir à Hollywood en raison de ses compositions.
Korngold avait essayé de soutenir Zeisl en différentes occasions, le recommandant même comme compositeur majeur pour un grand film. Malheureusement, Korngold est mort d’une crise cardiaque avant que le projet ait pu se réaliser. Les producteurs ont décidé de donner son travail à quelqu’un d’autre.
Mais tous deux étaient assez nostalgiques de leur passé à Vienne. Ils aimaient tous les deux cette ville. Korngold a essayé de revenir et a échoué, Zeisl n’a plus jamais remis les pieds en Autriche à cause de ce qui s’était passé.
Tous deux ont accepté le fait que leur avenir sera finalement les Etats-Unis.


Qu’est-ce qui fait de Zeisl et Korngold des compositeurs «juifs»? Y a-t-il quelque chose en tant que compositeur juif?
C’est une excellente question, qu’est-ce qui rend leur musique «juive»?
Comme nous l’avons déjà mentionné, Korngold et Zeisl ont dû fuir les horreurs du nazisme en raison de leur ascendance juive. Je ne pense pas que leur développement musical aurait été le même, sans toutes les expériences qu’ils ont faites dans leur vie.
La musique de Korngold n’a pas été tellement marquée par ses racines juives, mais Zeisl a été très influencé par les événements qui se sont déroulés dans sa ville natale. Zeisl était considéré comme un compositeur de lieder dans la tradition de Schubert, Brahms et Hugo Wolf. Il a perdu sa «langue» après avoir fui l’holocauste en 1938. Le seul lied qu’il a composé ensuite a été en 1945 une Prière.
Ce n’est qu’aux Etats-Unis, dans les années 1940, qu’il s’est redéfini comme compositeur et a découvert ses racines juives. En 1945, il a composé le Requiem Ebraico en mémoire de son père tué dans le camp de concentration de Treblinka et qui a pour base le Psaume 92. Ce fut le début d’une série de compositions utilisant l’idiome juif et l’établissement de Zeisl en tant que compositeur juif.


Vous avez un intérêt particulier pour la Sonate de Brandeis. Pourriez-vous présenter l’œuvre à ceux qui ne la connaissent pas? (et je voudrais ajouter que personnellement, je ne la connaissais pas et que c’est un chef-d’œuvre).
Eric Zeisl a commencé à écrire la sonate en 1949 et l’a achevée en 1950. Elle traite de sa fuite d’Autriche. Il exprime non seulement la douleur et la souffrance, mais aussi une soif effrénée de vivre, doublée d’un espoir jubilatoire pour l’avenir. La sonate comporte trois mouvements, en particulier le premier et le troisième qui contiennent des thèmes de danse joyeuse. Le dernier, en particulier, culmine sur un motif de danse extatique.
La forme classique du rondo montre une merveilleuse connexion entre l’ancienne Vienne et la nouvelle langue juive qu’il a trouvée dans la musique. Le deuxième mouvement, intitulé Andante religioso (hébraïque), lui rappelle son père et est interprété comme une conversation avec Dieu ou une prière.


Une dernière question, que j’ai posée à tous les musiciens pendant la période que nous traversons: comment vous sentez-vous en cette période de pandémie qui touche tout le monde mais surtout les musiciens?
La pandémie est une tragédie humaine dévastatrice. La vie d’amis chers a été emportée par le virus. Elle a également eu des répercussions sur la vie sociale de nombreuses personnes. De plus, pour de nombreuses institutions, le monde culturel dans son ensemble, beaucoup de mes collègues et moi-même, l’année 2020 a été un désastre financier, ayant dû annuler de nombreux projets, concerts, etc.
Mais cela a permis de disposer d’une année, ou du moins de quelques mois, pour reconsidérer ce qui est important dans la vie et dans la musique. Sur le plan artistique, cela m’a donc aidé à certains égards. J’ai essayé de prendre cela comme une chance de me préparer à mes projets, de repenser à ce qui compte vraiment et de regarder l’avenir de façon positive.


La plateforme de streaming de Johannes Fleischmann


[Propos recueillis par Antoine Lévy-Leboyer]

 

 

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