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Entretien avec Renaud Capuçon
06/06/2020



R. Capuçon (© Marc Ribes)


Le 25 mai, l’Orchestre de chambre de Lausanne a annoncé la nomination de Renaud Capuçon en tant que directeur musical à partir de la saison 2021-2022. Depuis Paris, Renaud Capuçon a pris de son temps pour discuter avec ConcertoNet de ses projets.



Je suppose que vous pensiez à ajouter la direction d’orchestre dans vos activités depuis un moment. Comment cette idée vous est-elle venue?
Cela fait très longtemps. J’en parlais déjà il y a plus de quinze ans dans mes interviews. Le déclic est né lorsque j’ai joué dans l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler sous la direction de Claudio Abbado. Un jour, Claudio Abbado a voulu entendre les équilibres durant une répétition de l’Ouverture de Tannhäuser de Richard Wagner. Il m’a donné la baguette m’a demandé de diriger. J’ai ouvert des grands yeux. Je suis allé sur le podium. L’orchestre jouait bien sûr un peu tout seul mais la sensation a été «fondatrice». C’est à ce moment-là que j’ai eu un désir de diriger des orchestres, un désir physique.
Cela s’est concrétisé ensuite dans ma tête assez clairement. J’ai été pendant trois ans le violon solo de l’Orchestre Gustav Mahler, ce qui m’a permis de découvrir le répertoire symphonique. J’ai appris ce que c’est qu’être le lead dans un orchestre, d’être violon solo. C’est un poste essentiel dont on ne parle pas assez en France. Il va au-delà du soliste, au-delà du centre du chambriste, et demande une quantité de de qualités.
Dans les vingt dernières années, j’ai fait sans arrêt des concerts de «violon-direction», avec des orchestres de chambre ou des orchestres symphoniques. Mais je n’avais pas fait le pas d’être seul face à l’orchestre sans violon mais j’y pensais vraiment depuis quinze ans. Chaque fois qu’on me posait la question, je répondais que c’était mon rêve mais que c’était trop tôt.
Chaque année j’en parlais avec mon épouse. Je lui ai dit que j’en étais fasciné, que cela faisait partie de moi, mais que c’était trop tôt et que j’avais trop de respect pour les musiciens d’orchestre. Le cheminement a été long mais maintenant je me sens capable d’aller devant les musiciens.


Vous avez un répertoire en tant que chambriste où soliste qui est très large: est-ce qu’il y a des répertoires précis que vous allez vouloir explorer en tant que chef?
Absolument, cela fait partie de cette fringale de musique que j’ai depuis toujours. C’est pour cette raison que j’ai très tôt imaginé et organisé des festivals. Le répertoire du violon est immense et sublime mais j’avais besoin de programmer autre chose et sans moi.
Pour revenir à votre question, il y a d’innombrables œuvres de Mozart, des divertimentos, des cassations, qui sont absolument splendides et rarement abordées. Les Symphonies de Schubert, que j’adore depuis toujours et qui sont quasiment chambristes. Je pense également à des œuvres de Richard Strauss : une pièce comme Le Bourgeois Gentilhomme, le Duo-concertino que j’ai découvert très jeune et que j’ai toujours rêvé de jouer ou de diriger, des œuvres de Korngold, de Frank Martin...
Avec l’Orchestre de Chambre de Lausanne, c’est comme une porte qui s’ouvre sur des nouvelles découvertes musicales.


A Genève, vous avez fait beaucoup de créations. Vous avez joué le concerto de Matthias Pintscher, celui de Pascal Dusapin... L’Orchestre de chambre de Lausanne a peut-être été moins hardi dans ce type de répertoire. Allez-vous les amener dans le contemporain?
C’est une évidence totale. Cela fait partie de ma vie musicale de violoniste et de directeur musical depuis plus de quinze ans maintenant. J’ai des rapports privilégiés avec de nombreux compositeurs que cela soit Wolfgang Rihm, Benjamin Attahir, Pascal Dusapin et tant d’autres. Je veux les partager avec les musiciens de l’Orchestre de chambre de Lausanne. Nous aurons une ambition de création régulière avec de œuvres modernes.
Je n’aime pas le mot de «contemporain», qui fait peur au public, et préfère parler de la musique d’aujourd’hui. Il faut que cette musique soit jouée au même titre que Mozart, Bach, Schubert... et que cela entre dans une normalité, que cela ne soit pas exceptionnel.
Donc oui, les œuvres d’aujourd’hui seront présentes à part entière.


Vous évoquez des compositeurs qui ont été marqués par les pratiques des musiciens issus du baroque. Est-ce que c’est un style qui vous a influencé?
Oui forcément. Nous avons tous été influencés par des musiciens comme Leonhardt, Harnoncourt ou Gardiner. J’ai très envie de jouer Bach avec l’Orchestre de chambre de Lausanne. Des œuvres comme les Concertos brandebourgeois ou les Suites ont été laissées durant ces vingt dernières années aux «baroqueux». Tout le monde a droit de jouer Bach. Une Messe en si jouée par un orchestre symphonique est restée assez rare ces dernières années. Cela revient lentement et c’est merveilleux.
Nous avons tous à apprendre de Bach mais aussi, comme nous avons tant appris des musiciens fabuleux à nouveau qui viennent du baroque, autant jouer ses œuvres. Je n’ai pas envie de mettre de barrière dans les répertoires. Ce que j’ai envie de jouer part de Telemann ou Haendel et arrive jusqu’à la musique d’aujourd’hui.


Il y a un grand projet à Genève: bâtir une Cité de la musique qui permette d’avoir un espace qui recouvrerait salle de concert et enseignement musical. Y a-t-il un projet équivalent à Lausanne?
Je ne sais pas encore, il faut me laisser arriver. Les villes sont quand même très proches. J’ai donné peu de concerts dans la Salle Métropole, dont l’acoustique est bonne. Je suis enseignant à la Haute Ecole de Lausanne. Mais regardez le succès de la Philharmonie de Paris, qui a été pensée par Boulez. Il n’aura pas entendu des concerts dans cette salle qu’il avait appelée de ses vœux mais quel bonheur. J’y étais hier soir pour y donner un concert sans public avec les Métamorphoses de Richard Strauss. Cette acoustique est merveilleuse. Un tel projet serait formidable pour Genève et pourquoi pas pour Lausanne.


Cela doit être dramatique pour les acteurs du spectacle vivant de ne pouvoir pratiquer leur métier. Comment vivez-vous cette période si difficile?
Je l’ai vécue comme nous tous. Avec une immense frustration de ne pas pouvoir jouer et partager la musique. Ce qui manque le plus n’est pas la scène en soi mais de pouvoir partager. Lorsque nous avons répété ces Métamorphoses de Strauss, nous avions l’impression de revivre, d’une vraie renaissance. C’était incroyable.
Le temps était long. Nous étions dans un tunnel sans visibilité. Certains comme moi ont eu besoin de jouer tous les jours comme une bouée de sauvetage. Je sais jouer du violon et c’est tout ce que je sais faire. Je vais tous les matins sortir mon violon quoi qu’il se passe. Même si je suis déprimé, je vais jouer. D’autres ont préféré ne pas jouer et ne pas toucher leur instrument, d’autres ont lu et ont essayé d’imaginer des projets. Nous avons également réalisés ces quatorze concerts sans public avec Medici à la Fondation Polignac, captés et diffusés gratuitement. Cela a donné à tous ceux qui jouaient un peu d’espoir et le plaisir de rejouer.
Ce qui est terrible, c’est le cas plus général des intermittents. Il y en beaucoup qui ont des difficultés financières terribles. Ce sont ceux-là qu’il faut aider. En France, le Président a annoncé une année blanche pour les intermittents, qui est ce qu’il faut faire. Il faut également penser aux indépendants, qui ne sont pas des intermittents. Ce sont des musiciens de chambre, des enseignants... qui, sans leurs concerts, n’ont aucun revenu. Tout s’est arrêté pendant trois ou quatre mois. Il faut aider ces gens-là, on s’y attelle et j’espère que cela bougera.
Il faudra réfléchir comment organiser les concerts en laissant un ou deux sièges vides, comment payer les musiciens. On aura besoin en France de l’Etat. Il y aura toute une période d’adaptation qui, j’espère, débouchera sur un futur plus heureux.
Mais si ce confinement a été terrible, il y a quand même eu des choses positives. Revoir hier la Philharmonie de Paris nous a fait réaliser à nouveau à quel point c’est un bijou. Le premier café que l’on pourra reprendre sera exceptionnel. Rien que d’en parler à ce que sera le fait de rejouer un concerto, une sonate, j’en ai la chair de poule. Ce sera une émotion incroyable la première fois que j’entrerai sur scène même si c’est pour cinquante personnes.
C’est pour cela que nous musiciens sommes fait, pour jouer et communiquer avec un public.


[Propos recueillis par Antoine Lévy-Leboyer]

 

 

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