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Présentation à Garnier de la saison de l’Opéra 02/02/2018
(© Elena Bauer/Opéra national de Paris)
Gleichzeitig !
L’Opéra national de Paris vient d’annoncer sa saison «anniversaire» 2018-2019 au cours d’une soirée «exceptionnelle» et singulière.
La date avait été réservée depuis longtemps mais le programme de cette soirée du double anniversaire des 350 ans de la création de l’Opéra de Paris par Louis XIV et du trentième de l’ouverture de l’Opéra Bastille restait mystérieux. On annonçait qu’il remplacerait la traditionnelle conférence de presse et allait comporter la participation de nombreux artistes. Mais comment allait-ce s’ordonner? L’une avant, l’autre après ou le contraire? Eh bien, comme le dit le Majordome dans Ariane à Naxos, c’est «en même temps», «gleichzeitig!», que cela s’est produit. Tour à tour chanteurs et danseurs sont venus alterner avec d’inégales séances de questions/réponses posées par des artistes aux responsables de l’Opéra de Paris et participants à la programmation.
Devant un public comportant journalistes, sponsors importants, spectateurs «méritants», et jeunes de moins de 28 ans, la saison a été annoncée comme ouverture de la soirée par le directeur, Stéphane Lissner. Beaucoup de satisfecit et de déclarations d’intentions dans ce discours qui insistait beaucoup sur la nécessité de ne pas figer le genre opéra dans le passé en le confiant à des créateurs charger de le faire coller à l’actualité (on croyait par moments entendre à nouveau Gerard Mortier). Le goût de cendres laissé par de récentes productions, comme La Bohème confiée à Claus Guth, permettait de laisser le doute planer. La fonction pédagogique des maisons d’opéra était complétement escamotée: comment un jeune public va t-il apprendre le répertoire, fût-il invité à des soirées aux tarifs très préférentiels, si ce qu’il voit sur scène ne correspond pas au livret de l’œuvre? Ce ne sont certainement pas les générations actuelles et futures qui apprendront comme les anciennes avec des enregistrements sans image et le livret à la main.
De ces interventions, seule celle du directeur musical, Philippe Jordan, nous aura paru complétement satisfaisante, en situation et claire sur la politique musicale de la maison. Celle d’Aurélie Dupont, directrice de la danse, d’une grande élégance de langage, sonnait un peu creux et n’était pas tout à fait claire sur la parité classique/moderne du répertoire (on appréciera comment le programme semble dire autre chose...). Parmi les metteurs en scènes et chorégraphes, seul Robert Carsen a apporté son expérience de metteur en scène de façon pédagogique. L’intervention de Romeo Castellucci était nébuleuse et celle de Mats Ek laborieuse.
H. Marchand, L. Pagliero (© Elena Bauer/Opéra national de Paris)
Pour la partie spectacle, on peut dire que l’Opéra de Paris s’était donné du mal compte tenu de la disponibilité des artistes, et il y eut de bons moments. On retiendra pour la partie chorégraphique le duo sur trois Gnossiennes de Satie par Hans van Manen chorégraphe d’une grande inventivité, rare à Paris, superbement dansé par Ludmilla Pagliero et Hugo Marchand et joué par la pianiste Elena Bonnay (cette œuvre sera donnée dans un programme composé l’an prochain), beaucoup plus que le navrant tableau autour de Degas par les élèves de l’Ecole de danse, malgré le dispositif de scène ouverte jusqu’au Foyer de la danse. Blake Works I, pas de deux de Forsythe, avait de l’allure dansé par Léonore Baulac et François Alu.
Pour le volet lyrique, bien que visuellement et dramatiquement cela n’ait pas été le meilleur de la soirée, pour le chant ce l’était avec la scène de reconnaissance (duo Simon/Amalia) de Simon Boccanegra de Verdi par Ludovic Tézier et Sondra Radvanovsky. Tézier est au sommet de ses moyens vocaux et stylistiques et ce duo pauvrement accompagné au piano par Stéphane Jamin laisse augurer de sa splendide prise de rôle en novembre dans une nouvelle production de Calixto Bieito. Pas de participation de l’orchestre maison mais quelques musiciens de l’ensemble Cappella Mediterranea de Leonardo García Alarcón pour une Passacaille d’Armide de Lully qui, symboliquement, ouvrait le programme et pour «Forêt paisible» des Indes galantes, autre nouveau spectacle (décembre 2019), qui sera mis en scène par Clément Cogitore avec une belle distribution de chanteurs français (Devieilhe, Fuchs, Barbeyrac...).
De cette saison 2018-2019 que l’on pourra consulter sur le site de l’Opéra de Paris, on peut dire aussi qu’elle comportera pour le lyrique beaucoup de reprises de production pas toujours très exaltantes: La Cenerentola (Gallienne), La Flûte enchantée (Carsen), Carmen (Bieito), Don Pasquale (Michieletto). Celle de Tristan et Isolde (Sellars/Viola) qui ouvrira la saison sera dirigée par Philippe Jordan et accueillera une nouvelle distribution. Beaucoup de chanteurs de premier plan sont invités mais saupoudrés dans des distributions souvent inégales: Alagna, Harteros (réputée pour ses annulations de dernière heure), Damrau, Skovhus, Tézier, Garanca, Yoncheva, Serafin. L’ensemble des distributions ne nous semble pas digne d’une première scène lyrique nationale pratiquant de tels prix de places.
Les événements de la saison seront une création: Bérénice de Michael Jarrell, soigneusement préparée par Philippe Jordan qui la dirigera dans une mise en scène de Claus Guth avec Bo Skovhus, Barbara Hannigan et Florian Boesch. On retrouvera les metteurs en scène favoris de Gerard Mortier, dont les productions sont très souvent contestées: Dmitri Tcherniakov mettra en scène Les Troyens de Berlioz (hommage à l’ouverture de Bastille), Krzysztof Warlikowski Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch, et Barrie Kosky débutera à Paris avec Le Prince Igor de Borodine dirigé par Philippe Jordan.
Le programme chorégraphique, première saison entièrement préparée par Aurélie Dupont, invitera la compagnie de Martha Graham, l’Israélien Ohad Naharin, Marco Goecke, Anne Teresa De Keersmaeker, Mats Ek, Wayne McGregor, Hiroshi Sugimoto et Crystal Pite. Il comportera relativement peu de spectacles classiques ou néoclassiques avec des reprises de Noureev, Neumeier et Jerome Robbins.
Olivier Brunel
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