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02/21/2002

Camille Saint-Saëns : les Deux Quatuors à Cordes :
N° 1 en mi mineur opus 112 ; N° 2 en sol majeur opus 153.


Sarastro Quartett - 1 CD Pan Classics, 2001, n° 510 133.


Certains clichés ont fâcheuse tendance à être tenaces, et il est presque usuel chez les mélomanes actuels de clabauder contre Saint-Saëns : estimable symbole d’un classicisme poussiéreux, habile tâcheron de la musique française sans grande originalité... Paraphrasant la célèbre pique de Chabrier à l ’encontre d’Ambroise Thomas, on pourrait aisément distinguer trois sortes de musique, à les en croire ; la bonne, la mauvaise, et celle commise par l’auteur de Samson. Obsolète, à la limite de l’ameublement salonnard ! Force est de reconnaître que le redoutable improvisateur au piano (devant un Wagner ébahi, il livra une transcription intégrale de Tristan !) n’avait pas son pareil pour éructer d’implacables admonestations envers les petits génies musicaux de la génération montante – insolents trublions (Debussy ou Ravel) malmenant, bousculant la tonalité.


Gardien de la Tablature, donc, avec Jules Massenet et l’ombrageux Ambroise Thomas précité ; Camille Saint-Saëns serait en quelque sorte le dernier thuriféraire d’une vieille garde d’artistes, vénérant entre autres Haydn et Beethoven. En aucun cas il ne quitterait les rivages ô combien confortables de la sacro-sainte écriture tonale, en se méfiant comme de la peste des sortilèges sulfureux du chromatisme wagnérien. Le label suisse Pan Classics, avec ce disque de musique de chambre superbe et – avouons-le – très inattendu, balaie les a priori persistants, et nous invite ex abrupto à un curieux périple en compagnie d’un musicien plus problématique que prévu.


Grâce au magistral Quatuor Sarastro, c’est la tourmente d’une tempête déchaînée qui souffle sur ces deux œuvres, écrites à vingt années d’intervalle. Les archets claquent, griffent, mordent – et renouvellent du même coup l’idée générale que l’on se faisait de ce bourru dogmatique, engoncé dans un conservatisme de bon aloi. Les Sarastro prennent un vif plaisir à tordre le cou à cette présomption irréfragable : là, l’on redécouvre Saint-Saëns ! Le premier quatuor date de 1899 ; de facture traditionnelle au premier abord, il propose une charpente solidement étayée par des réminiscences de Haydn et Schubert.


Ainsi, l’Allegro post-mendelssohnien : la machine s’emballe, comme si chacun des solistes voulait en découdre avec le postulat de formalisme étroit, voire frigide, qui colle à la peau du maître pour l’ensemble de son corpus. Le poétique Molto adagio (troisième mouvement) s’immerge dans un faisceau de couleurs nocturnes proches de Gustav Mahler. Notamment, les toutes premières mesures, qui ressemblent à s’y méprendre à une esquisse de transcription d’un Adagio surgi de l’univers dépressif de ce compositeur : subtile élaboration d’un matériau thématique révolutionnaire, de la part d’un musicien que l’on ne saurait étiqueter comme tel.


Sentiment encore plus flagrant dans le second (et dernier) quatuor, datant de 1919. Trois sections marmoréennes dans lesquelles l’on sent sourdre un lyrisme doucement effusif, une douleur infime. C’est une partition testamentaire, d’une haute valeur spirituelle ; un bilan musical troublant qui émane d’un vieil homme ayant conscience d’avoir vécu trop longtemps. Au sortir d’une guerre particulièrement absurde, il met à jour une ultime fois (il mourra deux ans plus tard) ses contradictions internes, ses fêlures intimes et ses failles secrètes.


Le Molto adagio reflète cet état d’esprit, avec sa cascade de thèmes faussement primesautiers : aussitôt ébauchés, aussitôt décapités. Comme s’il susurrait à notre oreille : « ma triste aventure est maintenant terminée », dans ce qui constitue in fine une Chanson perpétuelle sans paroles. Le nerveux Quatuor Sarastro, à la fois exubérant et languide, souligne avec panache les multiples contrastes d’un paysage harmonique escarpé ; rattachant directement son auteur au dernier Beethoven. Comme si, le temps d’un quatuor, s’éveillait à la fin de son existence un rebelle fragile ; le vrai Camille Saint-Saëns démasqué ?


Etienne Müller

 

 

 

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