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04/22/2024
Johann Sebastian Bach : Suites pour violoncelle seul, BWV 1007 à 1012 (arrangement Jarry)
Thomas Jarry (piano)
Enregistré à Buc (29 août-2 septembre 2023) – 119’05
Album de deux disques Aparté AP352


Sélectionné par la rédaction





On a beau savoir que Bach, qui n’était pas lui‑même le dernier à s’approprier d’autres musiques, à commencer par Vivaldi, ou à recycler les siennes de fort diverses manières, est le compositeur qui résiste le mieux à tous les (bons ou mauvais) traitements, de Schumann à Tomita en passant par Gounod, Busoni et W. Carlos, cette étrange entreprise consistant à adapter au piano les Suites pour violoncelle seul de Bach, même si elle a déjà été tentée notamment par Raff ou Godowsky (« very freely », ainsi que l’admet ce dernier), suscite d’emblée une réaction instinctive et épidermique : mais où l’hubris des pianistes s’arrêtera‑t‑elle ? Comme si son œuvre pour clavier n’était pas déjà assez vaste et suffisant !


La deuxième réaction est également interrogative, mais plus inquiète : mais que cela va‑t‑il pouvoir donner ? Car enfin, quelle que soit la richesse de l’écriture de Bach, soit on se contente d’allonger sur la table (d’harmonie) un squelette dont la séduction sonore risque d’être limitée, soit, afin de passer de la monodie à la polyphonie, on enrichit – horresco referens – le texte original, ce qui fait défiler dans l’esprit toutes sortes de qualificatifs peu plaisants (risque, arrogance, sacrilège). Va‑t‑il s’agir d’édifier à nouveau des cathédrales néogothiques à la Busoni ? Ou bien de réaliser un médiocre sous‑produit des Suites françaises, des Suites anglaises ou des Partitas pour clavier ?


Etape suivante : compassion, car on ne peut que plaindre celui qui se lance un tel défi, à la fois de conception et d’interprétation. Alors certes, Brahms a arrangé la Chaconne de la Deuxième Partita pour violon, mais c’était pour la main gauche seule. Ici, hors de question de rester dans le grave et le médium du violoncelle, faute de quoi on n’entendrait qu’un piano tronqué, et il faut donc aller autant que possible vers l’aigu. Plus généralement, il s’agit de transformer des œuvres (par excellence) violoncellistiques en pages de nature pianistique, tout en essayant de conserver une dimension importante de ces Suites, à savoir leur exigence physique pour l’interprète : il faut qu’on sente que le pianiste, comme le violoncelliste, s’engage dans une lutte sinon avec son instrument du moins avec la matière des notes.


Quant à l’interprétation, il y a non seulement les enjeux habituels du choix de l’instrument – moderne, en l’occurrence (un Gaveau de 1953 qui fut un temps celui de Cziffra avant d’être frappé de diverses calamités puis récemment restauré par Rémi Combaz) –, ce qui pose les questions usuelles de pédale, d’articulation, de toucher, etc., mais aussi des problèmes spécifiques : ainsi, faut‑il avoir en mémoire l’archet original ou bien jouer pleinement la carte pianistique ?


Et c’est un profil pour le moins intriguant qui relève le gant : frère du chef et organiste Gaétan Jarry, Thomas forme avec un autre frère, Damien, violoncelliste  – tiens, tiens –, un duo qui non seulement s’approprie la Deuxième Sonate pour piano de Chopin mais se produit avec des adaptations « classiques » de chansons de Queen et d’Elton John. Et de revendiquer pour son travail sur Bach « un esprit et une esthétique baroques » !


Provocation ? Que nenni, car si ce double album semblait avoir tout de l’ovni, au mieux, et du désastre, au pire, le résultat se révèle convaincant et même enthousiasmant. D’abord, bien entendu, par son extrapolation réussie de la partition princeps, augmentée, assurément, mais pas hypertrophiée : le potentiel polyphonique et contrapuntique de l’écriture de Bach pour violoncelle se déploie ici sans surcharges « romantiques », même si l’instrument et l’approche interprétative ne sont pas d’une orthodoxie à la Leonhardt ou même à la Gould. Il y a de la souplesse dans le jeu, une pédale utilisée avec discernement mais qui n’hésite pas, le moment venu, à majorer la grandeur et la puissance du propos, et une virtuosité indéniable qui frappe dans les pages rapides, gourmandes et jubilatoires.


L’auditeur a donc tout lieu d’être pleinement satisfait. Ensuite, Thomas Jarry a‑t‑il publié ses arrangements ou envisage‑t‑il de le faire ? Nul doute en tout cas que nombreux seront les pianistes, professionnels comme amateurs, à avoir envie de se faire plaisir avec ce recueil aussi intelligemment mis à leur portée.


Simon Corley

 

 

 

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