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08/21/2020
Olivier Messiaen : Quatuor pour la fin du Temps
Mark van de Wiel (clarinette), Zsolt-Tihamér Visontay (violon), Mats Lidström (violoncelle), Min-Jung Kym (piano)
Enregistré en la chapelle Notre-Dame de Bon-Secours, Paris (juin 2016) – 45’06
Psalmus PSAL 027 (distribué par Socadisc) – Livret (en français et en anglais): écrits d’Olivier Messiaen et de Frédéric Dieu





Thomas Adès : Court Studies
Olivier Messiaen : Quatuor pour la fin du Temps

Raphaël Sévère (clarinette), Trio Messiaen: David Petrlik (violon), Volodia van Keulen (violoncelle), Théo Fouchenneret (piano)
Enregistré à Mons, Belgique (20-22 décembre 2017) – 60’44
Mirare MIR 334 – Notice (en français, anglais et allemand) d’Yves Balmer


Sélectionné par la rédaction





«Fin du temps»
Tōru Takemitsu : Quatrain II
Olivier Messiaen : Quatuor pour la fin du Temps

José Luis Estellés (clarinette), Aitzol Iturriagagoitia (violon), David Apellániz (violoncelle), Alberto Rosado (piano)
Enregistré à Grenade, Espagne (28-31 août 2019) – 61’20
Ibs Classical IBS 72020 – Notice (en espagnol, français et anglais) d’Yvan Nommick





Œuvre hors norme par son style, par son effectif et par les circonstances dramatiques de son inspiration, de sa composition et de sa création, le Quatuor pour la fin du Temps (1940) d’Olivier Messiaen (1908-1992) exerce sur les musiciens et sur le public une fascination qui traverse les décennies et encourage de fréquentes interprétations au concert comme au disque. Trois parutions relativement récentes en témoignent. La chapelle Notre-Dame de Bon-Secours accueille, pour Psalmus, trois instrumentistes solistes de l’Orchestre Philharmonia de Londres et une pianiste souvent y invitée. Diplômés du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, les jeunes musiciens du Trio Messiaen ont pour complice, depuis leurs débuts en 2014, le clarinettiste français Raphaël Sévère. Ensemble ils tirent profit des éléments nouveaux qu’apportent le manuscrit annoté et les carnets de travail récemment déposés à la Bibliothèque Nationale. Tout aussi complices, les quatre Espagnols entretiennent tous des liens avec Musikene, l’Ecole supérieure de musique du Pays basque, et se produisent au concert ensemble en duo, en trio ou en quatuor.


La composition de Messiaen est riche et les subtiles différences entre les manières de l’aborder, hier comme aujourd’hui, ne peuvent qu’ajouter à l’attrait de chaque nouvelle tentative. Comme il se doit, les trois ensembles ont chacun une vision de l’œuvre qui impose à leur prestation de certains partis pris. Les Espagnols, plus extérieurs, en accentuent la modernité, la rythmique et les rythmes spéciaux en adoptant un jeu direct aux attaques franches et aux effets accentués. La cohésion chambriste et ressentie des «Français» met l’accent sur les profondeurs expressives et sur leur luminosité variable. L’ensemble londonien s’évertue à respecter la partition avec une rigueur affinée à la lumière des écrits visionnaires et donc des intentions de Messiaen.


Les différences d’approche s’éclairent si on prend en exemple le septième mouvement, «Fouillis d’arcs-en ciel, pour l’Ange qui annonce la fin du temps», qui rappelle certains éléments, dont le beau thème mélodique, du deuxième mouvement. Fondé sur l’alternance contrastée de ce thème et d’un épisode d’une épaisseur harmonique extrême, ce mouvement permet aux Espagnols de laisser déployer la douceur lyrique du violoncelle puis de mettre leur jeu franc au service d’une «compénétration giratoire de sons et de couleurs surhumains» (*) avec beaucoup de clarté. Les «Français», expressifs et non sans énergie, alternent un violoncelle rêveur avec de «brusques étoiles», de fines irisations et des ruissellements de cristal. Les Londoniens laissent libre cours à un violoncelle un peu moins rêveur mais d’une belle ampleur et profitent de la légère résonance de l’église pour que la polyphonie sonne comme des reflets diffractés de vitraux aux mille couleurs.


Le piano n’est absent que lors du solo de clarinette et de l’«Intermède» plus extérieur, riant et joueur, qui met en mémoire le style collectif des Six. Accompagnateur ou plus actif mais jamais soliste, son rôle en général n’est pas aisé puisque c’est son jeu qui établit ou rompt l’équilibre de l’ensemble. Si Rosada peut avoir parfois la main lourde et Kym trop affirmer sa présence, Fouchenneret, plus discret mais sonnant clair aux moments opportuns, réussit à rester dans la respiration du mouvement ou de l’instrument soliste. Les écarts se creusent moins entre les autres instruments. Les trois clarinettistes, solistes de l’«Abîme des oiseaux», aux tenues de notes impressionnantes, communiquent avec succès les «tristesses et lassitudes du temps», le jeu plus lent de Sévère d’une désolation extrême. Tout en légèreté lumineuse chez Sévère, les effets d’oiseaux deviennent de «jubilantes vocalises» chez Wiel et chez Estellés, aux rythmes plus marqués. Solistes accompagnés de «Louange à l’éternité de Jésus», les violoncellistes émeuvent par leur chant, comme souhaité, «révérencieux, puissant et doux», Keulen d’une noblesse touchante, Lidström, majestueux, et le large vibrato d’Apellániz y trouvant toute sa pertinence. Le violon accompagné de «Louange à l’Immortalité de Jésus» termine la composition tout en douceur, Petrlik avec une tendresse infinie, Visontay délicatement expressif et l’éloquence d’Iturriagagoitia tout à l’avantage de la mélodie.


La prise de son, si différente dans les trois cas, détermine d’avance l’impact premier de chaque version. Psalmus spatialise le son et capte l’ambiance de l’église, mais si c’est un rappel constant du caractère spirituel de l’œuvre, la captation sonore invite toujours une légère résonance qui s’approche jusques à un effet d’écho, lors de la «Danse de la fureur», qui, finalement, sied aux allures recherchées de gongs et de trompettes. Les «Français» optent pour une prise de son plus intime, chaleureuse, peu réverbérée mais non sans relief. Elle valorise la sensibilité nuancée de leur prestation sans permettre d’excès d’éclat. Une prise de son claire, proche de chaque instrument, met en valeur les timbres mais individualise, peut-être parfois de trop, selon les mouvements, le jeu franc des Espagnols. La proximité peut donner quelques stridences à la clarinette et pousser le piano du rôle de complice ou d’accompagnateur à celui de rival.


Les trois versions se distinguent in fine par leur choix d’un complément de programme. Psalmus, par vocation, se dédie à la musique sacrée. Le Quatuor de Messiaen y est pleinement qualifié et l’isoler, en le présentant seul, a-t-on dû trouver, ne peut qu’intensifier son caractère profondément spirituel. Préférant compenser la durée un peu juste de la partition, Sévère et le Trio Messiaen, qui ont le projet d’explorer ensemble le répertoire pour ce même effectif de Bernhard Crusell à nos jours, proposent en prélude les Etudes de Cour (2005) de Thomas Adès (né en 1971), aux thèmes inspirés d’airs de son opéra The Tempest (2004) confiés au Roi de Naples et à des membres de sa cour, espiègles, flagorneurs, gracieux, fragiles, mélancoliques, puissants, dramatiques ou désespérés. Le quatuor français rend pleinement justice à l’expressivité et à la fine coloration forte ou délicate de ces six miniatures dont les échos élisabéthains, tour de force d’Adès étant donné l’instrumentation et la modernité du propos, renforcent le lien avec les personnages de Shakespeare.


Les Espagnols optent pour une pièce dédiée à Messiaen. Quatrain II (1977) de Tōru Takemitsu est une élaboration du quatuor soliste de Quatrain pour clarinette, violon, violoncelle, piano et orchestre, composé en hommage à Messiaen en 1975. La compétence des quatre instrumentistes n’est pas à mettre en doute mais s’ils évitent les excès de nébulosité de certaines versions, le revers de la médaille est une trop grande individualisation des timbres et une recherche trop appuyée de contrastes et de micro-silences à vide là où les silences doivent être un évanouissement du son et aussitôt son devenir. Quatrain II est une juxtaposition organique de sons composés qui, dans la constance du flux, s’épanouissent et se meurent. Les modes employés, la parenté entre le motif principal et une idée mélodique de «Fouillis d’arcs-en-ciel» et la fréquence des quartes augmentées soulignent avec force l’hommage rendu à Messiaen, le compositeur tant estimé.


Le Quatuor pour la fin du Temps bénéficie d’une discographie fournie et chacun y aura ses préférés. Il n’empêche que l’intérêt que l’œuvre suscite encore aujourd’hui chez les jeunes interprètes et les interprètes étrangers sera toujours à encourager concrètement si ce n’est parce que, dans un premier temps, cela garantit sa présence constante à l’affiche avec, pour l’auditeur, une multiplication d’occasions de l’entendre en direct pour son plaisir accru.


(*) Les citations sont toutes de Messiaen.


Christine Labroche

 

 

 

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