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04/30/2020
Giuseppe Verdi: Attila
Ildebrando D’Arcangelo (Attila), Liudmyla Monastyrska (Odabella), Stefano La Colla (Foresto), Stefan Sbonnik (Uldino), George Petean (Ezio), Gabriel Rollinson (Leone), Chor des Bayerischen Rundfunks, Stellario Fagone (chef de chœur), Münchner Rundfunkorchester, Ivan Repusic (direction)
Enregistré en public au Prinzregententheater de Munich (13 octobre 2019) – 101’24
Album de deux disques BR Klassik 900330





Attila semble bénéficier ces dernières années d’un retour en grâce. L’opéra, typique de ce que l’on a l’habitude d’appeler les «années de galère» de Verdi, n’est pas facile à monter, car il nécessite dans la distribution une basse rôdée au bel canto et un soprano drammatico d’agilità, tous deux fort rares. Avant-hier, la forte personnalité d’un Christoff, d’un Ghiaurov, suffisait pour qu’on monte l’ouvrage, dans un style contestable. Hier, c’était le cas autour de Carlo Colombara ou Samuel Ramey, dans un style bien plus idoine, l’intégrale studio de Muti publiée en 1989 ayant révélé l’opéra au plus grand nombre. Aujourd’hui c’est Ildar Abdrazakov qui en garantit le succès, de Milan à Barcelone en passant par le Mariinsky et Monte-Carlo, et les Français ont pu entendre l’ouvrage à Lyon et au Théâtre des Champs-Elysées en 2017 sous la baguette de Rustioni (avec Ulyanov et Schrott).


Une fois encore c’est l’occasion d’une représentation de concert qui permet la publication au disque. Une fois encore, on peut se demander si la distribution offre ce que l’on peut trouver de mieux aujourd’hui. Certes, Ildebrando d’Arcangelo a pour lui un italien congénital, un ambitus à peu près pertinent (même s’il est plus baryton-basse que basse aujourd’hui, le grave comme l’ampleur étant limités) et il a osé en 2009 un disque d’airs de Haendel et en 2005 une intégrale du Bajazet de Vivaldi qui sont censés garantir sa filiation belcantiste. Cependant il n’est pas un rossinien comme l’a été Abdrazakov en début de carrière, ou comme Ramey l’a été, sans rival, durant toute la sienne. Et ce n’est pas Liudmyla Monastyrska qui va lui contester la palme dans ce domaine: elle se taille un beau succès depuis une dizaine d’années dans des rôles comme Aïda, Lady Macbeth ou Tosca voire Abigaille, mais elle n’a jamais brillé par la fluidité de sa technique.


Et on s’en rend vite compte puisque l’entrée des protagonistes permet de juger de leur adéquation au style de l’œuvre dès les premières phrases, nourries du bel canto finissant des décennies précédentes (Attila fut créé en 1846, juste avant Macbeth). Après un beau Prélude frémissant permettant d’apprécier le très bel Orchestre de la radio de Munich, et l’excellente prise de son qui flatte le Chœur de la Radio bavaroise, très à l’aise dans les parties délicates de l’œuvre (moins dans les parties les plus éclatantes), notre enthousiasme est vite douché par l’arrivée d’Attila, dans une page presque digne du Zaccaria de Nabucco, «Eroi, levatevi», d’Arcangelo manquant de puissance comme de souplesse pour lui rendre justice. Mais ce n’est rien comparé à l’entrée d’Odabella, nécessitant un alliage redoutable de puissance et de virtuosité: le fameux «Santo di patria» est ici méconnaissable, les sons poussés, l’aigu arraché. Les défauts techniques de la soprano dramatique ukrainienne sont moins manifestes dans les parties cantabile délicates de l’ouvrage, comme au début de l’acte I, la déploration «Liberamente or piange» la montrant plus à son aise dans le pianissimo. Mais dès que la dynamique s’élève, la voix bouge dangereusement et le style heurte l’oreille. Monastyrska sabote ainsi malheureusement tous les ensembles auxquels elle prend part. Il aurait mieux valu choisir Anna Pirozzi, qui aujourd’hui est intouchable dans ce répertoire.


D’Arcangelo, lui, est un cas plus complexe. Il sait bien tirer parti des tempi lents, où ses qualités dramatiques lui permettent d’exprimer les doutes et les fêlures du roi des Huns. Mais il manque de projection et de mordant dans les parties rapides très nombreuses ici, dans ce Verdi «risorgimental», souvent frénétique et galopant, qui creuse peu la psychologie des personnages, encore assez rossinien dans l’esprit. La magnifique scène de l’hallucination («Mentre gonfiarsi l’anima») déçoit vraiment ici à cause de lui. L’œuvre cependant offre de beaux moments (de splendides ambiances comme les chœurs au bord de mer à la scène 6 de l’acte I, les feux du camp d’Attila à l’acte II, l’orage de la scène 5 de l’acte II, et la belle prophétie du pape Léone) et un grand sens de la progression dramatique, sauf au dernier acte, qui manque cruellement d’inspiration et dénoue de façon abrupte et maladroite un entrelacs malhabile d’intrigues amoureuse et politique.


Heureusement, les deux autres protagonistes nous offrent plus de satisfactions: le ténor italien Stefano La Colla, s’il ne peut faire totalement oublier Carlo Bergonzi, idéal dans ce rôle, l’approche d’assez près. L’aigu est lumineux, le legato remarquable, le phrasé racé, l’italien parfait: the right man at the right place. Il fait un sans-faute, dans les ensembles comme dans son air de l’acte III «Che non avrebbe il misero», et confirme qu’il est un des meilleurs ténors actuels dans le répertoire de Verdi et Puccini. De son côté, le baryton roumain George Petean est un très bel Ezio, d’une diction très claire, et d’une belle extension dans l’aigu. Seules quelques notes du haut médium sont plus rétives, sans qu’elles gâchent le plaisir d’entendre une voix saine et élancée très à l’aise dans un rôle trop court.


Le chef croate Ivan Repusic tient ses troupes d’une main sûre, bien qu’il ne réalise pas tout à fait la quadrature du cercle dans cette partition complexe où l’originalité des pages picturales et l’éclat des rythmes brillants sont fort difficiles à lier. Mais ce sont surtout deux grandes voix vraiment belcantistes qui nous ont manqué pour apprécier pleinement l’enregistrement.


Philippe Manoli

 

 

 

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