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09/17/2014
«Russia»
Alfred Schnittke : Trois Hymnes sacrés
Serge Rachmaninov : Concert sacré en sol mineur «Prières vigilantes de la Sainte Vierge»
Sofia Goubaïdoulina : Hommage à Marina Tsvetaieva [*]
Serge Taneïev : Douze Chœurs sur des textes de Yakov Polonski, opus 26: n° 10 («Les Etoiles»), n° 11 («Deux nuages sombres sur la montagne») & n° 12 («Lorsque sur la mer endormie»)
Mikhaïl Glinka : Chant des Chérubins en ut majeur
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Liturgie de saint Jean Chrysostome, opus 41: n° 6 («Chant des Chérubins»)

Wakako Nakaso (soprano), Sabine Czinczel (alto), Alexander Yudenkov (ténor), Mikhail Shashkov (basse) [*], SWR Vokalensemble Stuttgart, Marcus Creed (direction)
Enregistré au SWR Funkstudio, Stuttgart (9-11 et 16 juillet, 6 novembre 2013) – 62’10
Hänssler Classic SWR Music SCM SACD 93-317 – Notice (en allemand et en anglais) de Dorothea Redepenning et intégralité des textes chantés (en russe, anglais et allemand)





Après «America», consacré au chant choral du XXe siècle aux Etats-Unis, Marcus Creed et l’Ensemble vocal de la Radio de Stuttgart proposent avec la même maîtrise éclairée un deuxième recueil, consacré à la Russie. Leur programme illustre les préoccupations musicales et philosophico-religieuses des musiciens russes au travers de six compositeurs marquants, qui s’expriment ici par le chant choral a cappella sur un choix de textes liturgiques ou poétiques à quatre moments distincts de l’histoire russe aux XIXe et XXe siècles. Il s’agit d’un programme à thème et pour mettre en valeur ce thème, si chacun peut regretter l’absence de tel compositeur ou de telle œuvre, la logique de leur sélection n’en demeure pas moins.


Encore sous l’astreinte des normes imposées par Dmitri Bortnianski en fin de XVIIIe siècle, Mikhaïl Glinka osa s’en libérer quelque peu en composant en 1837 pour la Chapelle impériale dont il était maître un limpide Chant des Chérubins, le passage central fugué inattendu dans ce contexte précis. Le texte fait partie de la liturgie orthodoxe et donc des textes de la Liturgie de saint Jean Chrysostome (1878) de Tchaïkovski, qui fut le premier compositeur «profane» à traiter le cycle complet à l’intention de l’office orthodoxe. Toujours syllabique, la riche polyphonie de son «Chant des Chérubins» retrouve cependant une pureté séculaire. La voie maintenant ouverte, Rachmaninov composa dès 1893 un magnifique Concert sacré, «Prières vigilantes de la Sainte Vierge», harmoniquement plus complexe et aux textures subtilement variées sans se départir de la tradition orthodoxe.


Au XXe siècle, Serge Taneïev fut un des pionniers du chœur profane. Il joue sur le rythme des mots et le clair-obscur des harmonies pour illustrer le symbolisme imagé des trois beaux poèmes retenus ici parmi les Douze Chœurs sur des textes de Yakov Polonski de 1909. Son style élégant semble au sommet de son art mais si son influence était grande à l’époque, les événements l’empêchent d’atteindre Sofia Goubaïdoulina et Alfred Schnittke, nés dans les années 1930. Les deux compositeurs ont connu l’adversité mais ont pu se libérer progressivement du joug soviétique pour affirmer une indépendance musicale totale à la fois par les audaces de styles composites et expérimentaux et par un retour vers la musique sacrée longtemps proscrite.


Les deux tendances trouvent leur expression chez les deux compositeurs mais le choix d’œuvres fait que Schnittke est ici à son plus conservateur. Pour les Trois Hymnes sacrés sur des textes liturgiques, écrits en 1984 pour Valery Polyansky, il adopte le style orthodoxe russe traditionnel mais la subtilité harmonique des pupitres très divisés porte le sceau de sa créativité. La même année, Sofia Goubaïdoulina composait un Hommage à Marina Tsvetaieva, traitant le chœur comme les instruments et les groupes instrumentaux d’un orchestre et les cinq poèmes comme les cinq mouvements d’un concerto pour orchestre. Elle fait appel à de nombreuses techniques vocales dont les touches de parlé-chanté de l’«Interlude» et les fréquents glissandi construits à travers le chœur sinon à travers un seul pupitre comme le sont les empilements progressifs qui constituent les vagues chromatiques en illustration du premier chœur («Sous les vagues»). Les textures connaissent tous les stades d’enrichissement de la voix soliste à un ensemble à l’unisson ou éclaté jusqu’en dix-huit parties, dynamisant les effets qui se spatialisent en une antiphonie démultipliée de phrases courtes ou de mots isolés, voire éclatés en syllabes comme pour le deuxième chœur («Le Cheval») ou saccadés en «fanfares» chorales pour le troisième («Toute la magnificence»). On peut penser que, douce comme une prière ou d’une dissonante angoisse, la puissance expressive du cinquième et dernier chœur, le dramatique «Un jardin», presque l’égal en durée des quatre premiers ensemble, porte en même temps une référence à Chostakovitch que la compositrice tenait en haute estime et dont l’Opus 143 traite pour alto et piano ou orchestre six poèmes de la même Marina Tsvetaieva.


De Glinka à Goubaïdoulina, l’Ensemble vocal, sous la fine direction exigeante de Marcus Creed, navigue à l’aise entre les différents styles de chant d’un programme volontairement hétéroclite. A la beauté des voix il ne manque, peut-être, que l’ancrage extrême du basso profondo russe, mais la précision et la justesse de l’interprétation, alliées à une grande sensibilité expressive et à une souplesse vocale à toute épreuve mettent en valeur le projet «Russia» avec éloquence. La prestation est à considérer dans son ensemble et reste unique grâce à la pertinence et à la riche originalité d’un programme bien représentatif de l’art choral russe.


l’Ensemble vocal de la radio de Stuttgart


Christine Labroche

 

 

 

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