About us / Contact

The Classical Music Network

CD

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

08/30/2014
«Maurice Ravel. Complete Piano Solo Works»
Maurice Ravel : Gaspard de la nuit – Valses nobles et sentimentales – Pavane pour une infante défunte – Jeux d’eau – Miroirs – A la manière de Chabrier – A la manière de Borodine – Menuet sur le nom de Haydn – Menuet en do dièse mineur – Sonatine – Le Tombeau de Couperin – La Valse – Prélude en la mineur – La Parade – Menuet antique – Sérénade grotesque – Daphnis et Chloé (fragments symphoniques)

Florian Uhlig (piano)
Enregistré au SWR Studio, Kaiserslautern (8-10 juin et 5-8 novembre 2012 et 20-23 novembre 2013) – 164’54
Triple album Hänssler Classics CD 93.318 – Notice de présentation en allemand et anglais





Maurice Ravel : Gaspard de la nuit – Valses nobles et sentimentales – Pavane pour une infante défunte – Ma mère l’Oye
Vanessa Wagner (piano)
Enregistré en l’église Saint-Pierre, Paris (1er-3 octobre 2013) – 63’15
Aparté AP062 – Notice de présentation en français et anglais





«Poems»
Maurice Ravel : Gaspard de la nuit
Franz Liszt : Années de pèlerinage. Première Année (Italie): «Vallée d’Obermann»
Franz Schubert : Stänchen, D. 889 – Auf dem Wasser zu singen, D. 774 – Du bist die Ruh, D. 776 – Erlkönig, D. 328 (transcriptions Liszt)
Heinz Holliger : Elis, Drei Nachtstücke für Klavier

Louis Schwizgebel (piano)
Enregistré au Zürich Radio Studio1 (1-3 avril 2013) – 58’00
Aparté AP067 – Notice de présentation en français et anglais





Maurice Ravel : Gaspard de la nuit [1] – Jeux d’eau [2] – Sonatine [3] – Le Tombeau de Couperin: «Toccata» [4]
Frédéric Chopin : Scherzo n° 3, opus 39 [5] – Etudes opus 10 n° 1, n° 2, n° 10 [6], n° 11 et n° 12 [7] – Nocturne n° 19, opus 72 n° 1 [8]
Alban Berg : Sonate, opus 1 [9]

Paul Badura-Skoda (piano)
Enregistré en concert à Madison (mars 1965 [5, 7] et octobre 1970 [3]), Philadelphie (mars 1974 [1, 2, 4, 6, 8]) et Prague (1983 [9]) – 73’52
Transart Live TR160 – Notice de présentation en français, allemand et anglais





Si les partitions pour piano seul de Maurice Ravel (1875-1937) ne sont pas très nombreuses, les enregistrements sont légion. Ainsi ces nouvelles parutions donnent-elles l’occasion de confronter quatre versions de Gaspard de la nuit (1908) – une œuvre sulfureuse autrefois réputée injouable, aujourd’hui pilier du répertoire de tout pianiste digne de ce nom. Elles viennent enrichir une discographie dense, marquée notamment par Vlado Perlemuter, Samson François, Arturo Benedetti Michelangeli, Martha Argerich ou Ivo Pogorelich.


Dans ce contexte, le Gaspard de Vanessa Wagner (née en 1973) ne sonne pas comme du déjà-entendu. Certes, «Ondine» – d’une grande féminité dans la pudeur et la grâce – présente une identité peut-être trop transparente. Au contraire, «Scarbo» affiche d’emblée une personnalité haute en couleur – d’une espièglerie irritante, qui pirouette «sur un pied» et grince son ongle «sur la soie des courtines». D’une durée largement supérieure à 8 minutes, «Le Gibet» tente l’expérience de l’extrême lenteur... prolongeant au-delà du raisonnable les dernières impressions du pendu qui assiste au coucher du soleil. Si l’on trouvera plus virtuose et plus dévastateur ailleurs, le résultat est fort original et assez magnétique. Le disque est complété par des Valses nobles et sentimentales toujours en mouvement, ainsi que par une lecture plus somnolente de Ma mère l’Oye. Il se termine en demi-teintes, avec une Pavane pour une infante défunte déstructurée, d’un sentimentalisme qui se perd en longueur. Dommage.


Dans les trois poèmes pour piano d’après Aloysius Bertrand, Florian Uhlig (né en 1974) déploie un jeu alerte et percutant, qui schématise Gaspard à l’excès – donnant de «Scarbo» un visage presque hésitant. Le manque de densité et de corps est vite gênant. Certes, on ne saurait passer sous silence la belle science du clavier, qui permet une découpe digitale particulièrement soignée dans «Ondine». Mais le toucher n’est pas celui qu’on attend: celui «qui frôle de ces gouttes d’eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune»... Où sont l’esprit de la partition, le naturel dans la grâce, les vapeurs mystérieuses que d’autres interprètes ont su faire naître? Après avoir frappé un grand coup avec sa remarquable intégrale Schumann – conduite avec sensibilité et pudeur –, le pianiste allemand apparaît donc moins à son aise dans Ravel.


Florian Uhlig livre pourtant, dans cet album de trois disques, l’ensemble du répertoire ravélien pour piano seul. On y retrouve le même toucher bondissant, lequel convient beaucoup mieux à l’allégresse ou l’ironie joyeuse de pièces telles la Sérénade grotesque, le «Rigaudon» et la «Toccata» du Tombeau de Couperin ou encore la (rare et) joyeuse Parade... qu’à la densité de La Valse, aux rythmes enivrés des Valses nobles et sentimentales (pourtant découpées avec une remarquable précision) ou A la manière de Chabrier (d’un geste presque emprunté). Même le métal du Menuet antique sonne trop durement ici. Les Jeux d’eau, en revanche, en ressortent lumineux et – curieusement –, loin d’être brisés par ce style pianistique, les Miroirs scintillent superbement eux aussi, dans des aigus de rêve: une version électrisante (où la «Barque sur l’océan» menace, du coup, de court-circuiter) – et le sommet de cet album! La neutralité du ton demeure, toutefois, le caractère dominant de la majorité des œuvres au programme (la Sonatine offre, par exemple, les mêmes qualités et les mêmes défauts que Gaspard)... jusqu’à l’émotion franchement artificielle de la Pavane pour une infante défunte (qui réussit beaucoup mieux à Daphnis, dans un style mécaniste mais très dansant). Bref, du piano bien coiffé, d’une fraîcheur athlétique – mais trop anguleux pour Ravel.


Benjamin de cette confrontation, le pianiste sino-suisse Louis Schwizgebel (né en 1987) sculpte Gaspard de la nuit dans une froideur alpine. Grâce à une minutieuse finesse de toucher, «Ondine» semble patiner sur un lac d’ivoire, non sans grandeur – mais sans chaleur. L’architecture du «Gibet» est maîtrisée avec sobriété et justesse, objective dans la douceur. Et «Scarbo» est bien, sous les doigts de Schwizgebel, ce petit gnome diabolique et facétieux... On aimerait juste davantage de fantaisie et surtout plus de touffeur. Cette version s’inscrit au sein d’un plaisant album réunissant des partitions qui sont «au plus proche des poèmes qui les ont influencées». Ainsi des quatre transcriptions lisztiennes de lieder de Schubert (dont l’identité aurait dû être affirmée avec plus de force). Ainsi également d’Elis de Holliger, une partition composée en 1961 d’après un poème de Georg Trakl, révisée en 1966 et constituée de trois brefs «poèmes nocturnes» exaltant l’innocence meurtrie de l’enfance (le personnage d’Elis renvoyant à un «être pur symbolisant l’enfance fauchée et figé par la mort»). Proche du langage de Messiaen (et de l’école de Darmstadt), l’œuvre trouve en Louis Schwizgebel un interprète au toucher idéal pour ce répertoire. Enfin, quoiqu’inspirée – en partie seulement – par un poème de Lord Byron, «Vallée d’Obermann» (Liszt) colle moins bien à la thématique de l’album. D’autant que la ligne musicale est bousculée par une frappe parfois heurtée, qui hésite sans cesse entre le contemplatif et le discursif. Un disque inégal mais hautement intègre.


Enfin, l’enregistrement d’un concert de Paul Badura-Skoda (né en 1927) à Philadelphie permet de retrouver le geste souverain («Scarbo» bondit comme un diable) et, on oserait presque dire, classique du pianiste autrichien dans Gaspard de la nuit, où «il faut raconter et donner à voir cette fantaisie à la manière de Rembrandt et de Callot». Son Gaspard, sans surprises ni trahison, manque néanmoins grandement de finition... la faute au live, qui laisse subsister quelques approximations digitales, ainsi que des bruits de salle franchement gênants. Les mêmes défauts obèrent d’ailleurs la Sonatine. L’album réunit, en effet, différentes partitions, de qualité inégale dans l’exécution – notamment parce qu’issues de prises de concert qui s’étalent entre 1965 et 1983 –, offrant un portrait (un peu trop) hétéroclite de Paul Badura-Skoda, dans un répertoire où – il le reconnaît lui-même dans la notice – on ne l’attend pas forcément. Les autres Ravel paraissent presque atypiques par le classicisme du toucher, mais demeurent baignés de lumière (Jeux d’eau) et de rythme («Toccata» du Tombeau de Couperin). La Sonate de Berg («l’un de mes dieux») flirte avec la brutalité. Quant aux Chopin, ils déconcertent par leur squelettisme – un Nocturne en mi mineur au flux rythmique déstructuré (avec, là encore, quelques approximations), cinq Etudes pour le moins bancales –, malgré un Troisième Scherzo à la fougue plus convaincante. Un disque destiné aux fans du maître autrichien.


Le site de Florian Uhlig
Le site de Vanessa Wagner
Le site de Louis Schwizgebel


Gilles d’Heyres

 

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com