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04/15/2013
Antonín Dvorák : Stabat Mater, opus 58, B. 71

Luba Orgonásová (soprano), Birgit Remmert (mezzo-soprano), Piotr Beczala (ténor), Franz Hawlata (basse), Chor des Bayerischen Rundfunks, Peter Dijkstra (chef de chœur), Symphoniorchester des Bayerischen Rundfunks, Nikolaus Harnoncourt (direction)
Enregistré à la Herkulessaal de Munich (24-26 juin 2007) – 87’
Coffret de deux disques RCA Red Seal (distribué par Sony) 88697 33834 2 – Notice bilingue (allemand et anglais) de Benjamin-Gunnar Cohrs et traduction des textes chantés







Ilse Eerens (soprano), Michaela Selinger (mezzo-soprano), Maximilian Schmitt (ténor), Florian Boesch (basse), Collegium Vocale Gent, Benjamin Bayl (chef de chœur), deFilharmonie, Philippe Herreweghe (direction)
Enregistré au campus des arts international deSingel d’Anvers (21-24 avril 2012) – 74’17
PHI LPH 009 (distribué par Outhere) – Notice multilingue (anglais, français, allemand et hollandais) de Jan Kachlík et traduction des textes chantés





Must de ConcertoNet


Rarement une œuvre aura trouvé sa source dans un aussi grand nombre de douleurs... Lorsque Antonín Dvorák (1841-1904) commence la composition de son Stabat Mater, il est en effet en pleine période de deuil après la disparition de sa fille Josefa en septembre 1875. Puis, il laisse sa composition inachevée, s’attachant notamment à finir son Deuxième Trio avec piano. Or, en août 1877, c’est au tour de sa deuxième fille, Růzena de disparaître alors qu’elle n’avait pas encore atteint l’âge d’un an; puis, au mois de septembre, véritable acharnement du sort, c’est son fils Otakar qui meurt de la variole. C’est donc dans ce contexte extrêmement douloureux qu’il reprend l’œuvre, fondée sur une séquence attribuée à Jacob de Benedictis: le Stabat Mater, dans lequel Guy Erismann a très justement vu un véritable «travail de deuil» pour le compositeur (Antonín Dvorák, Fayard, page 129), est finalement achevé en novembre 1877.


Les deux versions proposées ici par Nikolaus Harnoncourt et Philippe Herreweghe nous permettent ainsi de jeter un nouveau regard sur une œuvre malheureusement trop peu souvent donnée en concert – rappelons néanmoins que celle-ci a pu être jouée aussi bien à Paris en janvier 2008 sous la direction de Vladimir Fedosseïev, qu’à Bruxelles quelques semaines plus tard et encore à New York en avril 2011). Pour sa part, le choix discographique du Stabat Mater de Dvorák était, jusqu’alors, relativement simple. Même si la grande version signée par Václav Talich à la tête de la Philharmonie tchèque en 1952 garde ses supporters, elle est en partie disqualifiée par une prise de son rédhibitoire. Parmi les chefs habitués de ce répertoire, se détachent ainsi Václav Neumann et, surtout, Rafael Kubelík, dans un enregistrement de la fin du mois de septembre 1976, immense (Deutsche Grammophon). Plus récemment, on devait également compter avec Giuseppe Sinopoli qui, également chez Deutsche Grammophon, en donnait à son tour une version très convaincante.


C’est d’ailleurs dans cette veine plutôt traditionnelle que s’inscrit Nikolaus Harnoncourt. Imposant et de haute volée, l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise est splendide: des bois très fruités, des cuivres d’une grande noblesse... Mais justement, est-ce la phalange idoine pour une œuvre pareille? On peut se le demander puisque, comme le souligne d’ailleurs Guy Erismann, il peut sembler paradoxal d’appréhender de manière trop emphatique, voire grandiloquente, une telle œuvre, ancrée si profondément dans l’intimité et dans des événements si personnels au compositeur. Or, l’orchestre d’Harnoncourt sonne comme dans un véritable opéra, les cors et les trombones n’hésitant pas à trop cuivrer là où une souveraine puissance serait suffisante ; écoutez également les trompettes, dans le premier mouvement, à 1’45!


C’est dans ce même esprit que chantent les solistes choisis par Harnoncourt; et d’ailleurs, il faut bien avouer que l’on a bien souvent l’impression d’entendre davantage le Requiem de Verdi et non le Stabat Mater de Dvorák. A ce jeu-là, le ténor Piotr Beczala s’avère être le moins convaincant: outre une fâcheuse tendance à vouloir chanter un ersatz d’«Ingemisco» du Requiem de Verdi dans le premier mouvement du Stabat Mater, celui-ci ne brille pas par la beauté de ses attaques, notamment à 8’50. De même, sa ligne de chant n’est pas irréprochable dans le pourtant très beau «Fac me vere tecum flere». De son côté, au contraire, la basse Franz Hawlata est superbe de noirceur, de puissance aussi et emporte sans difficulté la conviction même si, là aussi, on a parfois davantage l’impression d’écouter Philippe II dans Don Carlos que dans une pièce de tonalité religieuse. Les deux solistes féminines sont également de très bon niveau, en dépit d’un vibrato un peu trop prononcé de la part de la mezzo Birgit Remmert dans l’«Inflammatus et accensus». En conclusion, Nikolaus Harnoncourt, que l’on a connu plus hardi dans d’autres répertoires, affiche la grande tradition pour servir ce Stabat Mater: de la bien belle ouvrage, même si l’on n’est pas forcément convaincu par sa vision...


Tel n’est pas, en revanche, le point de vue adopté par Philippe Herreweghe. A cet égard, on peut avancer un parallèle intéressant avec un autre compositeur où les évolutions des deux chefs sont assez similaires: Johann Sebastian Bach. Avec son comparse Leonhardt et l’aide non négligeable de Herreweghe (qui faisait travailler les chœurs pour un certain nombre de cantates dans la fameuse intégrale), le grand novateur Harnoncourt avait sérieusement décapé l’approche de ce répertoire. Puis, les années avançant, lui-même fut dépassé par de nouveaux chefs (Herreweghe, Suzuki, Jacobs, Pierlot notamment) qui allégèrent encore davantage la texture orchestrale et le chant, préférant jouer sur les dynamismes et l’allégement du discours. De fait, Harnoncourt se voyait quelque peu dépassé, d’autant qu’il multiplia les collaborations avec des phalanges plus traditionnelles, réussissant parfois (Bruckner) ce qu’il ratait par ailleurs (Verdi notamment). L’écoute de la version que nous livre Philippe Herreweghe du Stabat Mater de Dvorák distille le même sentiment: sans prétendre pour autant qu’il aurait «perdu la main», Harnoncourt perd très largement la comparaison qui l’oppose à son ancien étudiant.


Car, ce qui frappe à l’écoute de la version du chef flamand, réalisée dans une magnifique prise de son, c’est avant tout la clarté de l’œuvre qui se mesure aussi bien en entendant l’orchestre que le chœur. Dès l’introduction des cordes dans la première séquence, «Stabat Mater dolorosa», Herreweghe parvient à une très belle alliance entre une solennité pleine de mystère et une incroyable clarté de la mélodie, comme si un restaurateur venait de nettoyer une toile quelque peu poussiéreuse oubliée dans le coin d’un musée. A cet égard, on doit souligner l’excellence de l’Orchestre philharmonique royal des Flandres: des cordes à faire pâlir d’envie Vienne, Berlin ou Amsterdam, des bois d’une incroyable finesse aux couleurs brahmsiennes (les hautbois et les clarinettes dans le «Tui nati vulnerati»), des cuivres d’une éclatante noblesse sans que jamais le son ne soit saturé. Bref, une phalange véritablement exceptionnelle que l’on souhaiterait entendre davantage dans nos salles de concert.


Et que dire ensuite des chœurs? Certes, on connaissait déjà les talents du Collegium Vocale de Gand mais on assiste là à plus qu’une démonstration: la seule entrée des voix masculines puis féminines dans le «Stabat Mater dolorosa» est superbe par sa douceur, son fondu et son sens de la progression. En outre, Philippe Herreweghe parvient, par de petits riens, à conférer encore plus de couleurs et de sens à un chœur exceptionnel de bout en bout: on écoutera notamment la très légère accélération des ténors à 11’30, dont l’effet est extraordinaire. Appréciez également à sa juste valeur la légère psalmodie dictée aux chœurs dans l’«Eja, Mater, fons amoris»: quelle émotion et quelle réussite là encore! Il importe d’ailleurs de préciser que Herreweghe, dans le véritable renouvellement de la lecture qu’il fait du Stabat Mater, adopte des tempi généralement assez rapides qui contribuent à permettre au discours d’avancer très naturellement. Ainsi, le premier mouvement est réalisé en 17 minutes contre, par exemple, 18’30 chez Kubelik et 20’32 chez Sinopoli.


Face à de tels ensembles orchestraux et vocaux, il fallait des solistes à la hauteur: sans pour autant aligner des «têtes d’affiche» comme Harnoncourt, Philippe Herreweghe a fait appel à quatre voix rompues à la fois au répertoire baroque et à l’opéra. Là aussi, ses choix sont indiscutables eu égard au résultat obtenu. La palme revient sans conteste au ténor, Maximilian Schmitt, qui se signale dès la première séquence et qui atteint son paroxysme dans le très beau «Fac me vere tecum flere». La basse Florian Boesch est également digne de tous les éloges, notamment dans le «Fac, ut ardeat cor meum», où l’opposition de son timbre aux voix féminines (un peu à la manière de ce qu’avait pu faire Berlioz dans son Requiem, sauf qu’il eut là recours à une voix de ténor) est d’une stupéfiante et irréelle beauté. Les solistes féminines, Ilse Eerens et Michaela Selinger, sont elles aussi excellentes, notamment la mezzo dans un «Inflammatus et accensus» empli de mystère.


On l’aura compris: comme c’est fréquemment le cas dans les confrontations entre Harnoncourt et Herreweghe chez Bach, c’est ici le chef flamand qui sort grand vainqueur et qui signe sans conteste, à notre sens, la version du Stabat Mater de Dvorák à acquérir.


Le site de Birgit Remmert
Le site de Piotr Beczala
Le site de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise
Le site de Nikolaus Harnoncourt
Le site d’Ilse Eerens
Le site de Michaela Selinger
Le site de Maximilian Schmitt
Le site du Collegium Vocale de Gand
Le site de l’Orchestre philharmonique royal des Flandres


Sébastien Gauthier

 

 

 

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