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07/24/2010
Wilhelm Friedemann Bach : Fantaisies en ut mineur, Fk.16 (*), en ré mineur, Fk.19, et en la mineur , Fk.23 – Polonaises n° I en ut majeur, n° VII en mi majeur, n° VIII en mi mineur et n° XI en sol majeur, Fk.12 (*) – Fugues I en ut majeur, II en ut mineur, III en ré majeur et VI en mi mineur, Fk.31 – Sonates en ré majeur, Fk.3, et en sol majeur, Fk.7
Maude Gratton (clavecin, clavicorde [*])
Enregistré en la chapelle Notre-Dame de Bon Secours, Paris (octobre 2008) – 65’22
Mirare MIR 088 (distribué par Harmonia mundi) – Notice trilingue (français, anglais et allemand) de Gilles Cantagrel, Maude Gratton et Philippe Humeau





Wilhelm Friedemann Bach : Concertos pour clavecin en mi bémol majeur, Fk.42 (#), en mi mineur, Fk.43, en fa majeur, Fk.44 (#), en la mineur, Fk.45 (#), et en fa mineur – Sonates en la majeur, Fk.8, et en si bémol majeur, Fk.9 (*) – Sinfonias en ré mineur, Fk.65, et en fa majeur, Fk.67 (#) – Fugue VIII en fa mineur, Fk.31 – Polonaises n° IX en fa majeur et n° X en fa mineur, Fk.12 (*)
Guy Penson (clavecin, pianoforte [*]), Il Fondamento, Paul Dombrecht (direction) (#), Ricercar Consort, Adrian Chamorro (direction)
Enregistré au réfectoire des moines de l’ancienne Abbaye de Stavelot (1989 et 1990) et en l’église Saint-Apollinaire de Bolland (1996) (#) – 154’49
Album de deux disques Ricercar RIC 297 (distribué par Harmonia mundi) – Notice trilingue (français, anglais et allemand) de Jérôme Lejeune





Saluons d’emblée ces trois disques qui, évitant certains chemins balisés de la musique baroque, nous permettent de découvrir une partie de l’œuvre, longtemps tombée dans l’oubli et parfois ouvertement dédaignée, de Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784), fils aîné du Cantor de Leipzig. Ce fut d’ailleurs un de ses grands malheurs que d’être à la fois le fils, en qui Johann Sebastian Bach fondait le plus d’espoir tant celui-ci avait des dons évidents pour le clavier et la composition, et l’aîné, celui qui subit le plus l’influence et la comparaison avec le père illustre. Comme l’a écrit de façon extrêmement révélatrice un de ses contemporains, Zelter, «Je l’ai souvent admiré au clavecin, au pianoforte, au clavier, mais ne l’ai jamais entendu jouer une note de son père, ce que tout le monde souhaitait!» Au service de plusieurs princes et mécènes fortunés, Wilhelm Friedemann Bach connut deux périodes relativement stables, la première alors qu’il était en poste à Dresde (1733-1746), avant d’officier à Halle (1746-1764), ville dans laquelle il reste jusqu’en 1770. Musicien et pédagogue admiré, il finit pourtant son existence dans la misère et la solitude.


Triste destinée pour celui qui fut donc réputé comme étant un des maîtres du clavecin et du pianoforte à son époque: «Les ouvrages pour clavier comptent parmi les plus intéressants de Wilhelm Friedemann» rappelle à juste titre Marc Vignal dans son ouvrage fondamental Les Fils Bach (Fayard). Maude Gratton ne s’y est pas trompée, choisissant d’interpréter des pièces diversifiées qui permettent d’avoir ainsi une vue d’ensemble de l’œuvre pour clavier tout à fait caractéristique. Commençons par les deux sommets de ce disque que sont la Sonate en sol et la Sonate en ré. La première s’apparente davantage à la forme de la fantaisie, offrant un jeu beaucoup plus développé à la main droite qu’à la main gauche, atteignant le sublime dans un Lamento absolument poignant. Maude Gratton joue cette page avec une maîtrise qui force l’admiration: écoutez la manière dont elle laisse les notes en suspens (conduisant au silence à 3’33 avant que le thème ne reprenne de plus belle), écoutez également son toucher qui allie avec adresse la rage (totalement maîtrisée) et la délicatesse. La grande liberté de rythme permet à la jeune claveciniste (née en 1983) de donner leur pleine mesure aux cadences, aux ruptures d’une partition qui, en maintes occasions, rappelle Mozart. La seconde sonate, composée vraisemblablement alors que Wilhelm Friedemann Bach était en poste à Dresde, fut publiée en 1745: elle «surclasse tout ce que Wilhelm Friedemann avait produit auparavant» (M. Vignal, op. cit.). Le premier mouvement, Andantino, allegro di molto, est un condensé de surprises où les changements de rythmes, de tonalités, de mélodies coupent court à tout caractère attendu de telle ou telle phrase. Maude Gratton aborde ensuite avec beaucoup de savoir-faire l’Adagio qui, si l’on n’y prend garde, perd toute cohérence pour l’auditeur tant la structure rythmique s’avère complexe au point de conduire l’interprète à confondre liberté et désordre. Le résultat est superbe de bout en bout.


Le disque permet ensuite d’entendre quatre Polonaises, genre nouveau pour l’époque: «les douze Polonaises Fk.12 sont ce que Wilhelm Friedemann écrivit de plus personnel pour clavier seul» estime Marc Vignal (op. cit.). C’est en effet le visage qu’offrent les quatre présentées ici, composées entre 1760 et 1771, année de leur édition, qui sont interprétées au clavecin ou au clavicorde (instrument d’origine médiévale, apparenté au «manicordion» français), Maude Gratton prouvant à cette occasion qu’elle sait jouer des différents instruments de la famille des claviers, ajoutant également à son arc l’orgue et le pianoforte. On écoutera notamment la Polonaise n° VIII au rythme hésitant et aux accents vivaldiens, ainsi que la très belle Polonaise n° XI dont la douceur dissimule un véritable feu ardent. Les Fantaisies Fk.19 et Fk.23 datent de la fin des années passées par Wilhelm Friedemann Bach à Halle, certaines controverses demeurant néanmoins sur la date réelle de leur composition. Même si le genre a été dominé par Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), les présentes compositions recèlent plusieurs trouvailles. Si l’on écoute la Fk.19, dans la douce tonalité de mineur, la partition alterne ainsi moments apaisés et virtuoses, donnant par ailleurs une grande importance aux motifs fugués, les mains droite et gauche bénéficiant d’une équivalente richesse de jeu. Maude Gratton témoigne de nouveau de splendides qualités qui en font dès à présent une interprète majeure de ce répertoire.


Les deux disques édités chez Ricercar présentent également un nombre important d’œuvres pour clavier qui, par chance, ne comportent aucun doublon avec le précédent disque. La Sonate en la, datant peut-être du début des années 1770, est elle aussi une œuvre superbe, dominée par un deuxième mouvement au lyrisme poignant; à titre anecdotique, on remarquera que Marc Vignal y voit un Allegro con tenerezza (op. cit.) alors que Jérôme Lejeune, dans sa notice, le qualifie de Largo con tenerezza, signe peut-être du travail musicologique qui reste à accomplir à l’égard de la famille Bach… Quant au troisième mouvement, il rappelle immédiatement certaines sonates de Domenico Scarlatti tant du point de vue du rythme que des sonorités utilisées. La Sonate en si bémol, jouée avec doigté par Guy Penson, est certainement l’œuvre la plus «moderne» que l’on puisse entendre ici: de style clairement classique, ce n’est pas Wilhelm Friedemann Bach que l’on écoute mais bien davantage Mozart, Haydn voire, dans le troisième mouvement (Allegro di molto – Andantino), le jeune Beethoven! Interprétée au pianoforte, elle frappe également par sa liberté de ton et par le magnifique rythme pointé du deuxième mouvement. Jetons enfin une oreille curieuse à la Fugue en fa mineur, qui fait partie d’un ensemble de huit Fugues dédiées en 1778 à la princesse Anna Amalia de Prusse et qui, contrairement à celles que l’on peut entendre sous les doigts de Maude Gratton (notamment la Fugue en mi mineur), s’avère peu recherchée du point de vue mélodique.


L’apport de ces deux disques réside néanmoins avant tout dans la gravure de concertos et de symphonies, pièces qui occupent une moindre importance dans l’œuvre de Wilhelm Friedemann Bach. Si l’on en croit le catalogue dressé par Marc Vignal, le fils aîné de Johann Sebastian Bach n’a en effet composé que sept concertos (dont un inachevé, le Concerto en mi bémol, qui est enregistré ici) et neuf symphonies (dont cinq sont perdues et une est apocryphe): autant dire que nous avons là l’essentiel de ce qui existe!


Le Concerto en mi mineur (1767) est dédié à la princesse Maria Antonia de Saxe: Guy Penson donne de très belles couleurs (accompagné avec douceur par le Ricercar Consort) à une œuvre mélancolique (notamment dans l’Adagio où les aigus font office de véritables plaintes) qui, en bien des occasions, rappellent les concertos pour clavier composés par son père. Que penser du Concerto en fa mineur? En effet, on ne sait toujours pas si cette pièce est bien de la main de Wilhelm Friedemann, Marc Vignal aussi bien que Jérôme Lejeune rappelant les doutes d’authenticité qui existent à son sujet. Il est vrai que son écoute fait davantage penser à certaines compositions de Carl Philipp Emanuel Bach (Vignal estimant que ce concerto est même une véritable «œuvre familiale» puisqu’il aurait été composé par Johann Christian Bach avant d’être révisé par Carl Philipp...) ou, même, de certains compositeurs de l’Ecole de Mannheim comme Wilms. Toujours est-il que l’œuvre, jouée ici avec conviction, s’avère extrêmement plaisante. Beaucoup plus ambitieux en revanche est le Concerto en fa majeur, qui dure près de vingt-cinq minutes: aux accords italiens du premier mouvement succèdent ainsi un étonnant dramatisme dans le deuxième mouvement (illustré notamment par un impressionnant crescendo de cordes) et un entraînant Presto. Là encore, belle découverte.


Concluons ce panorama par les deux symphonies de Wilhelm Friedemann Bach en mineur et en fa majeur. Si cette dernière n’appelle aucune remarque particulière, témoignant néanmoins d’une inspiration moindre par rapport aux symphonies composées à la même époque par le cadet Carl Philipp Emanuel, la mineur requiert davantage d’attention. Ne comportant que deux mouvements, elle apparaît comme «un des sommets de la production de Wilhelm Friedemann» selon Marc Vignal (op. cit.). Datant de l’époque où il travaillait à Dresde, peut-être destinée à un service de cour catholique, elle enchaîne deux mouvements. Le premier, un Adagio, est à lui seul un sommet: sur une mélodie chuchotée des cordes, on peut ainsi entendre le son filé de deux flûtes, qui instille à l’oreille une incroyable émotion. Outre le fait qu’il s’agit d’un procédé que l’on peut croiser dans certaines cantates du Cantor ou dans certains concertos de Telemann (notamment celui pour deux chalumeaux en mineur), il témoigne surtout d’une maîtrise absolue des sonorités, nouvelle preuve des dons que possédait Wilhelm Friedemann Bach, dont l’œuvre est ainsi en partie réhabilitée à travers ces trois disques hautement recommandables.


Sébastien Gauthier

 

 

 

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