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06/19/2010
Hugo Wolf : Mörike-Lieder

Dietrich Henschel (baryton), Fritz Schwinghammer (piano)
Enregistré en public à la Ehrbar Saal, Vienne (2009) – 123’43
Double album Fuga Libera FUG 568 (distribué par Harmonia mundi) – Notice en français, anglais et allemand de Leopold Spitzer, texte intégral des poèmes en allemand et en traduction





Poursuivant une série de collaborations fructueuses, le baryton Dietrich Henschel et le pianiste Fritz Schwinghammer abordent ici l’un des plus impressionnants cycles de lieder du XIXe siècle et peut-être le plus émouvant de leur compositeur. En effet, les cinquante-trois Mörike-Lieder de Hugo Wolf forment un cycle d’une unité poétique qui semble davantage relever des turbulences de la vie intérieure du compositeur que d’un fil rouge parcourant les poèmes ou d’un idéal plus largement partagé. La composition s’étend du mois de février au mois de novembre 1888 et les choix de Wolf parmi les textes du poète si proche de l’alter ego sont alors constamment guidés par l’intensité de sa vie et de sa pensée. Le cycle est fertile et toute nouvelle interprétation est à accueillir avec joie.


L’ordre officiel des lieder suit celui que Wolf choisit pour l’édition. Toutefois, leur grand nombre, l’arbitraire apparent de leur enchaînement et le fait que Wolf lui-même procède à des changements d’atmosphère extrêmes font que les interprètes se sentent plus libres vis à vis de ce recueil. Henschel choisit d’en interpréter quarante-cinq dans un ordre qui lui est personnel. Il en écarte trois (n°s 2, 17, 18) qui conviennent mieux à un baryton plus léger et cinq (n°s 3, 7, 14, 41, 45) qui semblent destinés à une voix de femme. Il conserve néanmoins «Elfenlied», toute la légèreté lutine exprimée maintenant par le précipité du seul jeu cristallin du piano, et le troublant «Erstes Liebeslied eines Mädchens», pour lequel l’expressivité du piano est encore capitale.


Dietrich Fischer-Dieskau trouve que ce dernier lied parmi tant d’autres de ce cycle «fait la démonstration de la méthode de Wolf de déchiffrer au clavier ce que la voix a à dire et d’y exprimer l’inconscient du personnage qui chante». L’un des apports de Wolf au lied est certainement le raffinement pianistique aux modulations subtiles, à l’instabilité tonale d’une grande sensibilité musicale et aux dissonances porteuses de sens. Par illustration discrète ou par une sublimation miraculeuse du non-dit, le compositeur crée les climats. Il suggère un éclat de lune, une âme qui vacille, les bourrasques, le tourment de l’esprit, le tonnerre des sabots ou encore l’écho à peine perceptible de cloches lointaines... La musicalité, la technique et l’expressivité de Fritz Schwinghammer sont au diapason de ces exigences rythmiques, stylistiques et finement émotionnelles. Sous ses doigts, le vaste postlude d’«An eine Äolsharfe» s’exhale doucement, l’orchestral «Auf einer Wanderung» s’épanouit et le retard harmonique d’«Auf ein altes Bild» se charge de sens. Il pare de vertus profondément humaines les fusées chromatiques du «Lied vom Winde» et exalte le caractère impertinent et fantasque de la soudaine valse viennoise de l’«Abschied» qui clôt le recueil.


C’est avec le dixième lied «Fußreise» et le quarantième «Der Jäger» que Dietrich Henschel a choisi d’ouvrir les deux parties du récital, deux lieder entraînants qui conviennent bien à sa voix de baryton sombre et dramatique, ses qualités plus affirmées dans le registre grave et la voix mélodique intermédiaire. Ses talents de comédien, qui, alliés à la particularité de sa voix, lui ont permis de camper un Golaud convaincant, se révèlent précieux ici – son promeneur alerte respire la joie de la marche et le mal-être du chasseur sourd à travers la révolte qui le pousse à lutter contre les éléments déchaînés et à renier sa blessure intérieure, son bref aveu après le coup de feu exprimé dans un détimbrement émouvant ici aéré et parfaitement réussi. En toute logique, il s’ensuit que l’interprétation de Henschel convainc davantage lors des poèmes plus scéniques, plus ouvertement expressifs tels les récits fantasmagoriques («Feuerreiter», «Die Geister am Mummelsee»...), les intenses chants d’amour inassouvi («Wo find’ ich Trost?», «Lied eines Verliebten»...) ou encore les six lieder qui referment le recueil, plus humoristiques sinon caustiquement maussades. Son large vibrato, parfois malaisé jusqu’à ternir la luminosité délicate d’«An eine Äolsharfe», par exemple, trouve son exutoire dans l’ardente violence des «Peregrina I et II». De la même manière, une certaine instabilité et une fâcheuse tendance à attaquer les notes un peu trop bas dans l’aigu ou de les amplifier en force pour mieux les tenir ajoutent à l’âpre charge caricaturale de «Bei einer Trauung», voire à l’extase presque mystique d’«An die Geliebte». Si l’on peut moins apprécier son interprétation des lieder métaphysiques au cœur du recueil, délicats à l’extrême, la rondeur de la voix dans le grave, la qualité de la diction, la maîtrise du souffle et un sens bienvenu du phrasé permettent l’expression efficace du tourment de l’insomniaque en proie au doute d’«In der Frühe» ou encore de la puissance amère de «Neue Liebe».


Les enseignements du maître, Dietrich Fischer-Dieskau, ont certainement beaucoup apporté à l’élève, Dietrich Henschel, mais c’est à la fois difficile et injuste de trop les rapprocher l’un de l’autre. Les Mörike-Lieder de Fischer-Dieskau sont d’un raffinement sublime, l’exécution d’une finesse nuancée à l’extrême, la voix belle, la plastique du timbre parfaite, la sensibilité rare. Henschel a son style propre – la couleur de la voix, le vibrato, l’aisance appuyée du mezzo-voce, la tension métallique dans l’aigu, le ton naturellement plus impérieux l’opposent souvent au maître l’amenant à démontrer une conception du lied tout autre, les inflexions plus marquées, son expressivité affirmée et dynamique. Soutenu par l’excellence d’un Fritz Schwinghammer tout à fait wolfien, Dietrich Henschel livre ici une version finement réfléchie des Mörike-Lieder, qui ne manque ni d’intérêt ni d’âme. La captation en public pendant une série de récitals à la Ehrbar Saal de Vienne affine le grain sonore et intensifie l’aura de présence.


Le site de Dietrich Henschel


Christine Labroche

 

 

 

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