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10/29/2009
James Dillon : Philomela – Music/Théâtre

Anu Komsi (Philomela, soprano), Susan Narucki (Procné, soprano), Lionel Peintre (Tereus, baryton), Josquin Harrison (Ilys, soprano), Luisa Barridge et Ricardo Ceitil (soprano, alto – voix enregistrées), Vincent Leterme (chef de chant), Carl Faia (électronique musicale), Ensemble Remix (Porto), Jurjen Hempel (direction)
Enregistré à la Casa da Musica, Porto (15-17 octobre 2006) – 92’13
Album de deux disques Aeon AECD 0986 (distribué par Harmonia mundi) – Notice en anglais et en français






Pour sa première œuvre destinée à la scène, le compositeur écossais James Dillon (né en 1950) s’est tourné vers la mythologie grecque et la sanglante histoire de Philomèle, histoire aussi violente que le nom de ce personnage est doux. Le mythe porté musicalement à la scène relève d’un paradoxe que le compositeur exploite avec beaucoup d’adresse et de poésie dans le livret qu’il a lui-même écrit. Philomèle, «amie du chant», personnage principal d’une pièce lyrique, est muette, sa langue coupée par son ravisseur pour protéger son terrible secret.


Créé en 2004 à Porto, la première française donnée à Strasbourg la même année, Philomela semble avoir soulevé plus de réticences en tant que représentation scénique que la version sans images ici, captée lors de la reprise de 2006 avec les mêmes interprètes. En effet, l’action s’imagine plus qu’elle ne se joue – le texte est un tissage de pensées intimes de personnages dans l’impossibilité physique et mentale de communiquer. Dillon écrit dans l’esprit d’un opéra baroque (perle imparfaite...), mieux encore dans l’esprit du théâtre nô, son beau texte fragmenté faisant appel à un hiératisme au jeu expressif de détails infimes plutôt qu’au mouvement naturellement ressenti. Il compose pour la voix avec beaucoup d’effet mais le pouvoir accordé à l’orchestre – la musique sans voix – pèse autant sinon plus que le chant. C’est peut-être ce nouveau paradoxe pour un opéra qui a abouti à la conception du terme Music/Théâtre, volontairement anglo-français destiné à remettre en mémoire, lors de l’écoute de l’œuvre, aussi bien l’importance dramatique de la musique pure que l’influence indirecte du théâtre musical dans l’acception d’un Aperghis.


Philomela est un récit circulaire en cinq actes et dix scènes, qui commence comme il finit par les réflexions éclatées sur un passé partagé des protagonistes métamorphosés en oiseaux. Entre-temps jaillissent les points marquants du mythe : harmonie, viol, langue coupée, secret dévoilé, discordance et sacrifice. Mobile et changeant, générateur de climats et d’émotions, le discours orchestral conduit le récit. C’est un dense contrepoint de registres, de rythmes et de timbres qui pulse, éclate, se dilate, se fragmente ou s’affine aux moments-clés du drame, les dix-huit instrumentistes de l’Ensemble Remix se faisant sans cesse solistes habiles et expressifs. L’orchestre ouvre le jeu, chaque scène comporte des plages purement musicales – introduction, interludes ou conclusion – et c’est encore l’orchestre qui clôt le drame dans une écriture tout à coup verticale. Deux pages admirables – des scènes entières – évoquent l’une un rivage aux lumières acérées, symbole de distance, l’autre le tissage de la tapisserie qui se fait voix pour une Philomèle privée de parole, le soprano et l’alto enregistrés se nouant à la trame comme deux nouveaux instruments aux timbres fantasques.


Le texte, direct, intime, philosophique ou ésotérique, se fait aussi pointilliste ou impressionniste que le style musical, les images fortes et fugitives s’imposant par éclairs comme autant d’oiseaux en vol. Le sens profond passe par la multiplication et la théâtralisation des techniques vocales mises en œuvre. Le compositeur table sur la souplesse des voix, les tessitures élargies et les timbres travaillés pour mêler dans l’instant le chant parfait, le cri, le Sprechgesang, le declamato, l’articulé-staccato, le hoquet, l’engorgé et le cristallin dans l’élaboration d’une ligne de chant qui suit le phrasé, la «mélodie» et les intonations d’un parlé naturel porté à son paroxysme.


Les objectifs sont atteints grâce à la maîtrise, la sensibilité, la musicalité et la hauteur de vue de ses interprètes, ensemble et solistes, qui mettent en valeur les modes de composition qui soulignent les caractères contrastés des trois protagonistes. La sublime Anu Komsi, dans un chant de haute voltige de colorature dramatique aux graves étonnants, crée une Philomèle forte et fragile, touchante et déterminée. La présence vocale de Susan Narucki et la souplesse de sa voix lors de techniques plus gutturales et saccadées, prêtent vie à une Procné rapidement plus dure, son amertume palpable. Lionel Peintre interprète sans complaisance le rôle émotionnellement plus neutre de Térée, sa forte présence essentielle à l’incarnation de ce personnage terrible, instigateur du drame au cœur de ce conte cruel.


La réalisation ne peut manquer d’intéresser sinon d’enthousiasmer tout amateur de musique contemporaine, de théâtre d’art et de poésie moderne et littéraire. Les mélomanes se laisseront gagner par l’émotion musicale. L’œuvre est dédiée à Antoine Gindt, directeur de T&M (commanditaire) depuis 1997 et auteur de l’excellente notice qui comprend un entretien fort intéressant avec le compositeur, mené en 2004.


Le site de la Casa da Musica pour l’Ensemble Remix
Le site de T&M


Christine Labroche

 

 

 

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