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05/27/2009
Toshio Hosokawa : Tabi-bito [Wanderer] pour percussion et orchestre – Sen VI pour percussion – Die Lotosblume, hommage à Robert Schumann, pour percussion et chœur

Isao Nakamura (percussion), WDR Rundfunkchor Köln, Rupert Huber (chef de chœur), WDR Sinfonieorchester Köln, Ken Takaseki (direction) Enregistré à Cologne (27 octobre 2000 [Tabi-bito] et 8-15 mai 2006) – 52’49 Stradivarius STR 33818 (distribué par DistrArt) – Notice de présentation en allemand, anglais et français






En 1933, dans son essai à l’éloge de l’ombre où jouent tant de lumières subtiles, l’écrivain Junichiro Tanizaki se demandait quelle aurait été l’évolution de l’esthétique des arts (dont la musique) en Occident comme en Orient si le pinceau s’était mondialement imposé à l’écriture et non le stylo. D’une chose il était certain – l’évolution aurait été différente et Toshio Hosokawa le laisse entrevoir. Le compositeur pense souvent sa musique en termes de calligraphie au bord de l’espace et du temps, et chaque son se compare au geste du calligraphe, au coup de son pinceau touchant le papier blanc au cours d’un mouvement plus complet, créant un trait nuancé, trace de pinceau sur un fond sans limites. Les trois œuvres de la sélection – pour percussion, percussion et chœur et percussion et orchestre – font appel ici au percussionniste japonais Isao Nakamura, contemporain de Hosokawa, qui obtient une gradation subtile du son, ses silences dynamiques, grâce non seulement à un plein respect de la partition mais aussi à sa gestuelle travaillée de calligraphe en trois dimensions suivant les souhaits du compositeur; il est peut-être aidé en cela par sa pratique autrefois du tambour japonais (wadaiko) lors de matsuri, festivals shinto traditionnels.


L’œuvre qui vient plus directement en illustration est celle pour percussion seule. Sen VI (1993) est la sixième pièce d’une série pour instrument solo (on pense aux Sequenza de Berio), qui en comporte maintenant sept. Le mot japonais sen désigne une ligne tracée au pinceau et à l’encre de la nature particulière qui relève presqu’uniquement de la calligraphie asiatique, le geste à la fois léger et puissant, le trait long, les volutes, parafes et levers de pinceau menant à une intériorité profonde. Ainsi est le jeu de Nakamura, virtuose. Les mouvements se chorégraphient tout en courbes pour mieux produire et nuancer le son, les gestes sont élégants, peut-être, mais énergiques et fermes, et sur leur parcours le cri appuie parfois le trait comme dans le théâtre Nô. Rythmée comme une respiration, structurée de silences à valeur de son, le temps plastique, l’œuvre puise sa richesse dans le raffinement des inflexions de frappe, les fines colorations nées des intensités et l’épanouissement contrôlé des résonances. La subtilité est le maître-mot.


Hosokawa et Nakamura relèvent cependant d’une formation musicale en partie accomplie en Occident (ils ont parachevé leur formation professionnelle en Allemagne) et si l’esprit des trois œuvres de ce disque s’ouvre à l’Orient, la conception formelle et la notion même d’écrit musical restent d’esprit occidental. Tabi-bito [Wanderer] (2000), la pièce la plus importante des trois, du moins par la durée, est un vaste concerto pour percussion et grand orchestre (avec percussion) en un seul mouvement, les deux protagonistes plus complémentaires que rivaux ou adversaires. La composition polyphonique évolue par strates complexes qui se chevauchent à la Lutoslawski, l’ambitus et la densité texturale variant sans cesse. Soliste et orchestre, seul ou ensemble, évoquent le trait du calligraphe, net dans le tracé dynamique mais aux intensités et aux développements latéraux plus indéterminés, plus libres. Les traits fusent, enflent, s’étirent et se terminent en volutes dans un espace indéfini, le soliste en contrepoint, et à chaque fois les sons s’étiolent dans un silence structurel et habité. La cadence permet à Nakamura de révéler de nouveau toute la subtilité de son art. Ken Takaseki, chef permanent de l’Orchestre symphonique de Sapporo et actif en Europe y compris sur le plan de la musique contemporaine, dirige un Orchestre de la WDR (Cologne) convaincu et convaincant.


Die Lotosblume est écrit en hommage à Robert Schumann sur le poème Die Lotosblume ängstigt de Heinrich Heine que Schumann illustra si délicatement pour le cycle Myrthen de 1840. Des trois œuvres, c’est peut-être celle-ci, malgré la grande originalité de son effectif, qui est la plus proche de l’esprit occidental. On pense à Ligeti ou encore au Dusapin de Requiem(s). Hosokawa mêle le raffinement habile de la percussion à la musique des voix tuilées, une voix soliste se détachant ici et là en contrepoint. En trois parties suivant les trois quatrains, la composition, toute en flux et reflux, jamais étale, épouse sans redondance le récit trouble et poétique, les timbres déliés finement colorés, cristallins ou sombres, toujours émouvants. La percussion est source d’étincellements, d’éclats lumineux, de rehauts cuivrés et de roulements discrets qui créent une légère tension permanente. Les voix fermes et sensuelles vibrent comme un reflet instable puis limpide au gré du vent qui ride la surface de l’eau, doux bercements et accalmies qui s’étiolent dans un temps suspendu pour s’enfler à nouveau, fluides, tremblants, mystérieux et tendres. Le Chœur de la WDR s’acquitte admirablement de sa tâche sous la direction de Rupert Huber, le poème frémissant de vie, pénétré d’une sensibilité toute schumannienne.


La musique de Hosokawa est ici assez consonante quoiqu’hautement originale. Alliées à cela, la beauté des trois œuvres, jamais encore enregistrées, et l’excellence de l’interprétation ouvrent généreusement la voie à qui ne connaît pas encore Hosokawa tout en s’imposant avec force à ceux qui l’apprécient déjà. C’est une réussite.


Christine Labroche

 

 

 

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