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03/07/2008
Emmanuel Nunes : La main noire – Improvisation II - Portrait – Versus III (*)

Christophe Desjardins (alto), Emmanuelle Ophèle (flûte en sol)
Enregistré à l’IRCAM, Paris (24 juin* et 5-8 juillet 2007) – 43’28
æon AECD 0756 (distribué par Harmonia Mundi)



Pour son premier enregistrement consacré à Emmanuel Nunes, Christophe Desjardins, alto solo de l’Ensemble intercontemporain, joue sur la saveur d’une certaine ambivalence musicale en laissant de côté une pièce pour alto seul (Einspielung III) pour porter son attention sur trois pièces, certes, pour un seul altiste, mais comportant chacune une particularité : la première est pour trois altos en re-recording, la deuxième pour deux altos en alternance, l’un accordé normalement, l’autre avec scordatura, et la troisième pour flûte alto et alto, les deux instruments traités ensemble comme un instrument unique. La fascination opère d’entrée. Elle sera surpassée par l’admiration que l’on conçoit pour les grandes qualités de l’altiste, virtuose et sensible, et par l’émotion musicale qu’il suscite à la faveur de la densité fertile de ces trois œuvres. Rejoint par la remarquable Emmanuelle Ophèle et sa flûte en sol lors de la troisième pièce, Christophe Desjardins offre ici, seul ou avec elle, une interprétation qu’il sera difficile d’égaler.


Versus III pour flûte en sol et alto est la pièce la plus ancienne de la sélection. Ecrite en 1987 et créée en 1991 à Bruxelles par Sophie Cherrier et Christophe Desjardins, elle fait partie d’un ensemble de trois pièces dédiées à la fille du compositeur et relève du deuxième cycle d’œuvres, La Création, commencé en 1978. Pour Versus I (clarinette et violon) et Versus II (euphonium et violoncelle), Nunes mise sur le contrepoint, mais Versus III est une ligne unique, un flux extraordinaire de couleurs timbrales élaborées sans couture apparente par l’un après l’autre des deux instruments ou les deux à la fois dans une Klangfarbenmelodie renouvelée. La mise en place est un tour de force de haute voltige tant on pourrait croire à un seul instrumentiste devant un seul instrument fantasque aux possibilités multiples. Pour cette partition, pointilliste ou mélodique, rythmée ou calme, Nunes a souhaité «tout un travail de confusion ou d’éloignement» et le grand raffinement des modes de jeu virtuoses mené à bien permet dans ce sens des effets polyphoniques, harmoniques, rythmiques, percussifs ou éoliens, les sonorités des deux instruments en fusion ou en contraste. Le mouvement domine mais, par courts instants, feux follets font place aux aurores boréales, petites pluies tapotantes aux lacs noyés de soleil et le pépiement des oiseaux, accelerando ritardendo, se perd en longs sons qui se teintent d’une mélancolie fugace.


A Witten en 2003, Christophe Desjardins créait Improvisation II - Portrait, la vaste deuxième pièce d’un cycle de cinq inspirées par la nouvelle La Douce de Dostoïevski, long monologue d’un veuf confronté au suicide inconcevable de sa toute jeune épouse. La partition ne demande aucune improvisation musicale. Il s’agit d’un portrait improvisé dans le sens où le compositeur ne s’attache pas à ce que l’on peut lire de la belle douce mais s’inspire de sa propre vision fragmentée de l’intériorité du personnage. L’improvisation est la sienne par rapport à Dostoïevski et au non-dit. La composition qui en résulte, dédiée à Christophe Desjardins, exige de son interprète non seulement une technique virtuose et une oreille sans faille mais la force, l’imagination et la sensibilité nécessaires pour insuffler vie à ce portrait intime, musicalement si fécond et si fragile. Les deux altos que requiert la partition entrent en jeu successivement, trois cordes du premier abaissées ou haussées d’un tiers ou d’un quart de ton, le second accordé normalement. Le style, les motifs, les gestes instrumentaux et les multiples modes de jeu restent, cependant, proches mais de subtiles différences d’écriture et d’instrument viennent appuyer, peut-être, les déchirements intérieurs de la douce incomprise et l’évolution de son agitation et de sa volonté prisonnière. La maîtrise et la finesse de Christophe Desjardins révèlent la subtile intelligence de cette œuvre, intense d’émotion contenue.


L’opéra Das Märchen, créé à Lisbonne en janvier 2008, s’inspire du conte fantastique Le Serpent vert de Goethe. Il a donné lieu, pendant son élaboration, à la naissance d’une petite pléiade d’œuvres sur le même thème, dont La main noire pour trois altos créée en re-recording par Christophe Desjardins au festival Musica, commanditaire, en septembre 2007. La main qui devient noire est celle d’une vieille femme mais le symbolisme et les péripéties de l’histoire touchent moins la musique, peut-être, que le caractère du personnage et, lors de l’opéra, sa ligne de chant (contralto) qui est accompagnée de trois altos, hautbois, cor anglais et basson. Pour La main noire, Nunes reste dans le registre de la voix de contralto et tire son matériau musical de motifs associés à la vieille femme tout en exploitant certains passages confiés aux six instruments. Le rapport à l’opéra doit y apporter un certain éclairage mais, dans l’absolu, c’est un régal polyphonique, un foisonnement de sonorités nées de modes de jeu recherchés, pierre de touche de l’orchestration à trois voix jusque dans les rares instants à l’unisson. Encore une fois, la partition exige un interprète virtuose doté d’une grande musicalité et d’une fluidité d’archet sans reproche. Christophe Desjardins ne peut décevoir, au contraire, et livre ici une (triple) interprétation d’exception.


Le site de Christophe Desjardins


Christine Labroche

 

 

 

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