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06/27/2007
Georges Aperghis : 14 Récitations
Donatienne Michel-Dansac (soprano)
Enregistrement : Wiener Konzerthaus (2001) – 43’
Col legno WWE 20270 (distribué par Intégral)



Les Récitations d’Aperghis ont été mises au point il y a presque trente ans, au cours de cette longue époque d’incertitude où le théâtre musical tentait d’imposer ses spéculations comme seul format de survie possible d’un opéra désormais agonisant. Période d’intenses recherches sur la voix dans tous ses états, véritable laboratoire expressif dont le principal défaut fut sans doute… de rester un laboratoire, sans véritables débouchés possibles dans le domaine de la production lyrique de série. Que reste-t-il aujourd’hui de cette créativité désordonnée : beaucoup de titres oubliés, dont certains mériteraient une réévaluation, la période de purgatoire indispensable pour qu’un certain tri s’effectue allant à présent vers son terme.


L’avenir des Récitations ne cause en tout cas guère d’inquiétude, sous réserve évidemment d’interprètes suffisamment courageuses pour s’y lancer. On croyait jusqu’ici qu’hormis Martine Viard, créatrice et inspiratrice de ces quatorze moments vocaux pour soprano seule, personne n’aurait l’aplomb suicidaire de s’y confronter à nouveau. Eh bien, voici à présent Donatienne Michel-Dansac, voix rompue à toutes les acrobaties du répertoire contemporain, mais aussi vrai tempérament d’actrice. La démesure farfelue voire le jusqu’au boutisme du nonsense qui faisaient la force de Martine Viard ne sont pas aussi présentes dans cette nouvelle interprétation, un rien plus sage. Mais d’autres atouts prédominent : une féminité plus gracieuse (le timbre des rares phrases chantées à pleine voix est beaucoup plus riche), une fragilité plus émouvante, moins calculée (les rares accidents vocaux de ce concert public ont d’ailleurs été préservés sans retouches). On avait eu tendance à oublier les Récitations de Martine Viard avec le temps, comme des objets un peu démodés. Aujourd’hui on est prêt à les réécouter de nombreuses fois avec Donatienne Michel-Dansac et à en ranger certaines dans son petit musée personnel d’incontournables. La perception de l’œuvre change : d’expérimentale elle est devenue référentielle.


Un changement perceptible même dans l’organisation du programme. Le disque de Martine Viard était issu d’un spectacle semi-scénique qui n’utilisait pas l’intégralité des 14 Récitations, en laissait certaines de côté, voire fragmentait certaines pièces en les reprenant plusieurs fois sous des aspects différents. Donatienne Michel-Dansac chante en revanche ces pièces strictement dans l’ordre, accentuant leur caractère de petites études de virtuosité vocale et poétique fermées, susceptibles d’exister autant par elles-mêmes que par leur contexte. On ne peut s’empêcher de tenter un parallèle avec les Etudes de Chopin, ces deux recueils qui recensent et développent tous les aspects possibles de la virtuosité pianistique à une époque donnée. Les Récitations d’Aperghis c’est aussi un peu cela: un prodigieux catalogue d’effets, de matériaux vocaux du plus brut au plus raffiné, que l’on a pu retrouver ensuite dans bon nombre d’ouvrages lyriques plus récents, dès qu’il s’est agi d’enrichir une ligne vocale d’éléments « créatifs ».


Il est difficile de dominer complètement ces Récitations, qui poussent souvent l’interprète dans de tels retranchements physiques (souffle et facultés de mémorisation), que la notion d’interprétation se double ici forcément d’un aspect brut, pas complètement maîtrisé. Mais c’est aussi ce qui magnifie la poésie de certaines de ces pièces : l’exacerbation d’instants de fragilité voire de points de rupture, dans cette succession de portraits de femmes. Tout un vocabulaire déconcertant qui va de la phrase parlée au cri, en passant par feulements, bruits de respiration, permutations syllabiques étourdissantes, pépiements… une ligne vocale d’apparence anarchique qui met l’interprète à rude épreuve mais aussi peut-être l’auditeur, dont la première réaction sera parfois le rejet.


Mais si l’on s’y laisse prendre ce « one woman show » devient d’une sensibilité, d’une drôlerie explosive, voire par instants d’une densité émotionnelle que peu d’œuvres vocales parviennent à dispenser avec autant de versatilité. Le compositeur ne peut pas toujours éviter des sensations de tics d’écriture (en particulier une impression d’effets juxtaposés un peu trop systématiquement, la rupture devenant un procédé quasi-automatique), et peut-être y a t-il dans ce petit cycle quelques passages trop longs. Mais comment résister à l’espièglerie de la 7e Récitation (sorte de faux ensemble vocal où la chanteuse semble conduire simultanément trois lignes de chant), au tournoiement obsédant des onomatopées de la 13e, à la souple arabesque mélodique subtilement variée de la 12e, à la savoureuse caricature d’écervelée mondaine de la 11e, voire au curieux effet d’empilement pyramidal du texte de la 10e ? Fondamentalement cet art dramatique et lyrique particulièrement original n’a pas vieilli, et grâce à la voix de Donatienne Michelle Dansac il prend même un appréciable coup de jeune. A connaître absolument.


Laurent Barthel

 

 

 

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