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Musique en uniformes

Berlin
Komische Oper
06/15/2014 -  et 20, 25 juin, 1er, 9 juillet 2014
Bernd Alois Zimmermann: Die Soldaten
Jens Larsen (Wesener), Susanne Elmark (Marie), Karolina Gumos (Charlotte), Xenia Vyaznikova (Weseners alte Mutter), Tom Erik Lie (Stolzius), Christiane Oertel (Stolzius’ Mutter), Reinhard Mayr (Obrist, Graf von Spannheim), Martin Koch (Desportes), Hans Schöpflin (Pirzel), Joachim Goltz (Eisenhardt), Tomohiro Takada (Haudy), Günter Papendell (Mary), Edwin Vega, Alexander Kravets, Máté Gál (Drei junge Offiziere), Noëmi Nadelmann (Die Gräfin de la Roche), Adrian Strooper (Der junge Graf), Beate Vollack (Andalusierin, Madame Roux), Bogdan Talos, Benjamin Mathis, Konrad Hofmann (Drei Hauptleute), Elias Reichert (Betrunkener Offizier), Wolfram Schneider-Lastin (Bedienter der Gräfin), Benjamin Mathis (Ein junger Fähnrich)
Orchester der Komischen Oper, Gabriel Feltz (direction musicale)
Calixto Bieito (mise en scène), Rebecca Ringst (décors), Ingo Krügler (costumes), Beate Breidenbach, Pavel B. Jiracek (dramaturgie), Franck Evin (lumières), Sarah Derendinger (vidéo), Beate Vollack (chorégraphie)


(© Monika Rittershaus)


Deuxième scène lyrique de Berlin-Est avant la réunification, le Komische Oper, fondé en 1947 par Walter Felsenstein puis repris par son élève Joachim Herz, a gardé aujourd’hui sa spécificité qui est un mélange des répertoires lyriques sérieux, légers (incluant l’opérette) et des spectacles pour enfants, et de donner tous les ouvrages en langue allemande. Jusqu’à la chute du Mur de Berlin, il était un peu le parent pauvre en retrait du Staatsoper, situé dans la partie la plus délabrée du secteur soviétique mais on pouvait, au début des années 1980 – jusqu’à ce qu’il soit dirigé par Harry Kupfer, étoile montante du Regietheater de la RDA – y voir encore comme des pièces de musée des mises en scènes légendaires de Felsenstein et Herz. Le système de troupe et de répertoire y est toujours la règle et peu de spectacles y sont montés chaque saison, toujours avec un soin extrême, les mêmes chanteurs et une régularité proche de la perfection. Entretemps se sont succédés Andreas Homoki et actuellement Barrie Kosky à la tête de ce théâtre bien rénové, qui, tournant le dos à Unter den Linden, se trouve, par le jeu des changements politico-géographiques, dans la zone la plus huppée de la capitale allemande, le Mitte, véritable nouveau centre à deux pas des plus belles réalisations architecturales de la Französische Strasse et de la porte de Brandebourg.


Cette permanence dans sa spécificité n’a pas empêché ce théâtre d’entrer dans la compétition entre les trois scènes lyriques berlinoises et par là-même dans la surenchère dans la provocation des mises en scène. On se souvient, il y a juste dix ans, d’un Enlèvement au sérail de Mozart dont le trash fit un énorme scandale qui cherche (en vain) aujourd’hui sa résonnance dans la nouvelle production des Soldats de Zimmermann, puisqu’il s’agit du même metteur en scène, le sulfureux Catalan Calixto Bieito. Cette production de la pièce maîtresse du dodécaphonisme du XXe siècle a été créée en septembre 2013 à l’Opernhaus de Zurich, qui la coproduit. Les Soldats de Bernd Alois Zimmermann d’après Jakob Lenz, créé en 1965 à Cologne, a beaucoup de similitudes avec Wozzeck de Berg. Sauf pour son minimalisme, car l’œuvre de Zimmermann, hypertrophiée, joue avec les rapports entre temps et espace au point que les représentations en sont toujours un vrai casse-tête pour les metteurs en scène comme dans la production de référence assez confuse mise en scène par Harry Kupfer à Stuttgart en 1989 (DVD Arthaus Musik). Une superbe mise en scène au festival de Salzbourg 2012, signée Alvis Hermanis, grâce à l’espace et la configuration de la salle du Manège des rochers, a permis de caser en une seule vision horizontale toutes les scènes intriquées et les différents orchestres qui interfèrent dans cette œuvre complexe sous la direction électrisante d’Ingo Metzmacher (DVD EuroArts/Unitel Classica).


Celle de Calixto Bieito et Rebecca Ringst joue sur l’effet vertical avec un immense échafaudage couleur moutarde anglaise au sommet duquel est juché l’orchestre, quelques cent dix musiciens en treillis, tout comme le chef allemand Gabriel Felz. Sous cette construction est ménagé un tunnel par lequel entrent les chanteurs et acteurs et éventuellement les percussions roulées quand leur présence est nécessaire comme un char au devant de la scène. La fosse est couverte d’un large proscenium qui permet aux actions simultanées de se passer de façon très lisible à l’avant-scène. Des écrans latéraux montrent soit certaines scènes en gros plan, soit d’autres passées, présentes ou futures qui se passent hors scène simultanément à l’action en cours, principe conducteur de la «sphéricité du temps» de Lenz et de Zimmermann. L’action est transposée de l’époque des guerres des Flandres françaises à un passé beaucoup plus récent.


Bieito, tout en maîtrisant parfaitement cette complexité dans la trame de l’histoire, a beaucoup centré son travail sur le destin de Marie, dont le désir d’ascension sociale et la déchéance sont mis en lumière avec une cruauté infinie. On n’attendait pas moins du Catalan que les scènes purement soldatesques ne soient jouées avec beaucoup d’excès et de brutalité, les points extrêmes étant la scène de flagellation d’un prisonnier suivie de son travestissement, le viol de Marie par l’ordonnance de Desportes, et l’agonie de Marie dans un bain de sang au final dans un infernal bruit de bottes et sous les retombées du champignon atomique. L’érotisme est présent à tous les tournants du livret et les scènes d’affrontement entre personnages particulièrement violentes.


Tous les chanteurs de l’impressionnante distribution avaient le type vocal, le style et la tessiture requis et surtout la formidable endurance particulièrement le soprano danois Susanne Elmark, extraordinaire interprète du rôle omniprésent de Marie. Remarquable aussi le Kammersänger berlinois Jens Larsen si humain dans le rôle de son père (Wesener) et le ténor de caractère Martin Koch dans celui du l’officier Desportes. Particulièrement savoureuse, la Comtesse de La Roche de Noëmie Nadelman en clone de Joan Collins dans Dynasty. L’impressionnante précision de cette distribution était renforcée par la présence d’un souffleur la dirigeant à l’avant de la scène, en lieu et place du chef d’orchestre.


Le public de la première berlinoise a réservé un accueil triomphal et bien mérité au Generalmusikdirektor du Théâtre de Dortmund, le chef Gabriel Feltz, dont on a pu remarquer qu’il avait bien mouillé sa chemise durant ces deux heures de combat musical, ainsi qu’à l’Orchestre et au Chœur du Komische Oper (agrémentés de musiciens de jazz et percussions requis par la partition) et à toute l’équipe musicale. Pas de scandale mais une belle ovation pour Bieito et son équipe. De l’eau a passé sous les ponts depuis son Enlèvement de 2004 et les scènes lyriques berlinoises ont connu des outrages plus extrêmes!



Olivier Brunel

 

 

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