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La quadrature du cercle ?

Strasbourg
Opéra national du Rhin
03/14/2014 -  et 16, 18, 21*, 25 mars (Strasbourg), 11, 13 avril (Mulhouse) 2014
Ernest Chausson : Le Roi Arthus, opus 23
Elisabete Matos (Genièvre), Andrew Schroeder (Arthus), Andrew Richards (Lancelot), Bernard Imbert (Mordred), Christophe Mortagne (Lyonnel), Arnaud Rihard (Allan), Nicolas Cavallier (Merlin), Jérémy Duffau (Un laboureur)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Jacques Lacombe (direction)
Keith Warner (mise en scène), David Fielding (décors et costumes), John Bishop (lumières)


(© Alain Kaiser)


Pourquoi Le Roi Arthus n’est-il jamais présenté sur scène, même en France, alors qu’il s’agit de l’un des fleurons musicaux de notre littérature lyrique ? Il y a sans doute des réponses tangibles à cette question. Et on espère que l’achoppement de cette courageuse production de l’Opéra du Rhin ne nous les donne pas de façon définitive.


Musicien d’opéra, Chausson? Certes non. Un chambriste, un poète qui manie subtilement l’orchestre, et même un fin mélodiste amoureux des voix. Mais toutes ces qualités réunies ne font toujours pas un bon compositeur d’opéra. Et surtout pas dans un sillage wagnérien où l’efficacité dramatique est rarement recherchée prioritairement (Tristan, au fond, est-il si facilement viable aujourd’hui, sur scène ?). Chausson a écrit de surcroît lui-même son livret, pas vraiment mauvais mais long et répétitif, et surtout paré d’une musique tellement belle qu’il est hors de question de tailler à coups de ciseaux dans ces somptueuses séquences d’un seul tenant.


Que faire alors? Déjà, et nous avons tous oublié que cela ne va pas de soi, rendre l’œuvre accessible au disque. Il y a vingt-cinq ans à peine personne encore n’avait réellement pu entendre Le Roi Arthus. Michel Garcin, fondateur de la firme Erato, s’est battu pendant des années pour qu’un premier enregistrement, aboutissement d’une véritable quête du Graal, puisse être publié. Sous la baguette d’Armin Jordan, celui-ci fut d’emblée une réussite, heureusement. Or il n’y en a pas eu beaucoup d’autres depuis, pas plus que de productions scéniques d’ailleurs. Le Festival de Bregenz, dans sa version «indoor», spécialisée dans les ouvrages rares, en a osé en 1996 une production très réussie sur le plan musical mais malheureusement (on y était) assez soporifique sur le plan visuel. Au Théâtre de la Monnaie en 2003, la scénographie élaborée pour le centenaire de la création de l’ouvrage in loco posait apparemment d’assez nombreux problèmes aussi. On se demande d'ailleurs s’il existe vraiment un salut pour cette œuvre en dehors d’une écoute intérieure, au disque voire en version de concert, en imaginant la mise en scène de ses rêves.


Keith Warner et David Fielding ont-ils été tentés par un tel onirisme, à notre avis seul planche de salut ? Malheureusement non. Au contraire ils se sont laissés enfermer dans l’inertie du concept prémédité et dans la rigidité du décor monumental, là où il aurait mieux valu se laisser libres de larges espaces, fussent-ils abstraits. Ce n’est pas la transposition dans l’univers nationaliste du premier conflit mondial qui gêne. Une guerre en vaut bien une autre, du moins quant à l’absurdité des motifs qui l’ont déclenchée. Acceptons donc ces uniformes d’époque, rouges et bleus vifs qui ne seraient pas déplacés dans une opérette parodique. Passe encore pour la scène d’état-major au premier acte, assez spectaculaire et mouvementée. En revanche les rangées d’obus stockés en haies au deuxième acte sont strictement impossibles (on dirait des alignements de suppositoires dressés verticalement), de même que l’hôpital de campagne du III, sorte de bûche de Noël métalllique qui tourne continuellement en rond, poussée par des infirmières en cornettes. Et que dire de l’apothéose finale dans un cimetière militaire, tableau kitchissime sous une pluie de pétales rouges, avec un Arthus désormais en armure marchant vers son immortalité alors que l’on met la dernière main à sa statue équestre... Aussi lourd soit-il, ce dernier tableau fait néanmoins sens. On y ressent mieux la concrétion des quelques idées intéressantes de cette mise en scène, dont malheureusement l’inspiration reste trop limitée et surtout s’asphyxie sur la durée impossible des actes II et III. Court répit à la fin du II avec la scène de Merlin, basée sur une idée intéressante (un arbre qui descend des cintres, à l’envers), mais c’est là le moment de l’ouvrage le plus facile à réussir, car enfin dramatiquement bien construit.


D’autres pistes à suivre ? On aurait pu en trouver : l’esthétisme décadent d’époque, les préraphaélites, le vitrail art nouveau, la paraphrase symboliste en vidéo, l’abstraction subtilement éclairée... en tout cas une prise de distance qui fasse rentrer dans une autre gestion du temps qui passe. Ici les minutes s’enchaînent de plus en plus lentement à mesure que les trois actes égrènent leur répliques et finalement, même avec la passion la plus volontariste en faveur de cette oeuvre et de ce musicien chevillée à l’âme, on n’en peut plus !


Musicalement, il aurait fallu aussi une équipe un peu plus brillante, ou du moins un peu moins ébréchée. Tout le monde ici a beaucoup de mérites et aussi beaucoup de défauts. Reste à choisir s’il vaut mieux considérer prioritairement les uns ou les autres. Stylistiquement on apprécie un bon maniement général de notre langue, même de la part de chanteurs dont certains n’ont quasiment aucune notion de français parlé. Le recours au surtitrage est d'ailleurs souvent superflu. Vocalement en revanche ni l’émission problématique du Lancelot d’Andrew Richards, ni le manque de puissance de l’Arthus d’Andrew Schroeder, ni les fêlures et la métallisation du timbre de la Genièvre d’Elisabete Matos, soprano au demeurant fort juste d’intonation, ne nous laissent nous installer dans un confort d’écoute suffisant. Seul le parfait Merlin de Nicolas Cavallier tire son épingle du jeu. Et en fosse non plus, malgré quelques beaux moments, où la pâte voluptueuse de l’orchestre parvient enfin à lever, Jacques Lacombe ne trouve pas la dimension post-wagnérienne subtilement allégée qui conviendrait. A la fois le manque d’enrobage de l’acoustique et le manque de fusion des timbres de l’Orchestre de Mulhouse ne l’autorisent de toute façon que difficilement.


Un échec alors? Sûrement pas, mais beaucoup d’interrogations. L’Opéra du Rhin n’aurait-t-il pas simplement quelque peu présumé de ses forces en s’attaquant à un pareil ouvrage ?



Laurent Barthel

 

 

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