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Orchestre en péril (suite)

Freiburg
Konzerthaus
01/26/2014 -  
Antonín Dvorák : Variations symphoniques, opus 78
Igor Stravinsky : Variations «in memoriam Aldous Huxley»
Gustav Mahler : Lieder eines fahrenden Gesellen
Robert Schumann : Symphonie n° 1, opus 38, «Frühlingssymphonie»

Andrew Schroeder (baryton)
SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, Michael Gielen (direction)




L’Orchestre symphonique du SWR de Baden-Baden et Freiburg se produit ce soir dans sa propre salle, cet imposant Konzerthaus que Freiburg a construit afin d’abriter une phalange que les habitants de la ville continuent à considérer comme «leur» orchestre. Le bâtiment est agréable, avec ses parties d’accueil claires et dégagées, et la salle offre un bon confort, parfois inégal acoustiquement selon les endroits. Vraisemblablement un problème de salle trop profonde et pas assez large, qu’aucun traitement palliatif n’a pu complètement compenser. Cela dit, un concert de cet orchestre dans de tels murs est toujours un événement artistique non négligeable, privilège auquel on comprend très bien que les Fribourgeois ne souhaitent en aucun cas renoncer.


Car c’est bien là le gros souci du moment. La situation administrative critique déjà exposée dans un compte rendu récent n’a pas beaucoup évolué, et il est toujours question que l’orchestre disparaisse à court terme ou du moins qu’il soit déplacé à Stuttgart, à deux heures d’autoroute de là, pour y être phagocyté par une formation radiophonique monstrueuse et probablement impersonnelle qui ne se produirait plus à Freiburg que pour des concerts ponctuels. Les manifestations d’indignation se succèdent, y compris dans la rue, et on continue pendant les entractes à faire circuler les pétitions. Une lueur d’espoir persiste cependant, même si elle atteste aussi de l’ampleur de la crise : aucune politique artistique ne parvient à se mettre en place pour l’avenir de cette fusion orchestrale déjà décidée depuis de longs mois. Pas de directeur musical nommé (on conçoit qu’aucun chef de renom n’ait envie de cautionner un tel sinistre), pas de programmation... L’absurdité politique s’obstine ici à s’engager, et à de plus en court terme, dans une impasse totale.


En attendant, le public signe massivement les pétitions et il est prié d’arborer lui aussi le pin’s jaune barré de rouge des protestataires. On ne parvient à déchiffrer ce petit objet que de près : l’interlocuteur potentiel doit de ce fait s’approcher suffisamment pour qu’on puisse l’interpeller et lui parler d’un problème que lui-même ignore peut-être... A l’attention des lecteurs de cet article ajoutons qu’ils peuvent aussi joindre leur signature à cette pétition, dont le volet internet recueille actuellement de très nombreuses signatures au niveau international. Cette pétition est accessible ici.


Pour ce concert on retrouve avec plaisir Michael Gielen, 86 ans, toujours ingambe et intellectuellement pugnace. Une soirée avec ce très grand personnage de la direction d’orchestre n’est jamais tout à fait comme les autres, quel que soit le répertoire abordé. Pour ce programme Michael Gielen a même choisi de s’adresser directement au public, afin de commenter brièvement les Variations symphoniques de Dvorák, partition peu connue mais brillante et diversifiée que l’orchestre vient tout juste de jouer («Une bonne idée qu’on m’a donnée là : diriger ces Variations que je ne connaissais pas. Elles sont effectivement très bien!») et surtout de présenter ensuite d’autres Variations, celles «in memoriam Aldous Huxley» de Stravinsky («C’est une partition difficile à comprendre, d’ailleurs personnellement, à la première audition je n’ai rien compris !»). Plus sérieusement Gielen décrit ensuite quelques aspects timbriques originaux d’une écriture dodécaphonique éclatée, notamment plusieurs séquences de cordes divisées. Il invite même à deux auditions successives de cette partition de cinq minutes seulement, l’une immédiate et la seconde après l’entracte. Au passage on s’amuse de sa perception sarcastique de la période néo-classique de Stravinsky, production qu’il n’a cependant jamais complètement boudée : «Quand un compositeur du XXe siècle se coiffe tout à coup une perruque pour écrire, cela n’a pas de sens !». Homme de profondes convictions, Gielen n’a décidément pas changé. Quant à son interprétation de ces énigmatiques Variations de Stravinsky, elle fascine effectivement par son objectivité attentive, et aussi par les capacités toujours impressionnantes des musiciens à le suivre dans cet exercice où l’écoute compte autant que le jeu instrumental lui-même. Quel fantastique outil humain que cet orchestre! Et quelle stupidissime idée, décidément, que de vouloir demain le détruire!


Les Lieder eines fahrenden Gesellen de Mahler devaient être chantés par le baryton suédois Peter Mattei. Mais c’était compter sans une indisposition subite, annoncée le matin même. Finalement c’est l’américain Andrew Schroeder, en troupe à Stuttgart, qui s’insère prudemment dans le concert, après seulement quelques raccords. Autant l’accompagnement prodigieusement diversifié de Gielen fascine, autant la voix laisse perplexe, relativement neutre et manquant de puissance. Mais au moins cette partie du programme a-t-elle pu être sauvée in extremis.


Après l’entracte, seconde exécution des Variations de Stravinsky, d’apparence un rien plus relâchée, et puis une roborative exécution de la Première Symphonie de Schumann, œuvre dont il est difficile de trouver les clés mais que Gielen parvient à parcourir avec un rare bonheur, en équilibrant à merveille les quatre mouvements. A noter qu’il utilise les «retouches» effectuées par Gustav Mahler, non pas par curiosité mais bien parce qu’il a toujours affirmé haut et fort qu’il ne supportait pas diriger les orchestrations originales de Schumann, vraiment trop pénibles et maladroites. Un choix bien assumé mais qui donne inévitablement à l’ensemble des couleurs différentes, au demeurant agréables même si du coup cette symphonie paraît rejoindre le giron d’un romantisme un rien plus conventionnel.


A vos claviers, donc, pour signer vous aussi la pétition. Ce fabuleux orchestre le mérite !



Laurent Barthel

 

 

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