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Rihm, compositeur lyrique, enfin à Madrid

Madrid
Teatro Real
10/09/2013 -  et 11, 12, 13*, 15, 17, 18, 19 octobre 2013
Wolfgang Rihm: Die Eroberung von Mexiko

Madja Michael (Montezuma), George Nigl (Cortez), Graham Valentine (L’homme qui crie), Ryoko Aoki (Malinche, rôle dansé), Caroline Stein (soprano, pour Montezuma), Katarina Bradic (alto, pour Montezuma), Stephan Rehm et Peter Pruchniewitz (acteurs, pour Cortez)
Coro titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta titular del Teatro Real (Orquesta sinfónica de Madrid), Alejo Pérez (direction)
Pierre Audi (mise en scène), Alexandre Polzin (décors), Wojciech Dziedzic (costumes), Urs Schönebaum (lumières)


N. Michael (© Javier del Real/Teatro Real)


Wolfgang Rihm (né en 1952) appartient à la génération après l’avant-garde: il a vingt ans de moins que Bruno Maderna. Lui et son œuvre profitent assez bien la politique qui a esthétiquement imposé cette génération des avant-gardistes, mais son esthétique est différente, surtout dans la mesure où elle revendique sa pleine liberté: l’application du sérialisme à tout le matériau évite la répétition, mais la répétition est une marque personnelle de Rihm dans des œuvres lyrico-dramatiques comme La Conquête du Mexique, dont l’intérêt indubitable ne nous empêche pas comprendre aujourd’hui qu’il s’agit d’un titre trop valorisé.


L’intérêt de la musique de Rihm dans cet opéra est secondaire. Le compositeur renonce à la primauté de la musique et conçoit une partition pour un metteur en scène, qu’il considère – même s’il ne l’avoue pas – comme le maître de la soirée, de l’œuvre, de l’art et de l’artisanat. Les exercices d’équilibre des critiques pour justifier la primauté (impossible, invisible) de la musique de Rihm sur le reste des composants nous provoquent de la tendresse ou de la compassion. Rihm n’est pas un avant-gardiste, mais, comme eux, il a réussi à imposer ceci: «voilà mon œuvre; si cela ne te plait pas, c’est ta faute». Ah, le temps où un musicien présentait son œuvre au public, avec de la pudeur, en risquant sa peau s’il y introduisait des nouveautés, des audaces, des délits harmoniques... A notre époque, c’est le critique qui souffre, en cherchant les qualités d’une musique où le coupable du manque d’affinité, c’est d’abord lui, et ensuite tous les réacs du parterre. A cause de cela, nombreux sont ceux qui, depuis la première de cet opéra de Rihm, ont eu l’habileté de ne pas en écrire du mal, sans rien dire, parce que... on ne sait jamais.


Hormis cela, la musique de Rihm pour cet opéra est un pari visuel plus que sonore. Inutile de décrire la disposition des instruments entre la fosse, les loges – y comprise la loge royale! – et l’importance des percussions et des effets enregistrés. La disposition des personnages en conflit est très importante: Montezuma, soprano – mais le personnage n’est que ce soprano-là, il y a en outre deux autres voix féminines, soprano et contralto pour parfaire Montezuma; le personnage n’est pas unique, la trouvaille théâtrale entre dans le parcours, déjà ancien, de la crise du personnage dans le théâtre contemporain. De même pour Cortez: baryton et deux voix d’hommes «diseurs» pour parachever sa voix et perfectionner le personnage. La métaphore est trop évidente: le principe masculin de l’envahisseur pénètre le monde féminin envahi. Quelle subtilité!


Et le spectacle? Justement, le spectacle est formidable. Pierre Audi a réussi une mise en scène non seulement éclatante, mais aussi pleine de nuances, celles suggérées par Rihm et sa dramaturgie, dans une partition développée comme du papier peint – expression méprisante de Stravinski envers la musique de film... où il a échoué – ou, plutôt, comme un paysage où se développe une action dramatique et lyrique prenant Artaud et Octavio Paz comme inspirateurs – on peut l’accepter, mais... Si l’on accepte que la musique de Rihm est un paysage très adéquat – adéquat, pas beau, la beauté est ici exilée, peut être le compositeur a bien raison, il ne s’agit pas de beauté –, on comprend mieux le pari d’Audi et son équipe, où les décors de Polzin et les costumes de Dziedzic ont une importance capitale. La mise en scène suit les suggestions pas du tout réalistes, la stylisation, le schématisme insinués par la partition et le livret – attention: le livret ne dit presque rien par lui-même, sans la partition, et la partition ne dit pas beaucoup sans le spectacle: on écoute le disque et on reste un peu pantois.


Mais... les voix? Ah, les voix des deux protagonistes sont essentielles dans le paysage que Rihm a «bâti» pour eux, dans le paysage d’Audi et Polzin, dans la danse comme dessin du conflit et du désir, de la lutte et de la mort. Nadja Michael, qui a excellé au Teatro Real en Poppée et en Marie, qui a joué ces derniers temps des rôles superbes – Salomé, par exemple –, est une voix belle et puissante, et, en même temps, son corps danse, son corps d’athlète, souple et fort comme sa ligne, sa voix pour toutes les héroïnes auxquelles elle donne son pouvoir: en voyant son Montezuma, on craint que le conquis ne soit Cortez, et pas elle(-lui). Mais Georg Nigl est un comédien et baryton lui aussi de toute beauté, par son physique ainsi que par la couleur et la puissance de sa voix. Une belle réponse à Nadja, un bel envahisseur.


Mais la valeur d’un opéra se juge à la réussite des ensembles: la question est très bien résolue par Rihm et par les artistes. Mention aux voix qui «doublent» Montezuma féminin et Cortez masculin, spécialement les deux voix féminines pour Montezuma: la voix claire de Caroline Stein et la voix singulièrement grave du contralto serbe Katarina Bradic – celle-ci a quelque chose d’inouï.


Une très belle idée théâtrale de Rihm est faire une danseuse de Malinche, l’interprète et traductrice entre Montezuma et Cortez (une traîtresse pour certains: on oublie que la conquête du Mexique aurait été impossible pour Hernán Cortés sans l’aide des peuples mexicains qui haïssaient les Aztèques: sa danse est sa traduction, ses mouvements sont ses paroles bilingues. Dans la mise d’Audi le rôle est confié à une danseuse japonaise, Ryoko Aoki, à l’élégance délicate et formée au vénérable et toujours vivant théâtre nô.


Alejo Pérez a magistralement dirigé: devant, la fosse, les chœurs (parfois cachés), les danseurs, les acteurs; à droite et à gauche, les loges avec des percussionnistes, deux violons, hautbois, trompettes, soprano et contralto, tout en «stéreo», un soutien en forme d’ensemble de chambre; derrière lui, en haut, la loge royale, percussions encore, plus trompette et hautbois. Un vrai maestro, ce jeune Argentin déjà bien connu au Teatro Real et dont l’avenir est prometteur (pour lui et pour nous).


Après l’arrangement de l’affaire Mortier – arrangement? –, son pari sur cet opéra a réussi. Cela n’a pas été un succès énorme – comme partout, d’ailleurs, et il ne s’agit pas de cela – mais le public a reçu l’œuvre avec respect et une claire reconnaissance pour Audi, Pérez et les chanteurs.


Devant la musique de Rihm, et après le très beau spectacle d’Audi et les siens, et les voix de Nadja Michael, de Nigl, de Stein, de Katarina Bradic, la danse de Ryoko Aoki, la direction d’Alejo Pérez..., on pourrait paraphraser Verlaine: «De la musique après toute chose»...



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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