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Plaisir et idées reçues

Strasbourg
Opéra National du Rhin
05/18/2012 -  et les 20, 22, 24*, 26 mai (Strasbourg), 8, 10 juin (Mulhouse) 2012
Antonio Vivaldi : Farnace
Max Emanuel Cencic (Farnace), Ruxandra Donose (Tamiri), Mary Ellen Nesi (Berenice), Carol Garcia (Selinda), Vivica Genaux (Gilade), Emiliano Gonzalez Toro (Aquilio), Juan Sancho (Pompeo)
Ballet de l’Opéra national du Rhin, Chœur de l’Opéra national du Rhin, Concerto Köln, George Petrou (direction)
Lucinda Childs (mise en scène et chorégraphie), Bruno de Lavenère (décors et costumes), David Debrinay (lumières)


« J’aime beaucoup la musique de Vivaldi que je trouve très imaginative et très peu stéréotypée, contrairement à certaines idées reçues » : dans le programme de soirée l’interview du chef d’orchestre Georges Petrou donne d’emblée le ton. On se trouve en compagnie de vrais passionnés, ce qui peut faire pardonner cette relative intransigeance. Car, quand même, que de banalités sidérantes au cours de ces trois heures de l’un des chefs-d’œuvre de la maturité vivaldienne ! Même si l’assaisonnement des plats, que l’on peut imputer beaucoup à l’inventivité du chef et des chanteurs, a été fortement relevé, tonalités simples, rythmes à l’emporte-pièce et marches d’harmonie restent les principaux ingrédients du menu. L’impression de longueur ressentie par une partie du public est bien imputable essentiellement à cela, et non au statisme présumé de ce type d’opera seria (là, en revanche, une vraie idée reçue...). Contrairement à ce que l’on trouve par exemple dans les grands opéras de Haendel la dramatisation de l’écriture harmonique ne joue ici qu’un rôle extrêmement ciblé, sur quelques airs qui acquièrent un relief saisissant, tout le reste paraissant davantage abandonné aux friches ordinaires.


Propos hérétiques? Il faut sans doute baigner dans cette musique du matin au soir pour parvenir à se départir de cette sensation lancinante de vacuité, à l’écoute d’une moulinette baroque au demeurant toujours agréable. En attendant que la révélation arrive, contentons nous d’avouer notre embarras poli quant à la valeur moyenne du contenu musical d’un ouvrage pareil.


Et maintenons, passons à un registre plus hédoniste, et là, grâce à un remarquable travail collectif, le bilan devient génialement positif. Car on éprouve beaucoup de plaisirs : auditif, visuel, émotionnel, à découvrir cette lecture d’une œuvre qui nous la rend toujours lisible et même passionnante. Georges Petrou dynamise son orchestre baroque de référence (le Concerto Köln, quand même...) avec une furia qui n’a apparemment rien à envier aux ensembles italiens les plus vitaminés, une certaine minutie d’orchestre allemand méthodique restant cependant perceptible. Bref, du sérieux, des couleurs, une véritable sensibilité dans l’accompagnement des chanteurs… aucune insuffisance à déplorer. De même l’équipe vocale se révèle à tout épreuve, car les lignes en apparence les plus simples ne sont pas forcément les plus faciles à chanter, les peccadilles d’ensemble que l’on peut trouver dans les passages choraux peu nombreux dévolus au Chœur de l’Opéra du Rhin le démontrent d’ailleurs. Au sein d’une affiche riche en tempéraments intéressants on n’éprouve aucune difficulté à identifier les deux vraies étoiles de la soirée. Dans un rôle un peu secondaire la mezzo américaine Vivica Genaux attire immanquablement l’attention par un art de la dramatisation d’intervalles pourtant si souvent prévisibles que leur récurrence en devient une sorte de fatalité amusante, et par de superbes chatoiements d’un timbre par ailleurs rompu à toutes les formes d’agilité. Doté d’une palette riche et d’une projection relativement confortable mais pas immense, ce que l’on savait déjà, le croate Max Emanuel Cencic, se révèle aussi un maître dans l’art de suspendre par instants le temps qui passe. C’est là une qualité rare à l’opéra, que les falsettistes baroques savent parfois laisser fonctionner à la perfection. L’air « Gelido in ogni vena » est probablement d’une longueur inusitée au chronomètre et pourtant on pourrait largement en supporter le double, tant une magie entêtante opère. Un inoubliable moment. Les autres chanteurs assument avec un aplomb irréprochable des rôles plus fonctionnels, la jolie Tamiri de Ruxandra Donose parvenant cependant à nous marquer par sa sensibilité.


Quant à la mise en scène de la chorégraphe américaine Lucinda Childs, que l’on pressentait davantage décorative qu’inspirée, elle nous a paru en définitive gérer habilement le livret, sans innovation fracassante mais en sachant toujours relancer la notion de plaisir déjà mentionnée plus haut. Les solistes vocaux, contrairement à ce que pourrait laisser croire une visualisation superficielle, ne sont pas abandonnés à eux mêmes mais soigneusement canalisés, le calibrage de certains gestes clés important davantage qu’une mise en place trop rigoureuse, le reste étant laissé à l’intendance ordinaire du chant. Quant à l’intervention continuelle des solistes du Ballet du Rhin, dont on aurait pu attendre le pire dans le registre d’une figuration remuante et déconnectée du contexte, elle se révèle au contraire très fluide, toujours belle, remarquablement silencieuse aussi, et puis rarement systématique, la chorégraphe mettant un point d’honneur à varier les formes d’apparition. La danse devient véritablement un élément organique du spectacle et même si une certaine lassitude peut s’installer à voir à chaque ritournelle un ou plusieurs danseurs sortir d’un espace du décor pour venir gambader, le bilan de ce mixage reste positif. Une dernière mention pour les décors et costumes de Bruno de Lavenère, à la fois dépouillés, beaux et fonctionnels, même si certaines superpositions vestimentaires peuvent sembler bizarres (jupettes sur pantalons pour les Romains, pourquoi pas, après tout...). Jugée à l’aune des modernisations mochardes en vogue sur les scènes d’Outre-Rhin juste voisines cette succession d’ambiances soigneusement étudiées reste agréable par son confort visuel. Somme toute une soirée d’un professionnalisme parfait, ce qui est peut-être aujourd’hui la vertu la plus appréciable, et malheureusement de moins en moins soulignée par les critiques, d’une production lyrique.



Laurent Barthel

 

 

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