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Alagna Campeador

Marseille
Opéra municipal
06/17/2011 -  et 20*, 23, 26 juin 2011
Jules Massenet : Le Cid

Roberto Alagna (Rodrigue), Béatrice Uria-Monzon (Chimène), Francesco Ellero d’Artegna (Don Diègue), Kimy Mc Laren (L’Infante), Jean-Marie Frémeau (Le comte de Gormas), Franco Pomponi (Le Roi), Paul Rosner (Don Arias), Frédéric Leroy (Don Alonzo), Bernard Imbert (L’émissaire maure)
Chœur de l’Opéra de Marseille, Pierre Iodice (direction des chœurs), Orchestre de l’Opéra de Marseille, Jacques Lacombe (direction musicale)
Charles Roubaud (mise en scène), Emmanuelle Favre (décors), Katia Duflot (costumes), Jacques Rouveyrollis (lumières)


R. Alagna (© Christian Dresse)


C’est bien à un retour en force – et on ne saurait s’en plaindre – du «Grand Opéra» qu’on assiste en cette fin de saison lyrique 2010-2011. Après Les Vêpres siciliennes à Genève le mois dernier, puis Les Huguenots – œuvre emblématique du genre – à Bruxelles (actuellement donnée à La Monnaie), c’est au tour du Cid de Jules Massenet, un des derniers prototypes du style, d’être ressuscité à l’Opéra de Marseille. Mais c’était aussi un évènement médiatique que cette première du Cid, puisqu’elle était retransmise en direct sur Mezzo ainsi que sur écran géant, derrière l’Hôtel de ville situé sur le Vieux Port, devant quelques milliers de spectateurs. On comptait enfin dans la salle pas mal de people, venus du monde politique (Frédéric Mitterrand) ou artistique (Mme Angela Gheorghiu qui – pour le côté potins – est à nouveau en couple avec notre ténor national!).


Pour revenir plus sérieusement au spectacle, disons qu’il nous a laissé un sentiment pour le moins mitigé. A commencer par le travail de Charles Roubaud, que l’ouvrage ne semble guère avoir inspiré et avec lequel il s’est permis beaucoup de libertés: les dix tableaux originaux sont condensés en cinq (souci d’économie, de lisibilité?) et de nombreuses coupures ont été effectuées – notamment le ballet du II, dont deux sections sont néanmoins utilisées comme «bouche-trou», histoire de permettre le changement des décors entre deux tableaux! Si cela peut se comprendre pour une œuvre telle que Les Huguenots qui dure quatre heures un quart – mais dont le tandem Py/Minkowski à Bruxelles n’a pourtant rien retranché –, cela nous semble impardonnable dans une œuvre qui ne dure que deux heures et demie. Enfin, qu’apporte à l’histoire cette transposition à l’époque franquiste, dans un décor et un mobilier Art déco? A notre avis, rien ne transpire de tout cela, en fin de compte, sinon une certaine paresse intellectuelle. Si l’œil est souvent flatté, la mise en scène ne nous en paraît que plus plate et la direction d’acteurs est sans surprises – comme souvent avec Charles Roubaud. Saluons tout de même les toujours élégants costumes de Katia Duflot et les non moins subtils éclairages de Jacques Rouveyrollis, tous deux collaborateurs privilégiés du scénographe marseillais.


Heureusement, côté fosse, le bonheur est total. Rarement l’Orchestre de l’Opéra de Marseille nous aura paru aussi incisif, juste et discipliné, sous la baguette du jeune et talentueux chef canadien Jacques Lacombe. Fougueuse dans les parties dramatiques et paroxystiques de la partition, la phalange phocéenne déploie également des trésors d’expressivité dans les passages intensément lyriques, notamment dans les soli et les duos des deux amants. Bravo pareillement aux chœurs – et à leur chef, Pierre Iodice –, superbes d’engagement et de cohésion.


Mais le principal (et intense) bonheur de la soirée, chacun l’aura deviné, est procuré par l’admirable chant délivré par Roberto Alagna. Le rôle, on le sait, est aussi périlleux qu’inchantable et pourrait se comparer à celui d’Enée ou de Bacchus, parmi les plus ardus du répertoire. De fait, le premier air entonné par le Cid dès son entrée en scène «O, noble lame étincelante» est hérissé de contre-ut. Malgré quelques tensions perceptibles dans les extrêmes de la tessiture, Alagna s’en tire avec tous les honneurs. Une fois la voix chauffée, son grand air du III – le plus célèbre de l’œuvre – «O souverain, ô juge, ô père» enchante et subjugue par l’art de la demi-teinte qui y est déployé. Sa ligne de chant aristocratique, son phrasé prodigieux et sa diction parfaite y font également merveille. Son timbre aussi admirable que généreux – immédiatement reconnaissable – procure toujours le même plaisir «physique» et le chanteur n’a rien perdu de son urgence dans l’accent ni de son ardeur scénique, sa prestation lui valant ainsi un énorme triomphe à la fin de son air, tout comme au moment des saluts.


La Chimène de Béatrice Uria-Monzon se situe à un cran résolument inférieur. Tout d’abord, pourquoi avoir distribué ce rôle à une mezzo, lors même qu’il a été écrit pour une soprano dramatique, un «falcon» pour être plus précis, ce que de toute évidence Madame Uria-Monzon n’est pas, tant s’en faut? Mais surtout, on ne lui pardonnera pas d’avoir hurlé – il n’y a pas d’autre mot – sa partie du début à la fin de la représentation, se réfugiant constamment dans le forte, au grand dam de nos pauvres oreilles assiégées, brutalisées et meurtries! Seul moment de répit, le fameux air «Pleurez, mes yeux» est délivré avec plus de sobriété et une certaine émotion, par ailleurs absente (chez elle) tout le reste de la soirée. En revanche, on lui reconnaîtra le mérite d’avoir (enfin) soigné sa diction de notre langue, quasi parfaite ce soir – mais jusqu’à il y a peu totalement incompréhensible, en particulier dans ses interprétations de Carmen, entendues ici ou là. Reconnaissons-lui également une classe, une élégance, une prestance scénique que nous aurions aimé retrouver... dans son chant!


Hélas, le reste de la distribution n’enthousiasme pas davantage, hormis l’Infante de Kimy Mc Laren, que la soprano canadienne illumine de son timbre frais et fruité ainsi que de son impeccable technique. Quel dommage que les trois librettistes de Massenet n’aient pas donné plus d’épaisseur (et un grand air à chanter!) à ce personnage attachant, qui renonce à Rodrigue par affection pour Chimène. Quant aux pères du couple d’amants, ils déçoivent tous deux. Jean-Marie Frémeau (Don Gormas) semble désormais à bout de voix, le timbre sonne usé et la ligne de chant est bien chancelante. Le Don Diègue de Francesco Ellero d’Artegna ne vaut guère mieux : entre un français vraiment relâché et un malcanto difficilement supportable, il s’avère la pire erreur de la distribution. Déception enfin pour Franco Pomponi qui, après nous avoir impressionné l’an passé in loco dans le rôle-titre de l’Hamlet d’Ambroise Thomas, incarne ce soir un Roi aussi falot scéniquement que terne vocalement (mais est-ce un rôle qui lui convient? – ne serait-ce que du fait qu’il n’a absolument pas l’âge du personnage). Les seconds rôles sont corrects, dont se détache en premier lieu l’émissaire maure de Bernard Imbert.


Bref, une soirée en demi-teinte, qui n’en a pas moins enflammé le public marseillais, tant dans la salle que sur le parvis de l’Hôtel de ville. Signalons enfin que les protagonistes de l’opéra sont allés saluer, sitôt le rideau baissé, les 8000 spectateurs amassés devant l’écran géant, louable geste, à l’instar de cette fort belle initiative de la ville de Marseille.



Emmanuel Andrieu

 

 

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