About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Superlatifs

Paris
Salle Pleyel
04/11/2011 -  
Robert Schumann : Arabeske, opus 18 – Phantasie, opus 17
Serge Prokofiev : Visions fugitives, opus 22 n° 2, n° 3, n° 5, n° 6, n° 7, n° 10, n° 11 et n° 17
Enrique Granados : Goyescas: «Quejas ó la Maja y el Ruisenor»
Franz Liszt : Etude de concert n° 2 «Waldesrauschen» – Rhapsodie hongroise n° 3 – Valse oubliée n° 1 – Ballade n° 2

Nelson Freire (piano)


N. Freire (© Mat Hennek)


Trois jours après avoir été invité par le Philharmonique de Radio France dans le Second Concerto de Chopin (voir ici), Nelson Freire revient déjà à Pleyel, cette fois-ci pour un récital dans le cadre de «Piano ****», mais avec un public toujours aussi fidèle. Le pianiste brésilien a de nouveau offert une de ces soirées riches en superlatifs dont le compte rendu risque, au mieux, de lasser le lecteur et, au pire, de le frustrer, tout en ne restituant qu’une image très partielle de ce dont l’auditeur a, quant à lui, pu bénéficier.


Il devait jouer Mendelssohn et Brahms en première partie, mais en fin de compte, il a porté son choix sur le seul Schumann: n’avouait-il pas dans un entretien paru dans le dernier numéro du mensuel Cadences qu’il «aime beaucoup concevoir des programmes»... mais «encore plus les modifier»? Qu’importe, car il confirme qu’il est un immense schumannien, d’emblée dans une Arabesque (1839) moelleuse et comme tout juste effleurée. Avait-il souhaité en faire une sorte de prélude à la Fantaisie (1838), dans la même tonalité d’ut majeur? En tout cas, les spectateurs ne lui en laissent pas le loisir – ils applaudiront même ensuite entre les mouvements de l’œuvre... Publiée chez Alphée, son interprétation au cours d’un récital donné à Toronto en 1984 est demeurée depuis lors l’une des références incontestées et, ici aussi, tout y est: l’exaltation, au besoin jusqu’à une prise de risque telle qu’elle fait furtivement dérailler, dans le mouvement central, une technique par ailleurs optimale, mais aussi la puissance et le timbre, la plongée dans l’introspection et l’expression, miraculeusement pudique et chaleureuse à la fois dans le finale.


Plus disparate, la seconde partie s’ouvre sur les Visions fugitives (1917) de Prokofiev: s’il les joue dans l’ordre de la partition, il n’a toutefois conservé que huit des vingt pièces. Dommage, car ce qu’il réussit dans ces huit aphorismes – à l’image de la Deuxième, abordée comme si c’était encore du Schumann, de la Septième («Arpa»), splendide de sonorité, ou de la Dix-septième («Poetico»), presque debussyste – ne peut que faire naître l’envie de profiter aussi des douze absentes, qui n’auraient pourtant pas excessivement allongé la durée du concert. Changement radical d’esthétique avec Granados et la quatrième de ses Goyescas (1911), «Plaintes ou la Maja et le Rossignol», dont les gazouillis conclusifs forment une excellente transition vers les «Murmures de la forêt», première des deux Etudes de concert (1863) de Liszt, où, par la magie de son toucher, il crée un flux d’une fascinante continuité. C’est le début de l’inévitable florilège lisztien, en cette année de célébrations, qui se poursuit par la reprise de trois autres plages du récital qu’il vient d’enregistrer pour Decca. Dans la rare et brève Troisième Rhapsodie hongroise (1853), il se fait véhément, épique et lyrique, puis, avec une parfaite versatilité, tout de légèreté dans la Première Valse oubliée (1881), qui passe comme une vision fugitive.


Elève de Lúcia Branco, qui fut aussi le professeur de... Tom Jobim (l’un des maîtres de la bossa nova) et qui étudia elle-même avec Arthur de Greef (1862-1940), l’un des disciples de Liszt, Freire pourrait se poser en héritier d’une tradition remontant directement au compositeur lui-même, mais affirme pourtant n’avoir abordé que récemment sa Seconde Ballade (1853) – il est vrai beaucoup moins connue que n’importe laquelle des quatre de Chopin. Si la tonalité est celle de la Sonate en si mineur, exactement contemporaine, les grondements dans le grave rappellent en revanche les «Funérailles» des Harmonies poétiques et religieuses: de fait, l’une comme l’autre ont été écrites en hommage aux héros de la Révolution de 1848, mais la Ballade évolue vers un si majeur plus tristanesque que triomphal.


Trois bis, avant l’ovation debout, à laquelle seul le retour des lumières parviendra à mettre fin: sensibilité et douceur dans le choral Jésus, que ma joie demeure arrangé par Myra Hess, éclats de soleil dans «Les Collines d’Anacapri», extrait du Premier livre (1910) des Préludes de Debussy qu’il a déjà si bien servi au disque et, pour finir, sa «signature», l’arrangement par Giovanni Sgambati (1841-1914) de la «Plainte d’Orphée» extraite du «Ballet des esprits bienheureux» du deuxième acte d’Orphée et Eurydice (1762). Car il faut le voir, dans le documentaire (2003) que João Moreira Salles lui a consacré, bouleversé lorsqu’il écoute cette «Mélodie de Gluck» par sa compatriote Guiomar Novaes (1895-1979), pour laquelle il a toujours professé une admiration sans bornes.


Pleyel et «Piano ****» accueilleront Nelson Freire dans presque exactement un an, le 10 avril 2012: Brahms, Debussy et Villa-Lobos sont même déjà annoncés, mais s’il y a fort à parier qu’il aura changé d’avis d’ici là et préférera peut-être ce soir-là Beethoven et Chopin, la date n’en mérite pas moins d’être notée dès maintenant, car à ce jour, c’est sa seule apparition prévue pour la saison prochaine à Paris.



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com