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L'art de la variation

Paris
Cité de la Musique
03/18/1998 -  
Benjamin Britten : Lachrymae - reflections on a theme by John
Dowland, op. 48

John Dowland : Lachrimae
Improvisation jazz sur des thèmes de Dowland
Johann Sebastian Bach : Concerto brandebourgeois n° 6
Grigori Korchmar : Concerto paraphrase sur un thème du Concerto brandebourgeois n° 6 de Bach
Arnold Schoenberg : La Nuit transfigurée

Michel Portal (clarinette)
Laurence Calame, Christian Rist (comédiens)
Les Solistes de Moscou, Youri Bashmet (alto et direction)

Youri Bashmet ne se repose pas sur ses lauriers de "meilleur altiste de sa génération". Les programmes de ses concerts ne lui servent pas de faire-valoir, ce qui ne nous empêche pas de rester toujours aussi impressionné par la puissance, la rondeur, et la finesse de ses sonorités. Enfant de la musique aux allures rebelles, Bashmet n'a pas peur de la liberté, et n'hésite pas à faire voler en éclat les préjugés (éventuels) de son auditoire.

Trois pôles organisaient la soirée : Dowland, Bach et Schoenberg. Il était intéressant d'écouter, quelques jours après la version avec piano donnée par Tabea Zimermann, la version pour alto et orchestre des Lachrymae de Britten. Bashmet et ses Solistes de Moscou les ont très bien jouées, mais sans atteindre l'émotion créée par la jeune altiste. Il faut dire que les débuts de concert sont toujours difficiles (pour le public), et que le début de l'oeuvre - qui part de très loin, pianissimo, et doit être joué avec une extrême fragilité - se perdait un peu dans la salle de la Cité de la Musique, qui, paradoxalement, paraissait alors un peu grande. Ce n'est donc que petit à petit que l'on entrait dans l'oeuvre, pour enfin savourer la beauté des sonorités de Youri Bashmet et de ses très bons musiciens. Il faut aussi dire que dans la version orchestrale, le lien avec Dowland est plus évident, mais que l'on perd tout l'aspect intimiste de l'oeuvre, qui ajoute à son intensité tragique.

Venait ensuite, avec Bashmet au pupitre, des extraits des Lachrimae de Dowland. Un vrai régal. Il est assez courageux de jouer de la musique ancienne, finalement assez rare en concert, sur des instruments modernes - à une époque où cela ne va pas de soi. L'interprétation des Solistes de Moscou était assez convaincante : sur instruments modernes, cette musique sonne aussi (même si la très belle version enregistrée de Jordi Savall, chez Auvidis Astrée, est, sans aucun doute, d'une intensité supérieure, les instruments employés n'y étant pas pour rien).

La séquence Dowland se terminait par une improvisation jazz sur des thèmes de Dowland, pour laquelle Bashmet avait invité son vieux complice Michel Portal, musicien de jazz autant que de musique classique. Il s'agissait de tester un autre art de la variation. Portal était clairement le maître de cérémonie, et son solo fut une envolée lyrique très libre, joué avec une maîtrise du son et de l'intensité remarquables. Bashmet avait pris le premier solo, aussi court que timide, puis s'était assis parmi ses musiciens, visiblement ravi, écoutant Portal avec délectation, et observant avec intérêt la réaction de ses musiciens. Si le pianiste cafouilla quelque peu, le contrebassiste des Solistes de Moscou donna à Portal une réplique très convaincante, avec un engagement et un swing qui forçaient l'admiration. Dommage qu'il ne fût pas amplifié. Cette séquence s'avéra réussie, ce qui n'était pas gagné d'avance, tant les musiciens classiques ont généralement un jeu hermétique à l'esprit du jazz et des musiques improvisées.

Le Sixième Concerto brandebourgeois, écrit pour deux altos, trois violes de gambe (ici des violoncelles), une contrebasse et un clavecin, convenait parfaitement à la formation de Bashmet, qui lui associa une étrange variation contemporaine de Grigori Korchmar, écrite pour la même formation. Il s'agissait une fois encore de jeter une lumière neuve sur de vieux thèmes, ou plutôt d'intégrer le répertoire classique à la musique contemporaine. Stravinsky s'est beaucoup intéressé à cela, avec le succès que l'on sait. Berio et Kagel également. L'approche de Korchmar est cependant d'une inspiration complètement différente : après l'exposition littérale du thème, tout se mettait à dérailler, tantôt par prolifération des répétitions, tantôt par la rupture du tempo (on croit écouter du Bach, mais le tourne-disque n'est plus à la bonne vitesse). Mais comme Korchmar gardait toujours une partie du concerto, et souvent la même impulsion rythmique, le déraillement était très contrôlé et le concerto apparaissait réellement comme une paraphrase burlesque, ce qui permettait à l'auditeur, malgré les dissonances, un certain confort d'écoute, l'oeuvre de Bach restant finalement toujours présente. Mais il faut bien avouer que le Concerto paraphrase reste une curiosité.

Après l'entracte, Bashmet dirigeait La Nuit transfigurée de Schoenberg, deux comédiens ayant lu le texte dont la musique s'est inspirée. Trouble, passion, lyrisme, tout y était, avec une superbe qualité sonore des cordes. La pièce de Schoenberg, toujours aussi efficace, n'a pas manqué son effet. Bonheur.



Stéphan Vincent-Lancrin

 

 

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