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Excès de bonnes manières

Paris
Théâtre du Châtelet
02/24/1998 -  
Gustav Mahler : Symphonie n° 9 en ré majeur
Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise, Lorin Maazel (direction)

L'un des concerts du Châtelet dédiés à Gyorgy Ligeti, la semaine dernière, avait commencé avec un quart d'heure de retard et les excuses de la direction : la "tenue de scène du Maestro" était introuvable, il allait devoir diriger en tenue de répétition. On hésite entre le rire et l'ulcère : le concert classique est un enclos qui lutte désespérément pour maintenir ses règles immuables. Il est étranger au temps, à son temps, à ses évolutions. Le compositeur, quant à lui, n'avait pas hésité à monter sur la scène en jean et pull.

Ce soir encore la bourgeoisie concertante subit une attaque : une manifestation de chômeurs envahit l'orchestre et prit d'assaut la scène, distribuant des tracts, apostrophant le public et scandant des slogans peut-être également d'une autre époque, d'un autre rite, étrangers au cours du temps. Inquiets, les quelques musiciens qui avaient pris place sur la scène regagnèrent au plus vite les coulisses, leur instrument sous le bras, tandis que le rideau de scène se baissait pour protéger les viscères du théâtre. Une fois leurs revendications longuement exposées, les visiteurs intempestifs quittèrent calmement les lieux pour laisser la place à une manifestation plus officielle et plus sage. Les fauteuils de velours rouge, les dorures de la salle, les applaudissements obligés (orchestre, premier violon, chef), tout le désuet rite du concert apparaissait comme opération d'oubli du monde extérieur, d'enfermement.

L'oeuvre jouée ce soir - la Neuvième Symphonie de Mahler - n'est pas d'une écriture lisse. Gigantesque collage, tout y est rupture, écart, juxtaposition sans lien. Les ébauches de lignes, de continuités, y sont toujours interrompues, brutalisées. Le discours est éclaté, morcelé et éparpillé, ponctué de citations détournées (le gruppetto de Tristan und Isolde qui hante le dernier mouvement y perd son latin). L'esprit de sa musique y varie constamment, passant sans transition de la gravité à la légèreté ou à l'ironie. L'oeuvre est grinçante, vivante. Lorin Maazel et l'Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise nous en ont pourtant donné une lecture lisse et monocorde, un discours très propre et très bien récité, travail scolaire. Le chef s'enferme dans un tempo moyen et rigide, qu'il ne quitte à aucun moment. Tout est joué sur le même ton, tout apparaît sur le même plan, dans l'indifférence. Certains moments de l'oeuvre - les plus liés, que ce soit dans la force (fin du 3ème mouvement) ou dans le mystère (quelques passages pianissimo ponctués de silence dans les deux premiers mouvements) - sortent presque indemnes de ce traitement. Dans l'ensemble pourtant, l'oeuvre devient mélasse, fourre-tout sonore dans lequel toute différence se perd, dans lequel toutes les voix se valent. Elle se fait conversation mondaine, brouhaha vide de sens car vide de risques, vide des risques pris par le compositeur dans l'écriture. L'oeuvre elle-même semble étouffer sous tant de bonnes manières - elle voudrait oser. Ici c'est un très beau texte mal joué qui nous a été servi. Dans cette belle sonorité, l'oeuvre perd tout pouvoir subversif, elle n'est plus dérangeante (extraordinaire, et soudainement détestable), elle n'est plus qu'un bel objet d'art, atemporel et apolitique, présenté dans un bel écrin, simple divertissement ou somnifère, filtre d'oubli.



Gaëlle Plasseraud

 

 

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