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Vers un ailleurs

Paris
Salle Pleyel
11/12/2010 -  
Helmut Lachenmann : Nun
Anton Bruckner : Symphonie n° 3 (version Nowak)

Dagmar Becker (flûte), Frederic Belli (trombone)
Schola Heidelberg, Walter Nussbaum (chef de chœur), SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, Sylvain Cambreling (direction)


S. Cambreling (© Marco Borggreve)


Pour un programme exigeant qui a suscité une affluence plus qu’honorable, le Festival d’automne accueille salle Pleyel l’une de ses formations les plus fidèles, l’Orchestre symphonique de la SWR (Radio du sud-ouest de l’Allemagne), héritier de l’Orchestre de Baden-Baden de Rosbaud et enraciné dans un terreau avant-gardiste dont l’emblème n’est autre que, depuis les années 1950, le festival de Donaueschingen. Successeur de Michael Gielen en 1999 au poste de Chefdirigent, Sylvain Cambreling, par ailleurs chef principal de l’Orchestre symphonique Yomiuri Nippon (Tokyo) depuis le printemps dernier et nommé directeur musical de l’Opéra de Stuttgart à compter de la rentrée 2012, sera remplacé à partir de la saison prochaine par un autre Français, François-Xavier Roth, lequel a abandonné les rênes de l’Orchestre philharmonique de Liège qui venaient pourtant de lui être confiées un an plus tôt.


Il n’est pas sûr que les compositeurs doivent se sentir obligés d’écrire sur leurs objectifs artistiques. Mais il faut bien constater que la chose est fréquente, plus fréquente en tout cas que chez d’autres créateurs. Certains artistes, tel Jean-Michel Basquiat, trouvent certes une telle limite dans leur expression qu’ils emploient directement, au travers du graffiti, des mots pour traduire leurs obsessions, mais le phénomène paraît encore limité en peinture ou en sculpture. Or il peut se révéler catastrophique et, en matière musicale, conforter les esprits les plus rétifs à la musique contemporaine comme celui d’Alessandro Baricco. C’est le cas avec Helmut Lachenmann, qui, sans talent d’écrivain, nous inflige dans les notes de programme un exposé touffu, jabotant et abscons sur la «non-musique». Rédigé en vue de la création de Nun (1999/2003), dans lequel il voit «peut-être quelque chose comme un parergon à [son] opéra La Petite Fille aux allumettes», cet exposé n’est de surcroît guère éclairé ou traduit, à la suite, par celui de Laurent Feneyrou, expliquant par exemple l’énonciation syllabique du mot «Mu-si-k», sorte de graffiti sonore à la fin de l’œuvre, par le fait que dans le bouddhisme, «Mu» désigne le néant absolu.


Il est vrai que la direction des plus de quarante minutes (d’un seul tenant) de Nun («Maintenant») peut laisser songeur. Egal à lui-même dans son refus des modes de jeu usuels et dans sa recherche sur la nature même de la musique jusqu’à sa négation, Lachenmann, de manière toujours aussi éclatée mais peut-être un peu plus conflictuelle qu’à son habitude, fait se succéder bruissements, crissements, frottements, grincements et soufflements dans une sorte de capharnaüm sonore quasiment régulier, plutôt lent et continu, suscitant l’étonnement mais aussi l’inquiétude, le vide, et donc l’ennui, se profilant irrémédiablement à l’horizon. Debout au premier plan, à gauche, un tromboniste, Frederic Belli, et, à droite, une flûtiste, Dagmar Becker, tous deux membres de l’orchestre, sont placés devant un octuor vocal masculin issu de l’ensemble Schola Heidelberg, assis en demi-cercle devant les cordes, comme les Swingle Singers pour la Sinfonia de Berio. Dotés d’écouteurs et de micros, les chanteurs ne recourent pas seulement à leur voix, leur bouche ou leur langue, parfois non sans un humour au énième degré, mais se tapent les joues, frappent leur pupitre avec une baguette de xylophone ou frottent des blocs de polystyrène l’un contre l’autre. Ils articulent également quelques mots suggérant des pistes d’explication du propos de Lachenmann, avant d’énoncer dans le plus grand dépouillement sonore une pensée du philosophe japonais Kitaro Nishida (1870-1945): «Le moi n’est pas une chose, mais un lieu».


La partie gauche de l’orchestre joue avec la partie droite, une console électronique située au fond du parterre, au milieu du public, et surveillée par le compositeur lui-même amplifiant ou relayant les sons, notamment les deux pianos placés de part et d’autre de la scène, un peu à la manière de Luigi Nono, son maître à la fin des années cinquante. Enrichi d’une guitare électrique et d’une harpe, l’effectif instrumental est cependant légèrement défectif – pas de bassons mais deux contrebassons, pas de trombones mais deux tubas – et fait appel à quatre percussionnistes, remuant des cymbales chinoises, frottant les peaux des timbales et agitant des bâtons de sorcier comme des égoïnes. Le trombone bouché chlorotique couine dans des sortes de spasmes pendant que les violoncelles, piano, semblent trembler de froid, offrant, vers la fin de la pièce, peut-être le seul moment laissant transparaître quelque émotion dans un ensemble trop elliptique pour convaincre pleinement. Le public réserve néanmoins un fort chaleureux accueil au chef et à son orchestre, et sans doute plus encore au compositeur, qui fêtera ses soixante-quinze ans le 27 novembre prochain.


Bruckner fascine des créateurs contemporains bruitistes comme Gérard Pesson, mais avec Lachenmann, le rapport est évidemment davantage d’ordre philosophique, métaphysique ou esthétique que stylistique – quoique ceux qui demeurent encore rétifs à l’univers de l’Autrichien y entendent certainement de la «non-musique» ... L’Allemand, lui aussi en quête d’un ailleurs situé hors de ce monde, écrit d’ailleurs de son glorieux aîné que «chez lui, c’est toujours une cérémonie transcendante qui détermine la pensée symphonique». Ce n’est toutefois pas dans ce sens que Cambreling dirige la Troisième Symphonie (1873/1889), conservant une approche assez comparable à celle qu’il avait adoptée dans la Quatrième «Romantique» en mai 2006 avec l’Orchestre de l’Opéra national de Paris (voir ici): intéressante mais peu idiomatique, du moins faisant fi d’une certaine tradition – pas nécessairement incontestable, au demeurant – d’interprétation de ce répertoire.


Le chef français n’est décidément pas partisan d’un Bruckner épais et lent, auquel il préfère en effet conférer de la lisibilité et de l’allant, sans précipiter systématiquement le tempo, sauf peut-être dans l’Allegro final. Mais son travail, toujours honnête et souvent inspiré, sans être pour autant en mesure de rivaliser avec celles de grands brucknériens du passé ou du moment, bénéficie d’une mise en place et d’un agencement méticuleux. Il est en outre servi par un orchestre certes pas exceptionnel, sans qualités véritablement frappantes, mais plus que correct et révélant des caractéristiques typiquement germaniques: cohésion, basses solides et cors à la sonorité délicieusement sourde et voilée. En fin de compte, la puissance aussi bien que la souplesse, le sens dramatique (comme dans un Scherzo terrifiant, déjà annonciateur de celui de la Neuvième, y compris dans son Trio plein de verve et de grâce), la grandeur, même la chaleur, la générosité et un certain entrain ne manquent pas à cette version dont la principale faiblesse est d’apparaître le plus souvent pensée que naturelle. Voilà qui a aura probablement plu à Lachenmann, selon lequel «ce sont précisément les cérémonies qui visent une expérience irrationnelle qui doivent être mises en scène rationnellement, organisées avec stratégie».


Le site de Sylvain Cambreling
Le site de l’Orchestre symphonique de la Radio de Baden-Baden et Fribourg
Le site de Schola Heidelberg



Simon Corley et Stéphane Guy

 

 

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