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Passé à l’ouest

Salzburg
Grosses Festpielhaus
08/15/2010 -  et 16*, 17 août 2010
Serge Prokofiev : Ivan le terrible, op. 116
Gérard Depardieu (Ivan), Jan Josef Liefers (récitant), Olga Borodina (mezzo-soprano), Ildar Abdrazakov (basse)
Chœur d’enfants du festival de Salzbourg, Chœur de l’Opéra d’Etat de Vienne, Orchestre Philharmonique de Vienne, Riccardo Muti (direction)


G. Depardieu, R. Muti, O. Borodina (© Silvia Lelli)


Même si ses choix sont contestables – on se souvient de la purge du Demofoonte de Jommelli à Garnier – on ne dira pas que Riccardo Muti ne s’aventure pas hors des sentiers battus. Il est vrai que sa gloire suffit à déplacer les foules, surtout quand il dirige, comme à Salzbourg, la Philharmonie de Vienne. Il n’empêche : il aurait pu choisir programme plus confortable qu’Ivan le terrible de Prokofiev.



De Prokofiev et d’Abram Stassevitch, à vrai dire. Le chef, qui dirigeait la musique des productions de Mosfilm, mena en effet à bien le projet auquel le compositeur avait renoncé : aboutir à un oratorio, comme Prokofiev l’avait fait lui-même pour Alexandre Nevski - pour le coup, un chef-d’œuvre. Mais il dut modifier un peu la partition, où l’intimisme côtoie les fastes de l’opéra à grand spectacle, l’adapter à la salle de concert, ajouter un récitant pour la compréhension d’une histoire ne respectant plus tout à fait la chronologie des films : plus linéaire, elle s’achevait désormais sur la chanson à boire de Fédor Basmanov et des oprichniki et le triomphe définitif d’Ivan. De toute façon, seul le premier des trois films fut présenté du vivant de Staline, recevant même son prix en 1946. Le Complot des boyards déplut au petit père des peuples, plus soucieux de s’identifier à un réformateur conquérant qu’à un tyran cruel et aliéné : il fallut attendre 1958 pour qu’on le présente au public. Quant aux Combats d’Ivan, la mort empêcha le cinéaste de l’achever.


Dès les premières mesures, on est stupéfié par la qualité de l’orchestre, par ces violons jouant comme un seul, ces vents sans acidité, par cette discipline, cette perfection – pour beaucoup, le meilleur d’entre les meilleurs. Le chef italien n’a pas de mal à dégager les lignes et les plans, non sans lisser, l’orchestre aidant, une musique qui sonne sans doute ici plutôt comme du Rimski « corrigeant » Moussorgski que comme du Prokofiev. Mais ce n’est plus celle d’un film exaltant le passé national à des fins de propagande, dira-t-on – et l’on ne demandera pas à Muti de devenir un Rozhdestvensky – voire un Gergiev - ou aux Viennois de se transformer en orchestre russe. A partir de là, tant pis si cela semble souvent trop lumineux, manque parfois d’ironie, comme dans « le Bouffon », de sauvagerie, comme dans « Les Tatares ». On s’abandonne d’autant plus volontiers à cette splendeur opulente, qui ne verse pas dans le pompiérisme, pourtant latent, que le chef, malgré son éternel côté quatre étoiles, empoigne la musique et conduit un véritable drame, retrouvant ce sens du théâtre qu’il perd parfois depuis quelques années, jetant même sa gourme, à la fin, se laisser emporter par le flot de l’épopée et se déchaînant dans la Chanson à boire. Ce très grand moment de musique doit aussi beaucoup au chœur : il faut aller bien loin pour trouver des voix qui, à l’instar de l’orchestre, chantent aussi pianissimo, ne détimbrent pas à bouche fermée et ne forcent jamais dans le passage.


Gérard Depardieu, qui, en même compagnie, ânonnait scandaleusement le texte de Lélio il y a trois ans, n’a pu sans doute apprendre toute sa partie : on a appelé à la rescousse l’impeccable Jan Josef Liefers pour assurer la partie du récitant, lui-même se contentant de celle d’Ivan. Sa prononciation fait sourire les russophones – il sera pourtant Raspoutine à l’automne dans une production russo-allemande. La composition n’en reste pas moins étonnante : voilà justement le personnage shakespearien, éclaté et démesuré, à la fois Lear et Hamlet, expressément voulu par Eisenstein, formidable de présence, terrible et pitoyable, majestueux et histrionique, visionnaire et aliéné. Quoi qu’il en soit, l’authenticité restait du côté des deux solistes : Ildar Abdrazakov, remarquable de tenue mais manquant un peu de mordant dans la Chanson de Basmanov, Olga Borodina, magnifique dans les graves d’Océan-mer, pathétique et nuancée dans la Berceuse d’Ephrosine.



Avec Muti, Ivan est passé à l’ouest.



Didier Van Moere

 

 

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