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Les miroirs de l'âme

Paris
Opéra Bastille
11/20/1997 -  et 23, 26 et 29 novembre, les 3, 6, 11, 14 et 19 décembre 1997
Richard Strauss : Le Chevalier à la Rose
Susan Graham (Octavian), Renée Fleming (La Maréchale), Barbara Bonney (Sophie), Franz Hawlata (Le Baron Ochs), Valérie Millot (Marianne), Margit Neubauer (Annina), Peter Sidhom (Faninal), Uwe Schönbeck (Valzacchi), Stuart Neill (Tenor)
Herbert Wernicke (mise ne scène, décors et costumes)
Orchestre et Choeurs de l'Opéra national de Paris, Edo de Waart (direction)

"Wie du warst ! Wie du bist !", "Comme tu étais ! comme tu es !" murmure Octavian après sa nuit d'amour avec la Maréchale. Le Chevalier à la Rose commence par un acte manqué : "Comme tu étais !", mais cela n'est il pas impoli, presque insultant de déjà parler de la femme qu'il vient d'aimer au passé ? Alors il se reprend, "Comme tu es !", projetant son plaisir dans un présent éternel. Mais ce conflit entre le temps qui passe irrémédiablement, qui s'enfuit et le temps présent qui ne se soucie pas de la durée et se suffit à lui-même est, à ce moment de l'opéra, encore inconscient chez Octavian au contraire de la Maréchale qui, avec amertume, l'exprimera à la fin du premier acte ce qui provoquera entre eux une petite "scène" et le départ précipité de l'amant un peu naïf. C'est seulement à la fin du troisième acte qu'Octavian, dans la reconnaissance de son amour pour Sophie devant son ancienne amante, accédera à cette maturité psychique. L'événement qu'a constitué sa rencontre, au deuxième acte, avec Sophie lors de la présentation à la rose, ayant été secrètement favorisé par la Maréchale…

Le décor identique accueillant le couple du début et celui de la fin suggère cependant que le temps qui passe n'érode pas forcément les grands sentiments et que tout peut recommencer de plus belle ! Message optimiste et noble d'Herbert Wernicke, mais surtout lecture d'une intelligence rare du texte d'Hofmannsthal et de l'opéra de Strauss trop souvent étouffés dans un kitsch viennois très premier degré (comme l'assommant Otto Schenk à l'Opéra de Vienne). Car comment mieux représenter cette Vienne qui se mire elle-même dans ses propres conventions, qui ne se mesure qu'à sa propre magnificence, qui ne vit que des apparences et des reflets que chacun offre aux autres qu'avec des miroirs ? "Si seulement les murs étaient de verre, pour que tous ces bourgeois envieux de Vienne puissent nous voir assis là en famille !" s'esclaffe Faninal dans le deuxième acte. C'est donc uniquement par reflet que la réalité apparaîtra (mais n'est ce pas une Vienne rêvée ?). De grands miroirs pivotants enveloppent la scène jusqu'aux cintres et réfléchissent des toiles peintes représentant des intérieurs viennois, leur ballet permet des changements de décors féeriques et mystérieux.

Cette Vienne artificielle et déconstruite, renforce la vérité psychologique des personnages et montre ce que cette "mascarade viennoise" a de profond et d'insondable. "Il faut cacher la profondeur. Où ? A la surface" affirme Hofmannsthal. Les différents sentiments qui parcourent l'oeuvre sont d'une vérité et d'une acuité que le rose bonbon des mises en scène habituelles nous avait fait perdre de vue. Le trio du troisième acte, dans un espace dépouillé et au milieu d'une forêt imaginaire, est absolument poignant.

La distribution vocale est d'un très haut niveau. Tout juste peut on trouver Renée Fleming quelque peu maniérée, manquant d'aisance et d'un timbre trop proche d'Octavian. Susan Graham et Barbara Bonney par contre n'appellent aucune critique et incarnent à la perfection leurs personnages. Mais la découverte, relative, concerne le formidable Baron Ochs de Franz Hawlata que le timbre, l'aisance vocale et le talent d'acteur placent aux côtés des plus grands. La déception est vive toutefois pour le chef d'orchestre totalement étranger à la frénésie et à la sensualité de la musique de Richard Strauss. On se réjouit que l'Opéra de Paris ait mis cette production (créée au Festival de Salzbourg en 1995) d'Herbert Wernicke (il avait aussi monté Moses und Aron de Schoenberg au Théâtre du Châtelet) à son répertoire.

Au dernier tableau, les miroirs se joignent les uns aux autres au fond de la scène pour seulement renvoyer l'image de la salle et des spectateurs comme pour annuler la séparation entre le plateau et le public, comme pour nous dire que les viennois qui regardaient à travers les murs de verre… c'était nous !



Philippe Herlin

 

 

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